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Sganarelle n'a plus befoin de confulter ni amis, ni Docteurs, ni Bohémiennes. Il va trous ver Alcantor, pere de la Demoiselle, pour lui dire qu'il ne veut pas fe marier. Alcantor lui répond que les volontés font libres. Mais fon fils Alcidas prie fort poliment Sganarelle de fe couper la gorge avec lui, ou d'époufer fa fœur. Sganarelle ne veut faire ni l'un ni l'autre. Alcidas lui demande la permiffion de lui donner des coups de bâton, & la prend fans attendre fa réponse. Il lui propofe encore une fois de fe battre ou de fe marier, & fur le refus qu'il en fait, il recommence à le frapper. Sganarelle aime mieux époufer Dorimene que de rifquer La vie.

Précis du Canevas Italien.

Arlequin fait le brave à toute outrance : rien ne peut lui réfifter. Il refufe d'époufer une fille à laquelle il a promis fa foi. On vient lui propofer de remplir fa parole ou de fe battre; il ne veut faire ni l'un ni l'autre : on lui donne des coups de bâton. On lui fait enfuite la même propofition; il réfléchit que, s'il fe bat, il rifque d'être tué, & que le point d'honneur ne lui ordonne point de perdre fa vie. Il prend généreufement fon parti à l'afpect du bâton ou des épées qu'on ne ceffe de lui préfenter, & il épouse.

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L'hiftoire d'Arlequin eft en gros celle de Sganarelle, avec la différence que le héros Français n'est faux brave. Il avoue tout naturellement qu'il n'a pas de gorge couper; & je ne fais fi, par cette raifon même, les coups de bâton ne deviennent pas moins plaifans. En tout cas, fi notre Auteur cède en cela

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aux Italiens, nous allons le voir prendre fa revanche. Sganarelle veut confulter le Docteur Pancrace. Celui-ci l'impatiente en revenant fans cesse vers la cantonnade, pour foutenir qu'il faut dire la figure d'un chapeau, & non pas la forme.

Dans un canevas très-ancien, Arlequin veut confulter, comme Sganarelle, an Docteur qui l'impatiente en fe tournant fouvent vers la cantonnade, pour apoftropher un prétendu Savant avec lequel il vient d'avoir une difpute trèsvive. Il étoit question de décider fi la matière paffe avant la forme. Arlequin, inftruit du fujet de la querelle, en rit, & demande enfuite gravement au Docteur quel eft fon avis. Le Savant fait un grand raifonnement pour prouver que, de tout temps, la matière fut avant la

forme. Arlequin lui donne un démenti, foutient que la forme a le pas avant la matière, & prétend le démontrer clairement par une aventure qui lui eft arrivée,

J'avois befoin, dit-il, de fouliers. F'entre chez un cordonnier, il m'en donne plufieurs à effayer; mais tous étoient fi courts, que la moitié de mon pied n'y entroic point. J'étois comme ces petites maîtreffes qui, pour paroître avec un pied en miniature, portent des mules qui couvrent feulement le bout des doigts. Je le fis remarquer au cordonnier, & je lui dis: Maître, ces fouliers ne vont pas bien. Monfieur, ils vont à merveille. - Comment! ils vont à merveille! ils font étroits & courts. Vous vous trompez, Monfieur, ils font au contraire trop longs & trop larges; vous ne les aurez pas portés cinq à fix mois, que vous verrez......... Oui, mais en attendant its me bleffent. Non, Monfieur, cela n'eft pas poffible. - Non, Monfieur, vous vous trompez. ➡ Sanguédimi.

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je fens bien que je fouffre. Non, Monfieur, vous ne fouffrez pas... Lassé de l'opiniâtreté de cet homme, je lui dis: Maître Savate, vous êtes un impertinent, entendezvous; il me répondit que j'étois un fot je lui répliquai qu'il étoit un coquin; il me riposta que j'étois un fripon. Je ne lui parlai plus; mais je lui donnai des coups de bâton, & je pris bravement la fuite. Il ne me fuivit pas, mais il envoya après moi; devinez. Ses garçons?

Non. Ses chiens? Non, une forme. Cette forme alla plus vite que moi, elle m'attrapa: poufeté, me voilà avec une tumeur à la tête. Peu à peu cette tumeur groffit, enfuite elle mûrit, enfuite elle creva, enfuite parut la matière; mais ce ne fut que huit jours après le coup de forme. Ergo, vous voyez que la forme a le pas avant la macière; que je fuis un habile homme, & que vous n'êtes qu'un âne vous, M. le Docteur.

Le plaifant de cette fcène eft d'entendre Arlequin prendre alternativement le ton du Cordonnier & le fien dans la difpute dont il rend compre; de le voir peindre la forme qui l'at-· teint, s'envelopper la tête d'un linge, & feindre des douleurs graduées mais du moment qu'il eft queftion de la matière, il ne peut que devenir fastidieux. Et fuppofé que Moliere eût pu ajouter encore quelques larcins à ceux qu'il a faits dans cette fcène, nous devons lui favoir gré de ne l'avoir pas prife en entier.

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Dans la fcène de Moliere, Pancrace impatiente encore Sganarelle en voulant lui prouver, par raifons démonftratives & convaincantes & par argumens in barbara, qu'il n'eft qu'une pécore de s'emporter contre le Docteur Pancrace, homme de fuffifance, de capacité; homme confommé dans toutes les fciences naturelles, morales & politiques; homme favant, favantiffime, per omnes modos & cafus; homme qui possède la

Fable, Mythologie, Hiftoire, Grammaire, &c. On ne peut pas dire que tout foit exactement copié de l italien, puifque la fcène italienne n'eft pas écrite, & que chaque Docteur la remplit à fa fantaifie; mais le fond eft le même pour la coupe & pour les lazzis. Lorfqu'Arlequin la joue fous le déguisement du Docteur, il ajoute ordinairement, pour fe faire refpecter fe faire refpecter : « Savez-vous » ce que c'est qu'un Docteur, & tout ce qu'un > homme a été obligé de faire avant d'être Doc» teur? Il faut qu'il fache lire & écrire ; pour » lire & écrire, il faut connoître les lettres; » pour connoître les lettres, il faut aller à l'é

cole; pour aller à l'école, il faut marcher; » pour marcher, il faut des jambes, pour avoir » des jambes & leur donner la force d'agir, il » faut manger; pour manger, il faut avoir une » bouche; pour avoir une bouche, il faut vivre; » pour vivre, il faut naître; pour naître, il faut » fortir du fein de fa mere; pour fortir du fein » de fa mere, il faut être engendré; pour être en

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gendré, il faut avoir-un pere ». On lui ferme la bouche à plufieurs reprifes, & on le chaffe (1).

(1) Quand nous ne faurions pas que la fcène de Moliere eft imitee de l'italien, il nous l'auroit découvert luimême par une fingulière diftraction. Au lieu de mettre dans les notes de fa pièce, Sganarelle eft impatienté par le Philofophe, il ferme avec fa main la bouche du Philofophe il pouffe le Philofophe dans fa maison, &c. il a conftamment écrit, Sganarelle impatienté par le Docteur, ferme avec Ja main la bouche du Docteur; il pouffe le Docteur dans fa mailon, &c. Les Docteurs ne font admis que dans les pièces italiennes. Moliere en compofant fa fcène avoit l'idée remplie de celle qu'it imitoir,

CHAPITRE XI.

DON JUAN OU LE FESTIN DE PIERRE, Comédie en profe & en cinq actes, comparée pour le fond & les détails, avec une pièce espagnole, intitulée: El Burlador de Sevilla y Combidado de Piedra, le Trompeur de Séville & le Convié de Pierre; une pièce italienne imitée de la précédente, & quelques autres de de Villiers, de Dorimon, de Rofimon, de Corneille, &c.

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A Troupe italienne avoit donné le Convié de Pierre, appellé par corruption le Feftin de Pierre, & cette pièce informe avoit fait courir tout Paris. De Villiers, Rofimon, Dorimon, avoient traité le même fujet, quand Moliere, follicité par fes camarades de mettre ce monstre dramatique fur fon théâtre, y confentit avec peine. Sa complaifance fut punie par le peu de fuccès de fa pièce.

Extrait du Feftin de Pierre, de Moliere:

ACTE I.

Sganarelle rape du tabac, en fait l'éloge, en donne à Gufman, & lui demande ce qu'il vient faire. Gufman lui répond qu'il eft l'Ecuyer d'Elvire, jeune perfonne de qualité, féduite par

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