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Tandis que je tachois d'adoucir par ces paroles les peines de mes compagnons, je cachois au fond de mon cœur une douleur mortelle. C'étoit une consolation pour moi que la lumière du jour me quittât, et que la nuit vînt m'envelopper de ses ombres, pour déplorer en liberté ma misérable destinée. Deux torrents de larmes amères couloient de mes yeux, et le doux sommeil m'étoit inconnu. Le lendemain, je recommencois mes travaux avec une nouvelle ardeur. Voilà, Mentor, ce qui fait que vous n'avez trouvé si vieilli.

Après qu'Idoménée eut achevé de raconter ses peines, il demanda à Télémaque et à Mentor leurs secours dans la guerre où il se trouvoit engagé. Je vous renvoyerai, leur disoit-il, à Ithaque, dès que la guerre sera finie. Cependant je ferai partir des vaisseaux vers toutes les côtes les plus éloignées, pour apprendre des nouvelles d'Ulysse. En quelque endroit des terres connues que la tempête ou la colère de quelque Divinité l'ait jeté, je saurai bien l'en retirer. Plaise aux Dieux qu'il soit encore vivant! Pour vous je vous renvoyerai avec les meilleurs vaisseaux qui ont jamais été construits dans l'île de Crète; ils sont faits du bois coupé sur le véritable mont Ida, où Jupiter naquit. Ce bois sacré ne sauroit périr dans les flots : les vents et les rochers le craignent et le respectent. Neptune même, dans son plus grand courroux, n'oseroit soulever les vagues contre lui. Assurez-vous donc que vous retournerez heureusement à Ithaque sans peine, et qu'aucune Divinité ennemie ne pourra plus vous faire errer

sur tant de mers; le trajet est court et facile. Renvoyez le vaisseau phénicien qui vous a portés jusqu'ici, et ne songez qu'à acquérir la gloire d'établir le nouveau royaume d'Idoménée pour réparer tous ses malheurs. C'est à ce prix, ô fils d'Ulysse, que vous serez jugé digne de votre père. Quand même les destinées rigoureuses l'auroient déjà fait descendre dans le sombre royaume de Pluton, toute la Grèce, charmée, croira le revoir en vous.

A ces mots, Télémaque interrompit Idoménée: Renvoyons, dit-il, le vaisseau phénicien. Que tardonsnous à prendre les armes pour attaquer vos ennemis? ils sont devenus les nôtres. Si nous avons été victorieux en combattant dans la Sicile pour Aceste, Troyen et ennemi de la Grèce, ne serons-nous pas encore plus ardents et plus favorisés des Dieux, quand nous combattrons pour un des héros grecs qui ont renversé l'injuste ville de Priam? L'oracle que nous venons d'entendre ne nous permet pas d'en douter.

FIN DU LIVRE NEUVIÈME.

LIVRE X.

1

SOMMAIRE.

cette

IDOMÉNÉE informe Mentor du sujet de la guerre contre les Manduriens. Il lui raconte que ces peuples lui avoient cédé d'abord la côte de l'Hespérie où il a fondé sa ville; qu'ils s'étoient retirés sur les montagnes voisines, où quelques-uns des leurs ayant été maltraités par une troupe de ses gens, nation lui avoit député deux vieillards avec lesquels il avoit réglé des articles de paix ; qu'après une infraction de ce traité, faite par ceux des siens qui l'ignoroient, ces peuples se préparoient à lui faire la guerre. Pendant ce récit d'Idoménée, les Manduriens, qui s'étoient hâtés de prendre les armes, se présentent aux portes de Salente. Nestor, Philoctète, Phalante, qu'Idoménée croyoit neutres, sont contre lui dans l'armée des Manduriens. Mentor sort de Salente, et va seul proposer aux ennemis des conditions de paix.

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