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PROCÈS DE L'HYPNOTISME

Suite (1)

LA DÉFENSE

Les fonctions de recteur de l'Université de Fribourg, que j'ai dù exercer pendant l'année scolaire qui vient de finir, ne m'ont laissé ni le temps ni la liberté d'esprit nécessaires pour continuer l'étude sur l'hypnotisme que j'avais commencée dans la Revue. Si regrettable qu'ait été une pareille interruption, elle aura cependant produit deux bons résultats. Le premier a été de fournir à nos lecteurs l'occasion d'affirmer l'intérêt qu'ils prennent à ces recherches, en m'encourageant, par des lettres aussi pressantes que bienveillantes, à poursuivre mon travail; le second sera que nous ne formulerons point notre jugement sur l'hypnotisme sans avoir pris connaissance de plusieurs ouvrages récents sur la matière d'une valeur considérable. Qu'il me suffise d'en citer deux, celui de M. l'abbé Gombault (2) et celui de M. le D' Imbert-Gourbeyre 3). Le premier est d'un philosophe et d'un théologien ; le second est d'un savant. Tous les deux sont également sévères pour l'hypnotisme. Selon M. l'abbé Gombault, Satan a beau garder « l'anonymat dans l'hypnotisme » (4); il l'envahit et l'inspire tout entier (5). Quant à M. le D' Imbert-Gourbeyre, nos lecteurs sauront parfaitement à quoi s'en tenir sur sa pensée, par les quelques lignes suivantes, que je relève dans son grand et savant ouvrage sur la Stigmatisation: « Il n'est pas besoin d'établir l'occultisme, l'im

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1) V. no de septembre 1894.

(2) L'avenir de l'hypnotisme, in-12, p. 308, DELHOMME et BRIGUET.

(3) La Stigmatisation, l'extase divine et les miracies de Lourdes, Réponse aux libres penseurs, 2 vol. in-8o, I, p. XLI, 576, 1, p. 576. Vic et Amat.

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moralité et les dangers de l'hypnotisme; il est plus difficile d'en faire accepter le diabolisme, surtout par les libres penseurs.

Le R. P. Franco a soutenu d'une manière supérieure la thèse de l'immixtion diabolique dans les phénomènes de l'hypnose. C'est un rude argumentateur que l'éminent rédacteur de la Civilta cattolica. Lecture faite, on arrive promptement à la conviction que l'hypnotisme n'est qu'un instrument mis au service d'une puissance spirituelle, «< surhumaine et malfaisante » (1). Voilà donc la thèse du R. P. Franco qui rallie deux nouveaux partisans, dont l'un compte parmi les vétérans de la science catholique, et dont l'autre se fait reconnaître d'emblée comme prêtre de talent. Foncièrement diabolique, essentiellement immoral, malfaisant par nature, tel est l'hypnotisme au jugement, sans rémission, de ces penseurs.

Mais il est d'autres penseurs qui rejettent ce jugement aussi catégoriquement que les premiers le formulent, avec la mème conviction et la même ardeur. « Il ne suffit pas, disent-ils, de porter des accusations contre l'hypnotisme, il faut les justifier or, c'est ce qu'on ne fait point. L'hypnotisme, tel qu'il est en réalité, n'est point l'œuvre de Satan, il n'est point essentiellement immoral, il n'est point nuisible par soi. Nous affirmons que les faits et les raisons articulés contre l'hypnotisme ne prouvent rien; car les faits sont ou faux ou mal interprétés, les raisons sans valeur. >>

Et les hommes qui parlent de la sorte sont, eux aussi, des théologiens, des philosophes, des hommes de science et de talent.

Ils méritent d'être entendus, et l'intérêt de la vérité réclame qu'on les entende.

Voilà pourquoi, après avoir mis sous les yeux de nos lecteurs, aussi fidèlement que j'ai su le faire, les griefs et les arguments des adversaires de l'hypnotisme, je vais maintenant leur soumettre la réponse de ses défenseurs.

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L'hypnose, de l'aveu de tous les médecins, est une maladie nerveuse, passagère, mais violente, artificiellement provoquée. La

(1) T. II, p. 482.

naissance n'en est point naturelle..... les symptômes n'en sont point naturels..... le pronostic n'en est point naturel..... la cure n'en est point naturelle. L'hypnose est donc une maladie extraphysiologique et préternaturelle. » Ainsi raisonne, on s'en souvient, le R. P. Franco (1).

Mais, d'abord, le R. P. Franco est-il bien fondé à dire, d'une façon si absolue, que « l'hypnose est une maladie? » n'y aurait-il pas lieu de distinguer entre le sommeil provoqué et les accidents qui peuvent survenir, entre un sommeil calme, tranquille, sans secousse nerveuse d'aucune sorte, et celui qui est caractérisé par des crises plus ou moins violentes?

Puis, il est matériellement faux de dire que l'hypnose est une maladie de l'aveu de tous les médecins ».

« Le sommeil réel suggéré ne diffère en rien du sommeil naturel ». Ainsi parle M. Bernheim (2). M. Bernheim est un médecin, et même un professeur de médecine.

M. Liébeault, de même, affirme que, sauf la manière dont ils sont produits, « les deux sommeils (naturel et artificiel) sont identiques, sous tous les points de vue » (3). M. Liébeault est un médecin.

M. Forel, de Zurich, écrit de con côté : « L'affinité de l'hypnose et du sommeil normal est indéniable, et je dois me ranger à l'avis de M. Liébeault, quand il dit que la seule différence qui distingue l'un de l'autre est le rapport qui existe entre le sujet hypnotisé et l'opérateur» (4). Médecin et professeur de médecine est M. Forel.

Pour M. le Dr Ferrand, de Paris, l'hypnose se définit : « un état du système nerveux, en tout comparable au sommeil » ou bien « une sorte de sommeil provoqué et incomplet » (5). M. Ferrand, encore un médecin, ne pense donc pas que l'hypnose soit, par définition et par nature, une maladie.

De l'aveu du R. P. Franco, le Dr Henri Morselli « soutient publiquement la même opinion » (6) en Italie. Je pourrais citer

(1) L'Ipnotismo tornato di moda, p. 146.

(2) De la Suggestion et de ses applications à la thérapeutique p. 23.

(3) Le sommeil provoqué et les états analogues, p. 27.

(4) Der Hypnotismus und seine handhabung, p. 38.

(5) Des suggestions dans l'hypnose, p. 11.

(6) La nouvelle théorie de la suggestion, traduction de M. ONCLAIR, p. 40.

d'autres noms, et j'aurai bientôt l'occasion d'en citer d'autres. Quand il faut compter de telles exceptions, et que l'on a pour contradicteurs des hommes d'un tel mérite, dont quelques-uns sont de véritables chefs d'école, a-t-on bien le droit d'écrire : « Que l'hypnose, de l'aveu de tous les médecins, est une maladie nerveuse»? et que les médecins « d'une voix unanime, ont jugé que l'état hypnotique est un état morbide » (1).

« Braid et Charcot, ces deux colonnes maîtresses de l'hypnotisme» (2), l'ont dit les premiers. - Mais Bernheim et Liébault, ces deux colonnes non moins maîtresses de l'hypnotisme, disent le contraire,

Et puis, comment les médecins qui tiennent que l'hypnose est une maladie, expriment-ils leur sentiment à ce sujet ? Se donnentils pour inébranlablement convaincus et certains, ainsi que l'insinue le R. P. Franco? Il s'en faut beaucoup, et, quand l'occasion s'en présente, plusieurs ne se font pas faute de déclarer que, sur ce point, ils ont et entendent émettre simplement une opinion. Citons, par exemple, M. le D' Ladame, de Genève, qui partage l'avis du R. P. Franco. Avec quelle réserve ne s'exprime-t-il pas ? « Les troubles nerveux du sommeil et de la veille, dit-il, que l'on observe chez les individus hypnotisables, et qui forment les divers symptômes de la névrose hypnotique, ne me paraissent pas appartenir au fonctionnement normal de l'encéphale, et je pense qu'il serait difficile de prouver le contraire » (3). Et il donne le motif qui lui fait tenir un langage tellement circonspect : c'est qu'entre la physiologie et la pathologie, il n'existe point de limites nettement définies, et que la science n'a point encore fixé les bornes qui séparent l'une de l'autre : « On ne saurait avoir la prétention, dit-il, de tirer une ligne de démarcation bien nette, entre ce qui est encore dans les limites de la physiologie et ce qui appartient déjà à la pathologie. Une telle ligne n'existe pas plus ici qu'ailleurs, et la zone intermédiaire entre la santé et la maladie cérébrale est aussi large et aussi variable que pour les autres organes >> (4).

(1) La nouvelle théorie de la suggestion, p. 38. (2) Ibid.

(3, L'hypnotisme et la médecine légale, p. 20.

(4) Ibid. On peut voir encore M. le Dr PITRES: Leçons cliniques sur l'hystérie et l'hypnotisme, t. II, p. 345; MM. BINET et FÉRÉ, Le magnétisme animal, p. 71.

Voilà qui est parler raison, mais voilà aussi qui ne ressemble guère à l'affirmation, si sûre d'elle-même, des adversaires de l'hypnotisme.

Il ne faudrait pas croire, du reste, que l'on attribue par fantaisie et pour le plaisir de contredire, au sommeil artificiel la qualité de phénomène purement physiologique. Si on le fait, c'est sur bonnes

preuves:

Pourquoi, en effet, ne pas identifier deux sommeils qui se produisent par les mêmes moyens, présentent les mêmes phénomènes, et se transforment si facilement l'un dans l'autre? Or, le sommeil naturel et le sommeil hypnotique, nous le verrons bientôt, ont essentiellement les mêmes causes: l'un et l'autre peuvent s'accompagner de rêves de la même façon; enfin « ils se transforment l'un dans l'autre. Par exemple, un dormeur artificiel abandonné à luimême, cesse d'être cataleptique peu à peu et finit par entrer dans le sommeil ordinaire; ainsi un dormeur ordinaire, si on le touche en même temps qu'on lui parle avec douceur, parvient lentement et sans s'éveiller à se mettre en communication et à devenir cataleptique (1). »

De fait, si le sommeil hypnotique relève essentiellement de la pathologie, il sera ou une psychose ou une névrose. Mais il n'est ni l'une, ni l'autre, nous dit M. le Dr Albert Moll, de Berlin. La preuve, c'est qu'aucune maladie ne cesse, pas plus qu'elle ne se produit, instantanément. Or, je puis faire cesser le sommeil hypnotique, avec tous les phénomènes produits, instantanément, puisque je n'ai qu'à dire au sujet : « réveillez-vous », il se réveillera. L'hypnose n'est donc pas une maladie; mais il faut l'identifier avec le sommeil naturel ou reconnaître au moins qu'elle présente avec lui les plus intimes rapports, et constitue un état tout à fait analogue (2).

Et comment l'hypnose serait-elle essentiellement une maladie, si l'on s'en sert justement pour soulager les malades et améliorer leur état? Or, c'est ce qui a lieu. « Contrairement à beaucoup de médecins, écrit M. le Dr Beaunis, je regarde le sommeil hypnotique sans suggestion comme plus réparateur que le sommeil ordi

(1) LIÉBAULT, le Sommeil provoqué, p. 27. BERNHEIM, De la suggestion, etc., p. 220. (2) Der Hypnotismus, 2. édit., p. 165-167.

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