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n'avait pas refusé un gîte et du pain à nos tristes vaincus de Waterloo; il n'y avait pas d'animosité contre Bonaparte, pas de ressentiment contre la tyrannie militaire, pas d'amour du repos et de préférence studieuse, qui pût tenir à un pareil spectacle, chez un homme aussi droit, aussi impressionnable que l'était Courier. Aussi bientôt se montra-t-il parmi les adversaires du nouvel ordre de choses. Alors seulement il éprouva quelque fierté d'avoir autrefois combattu l'étranger dans les armées de la république; alors aussi il cessa de se désavouer luimême comme soldat de l'empire; car à Florence, à Mayence, à Marengo, à Wagram, c'était le même drapeau, c'était la même nécessité révolutionnaire, vaincre pour n'être pas enchaînés, conquérir pour n'être pas conquis.

mots grecs, avoir détruit le palladium de Florence. | Coblentz, hypocritement parée de l'olivier de paix. Les bibliothécaires dénoncèrent Courier au monde Mais, voir la France deux fois envahie, pillée, insavant, comme ayant anéanti ce grec dans l'original sultée, mise à contribution, et tous ces malheurs, pour trafiquer de la copie, ou pour empêcher qu'on toute cette honte ne tourner d'abord qu'au profit pût vérifier la découverte qu'il s'attribuait. L'affaire d'une famille qui trouvait le trône vide et s'y reeût fait peu de bruit si Courier n'eût voulu répondre plaçait; voir une poignée d'émigrés, vagabonds et aux attaques des bouquinistes qui le poursuivaient; mendiants de la veille, se donner l'orgueil et remais il fit, sous le titre de Lettre à M. Renouard, vendiquer insolemment l'odieux de ces deux conlibraire de Paris, qui s'était trouvé présent à la quêtes ; voir d'affreuses persécutions éclater jusque découverte du Longus, quelques pages remplies de dans la plus paisible, et de tout temps la moins réce fiel satirique, de cette verve de raillerie mépri-volutionnaire de nos provinces, contre quiconque sante et cruelle, dont il n'y avait plus de modèles depuis les réponses de Voltaire à Fréron et à Desfontaines; et c'était le style des Provinciales. La lettre à Monsieur Renouard ne pouvait manquer d'attirer l'attention. Le gouvernement lui-même s'en inquiéta. Courier avait voulu intéresser à sa querelle l'opinion française, toute faible qu'elle était alors. Il insinuait que les pédants florentins ne s'attaquaient à lui si vivement que parce qu'il était Français, et qu'on était bien aise en Italie de s'en prendre à un pauvre savant de la haine qu'inspirait la vice-royauté. La chose étant montée si haut, on sut que l'homme de la tache d'encre était précisément un chef d'escadron qu'on réclamait à l'armée depuis Wagram. Voilà Courier dans un grand embarras pour s'être si bien vengé des bibliothécaires florentins. Le ministre de l'intérieur En se déterminant à élever la voix et à dire au puvoulait le poursuivre comme voleur de grec, et dans blic son avis sur les affaires, Courier avait senti, le même temps celui de la guerre prétendait le faire comme un autre, le besoin d'arranger son personjuger comme déserteur. Il s'en tira toutefois, mais nage; et, par un bonheur peu commun, tout dans à la condition de ne plus employer contre personne sa vie passée prenait sans effort le caractère du pacette plume qui venait de révéler sa terrible puis-triotisme le plus désintéressé. La singularité si rare sance: il se le tint pour dit. Courier ne fit donc plus qu'étudier et voyager jusqu'à la paix. Il voyageait en 1812, à l'époque de la conspiration de Mallet. Il était sans passe-port; on l'arrêta comme suspect, puis on le relâcha en reconnaissant qu'il ne se mêlait point de politique. Ce fut là son dernier démêlé avec le régime militaire impérial.

La restauration des Bourbons, le retour et la seconde chute de Bonaparte, se succédèrent trop rapidement pour tirer Courier de l'inactivité politique à laquelle il s'était condamné. La catastrophe lui avait paru dès longtemps inévitable, et peut-être il y voyait à gémir à la fois et à espérer. D'ailleurs, un mariage, qui, sur ces entrefaites mêmes, était venu combler tous ses vœux, l'absorbait en partie. Ainsi, dans ces deux années désastreuses, dont les résultats dominent encore l'époque actuelle, Courier ne prit point parti entre Bonaparte et la coalition, entre la vieille cause de Fleurus, qui de lassitude laissait tomber l'épée, et celle de

d'avoir été quinze ans les armes à la main contre les coalitions et l'émigration, sans obtenir, sans briguer faveur ni titres, sans être d'aucun des partis qui s'étaient disputé le pouvoir, lui devenait d'un merveilleux secours pour l'autorité de ses paroles. Ce qui parfois était le fait d'une humeur un peu bizarre, d'un esprit distrait et capricieux, passait sur le compte de la fermeté de caractère et de la supériorité de jugement. Le vigneron de Touraine faisait désormais un même homme avec l'ancien canonnier à cheval. Ce n'était plus par hasard, mais par amour du pays, qu'il était allé à la frontière en 1792. Ce n'était plus par insouciance qu'il était demeuré dans son humble condition, mais par haine du pouvoir qui corrompt. Soldat par devoir, paysan par goût, écrivain par passe-temps, tel il se donnait et tel il fut pris. D'ailleurs ne voulant de la charte qu'autant que le gouvernement en voulait, ni plus ni moins, et ne croyant pas à la subite illumination des aveugles-nés, il prétendait appeler les choses

tion de Luynes. Ses amis avaient tous blâmé l'âpreté de ce nouvel écrit. Lui s'étonnait qu'on pût y voir autre chose que ce que tout le monde pensait des académies et de certains académiciens. On sait l'his

succéder, à l'Académie des inscriptions, à Clavier, son beau-père. A l'en croire, il avait parole du plus grand nombre des académiciens, et cependant, au jour de l'élection, il avait été unanimement rejeté. Il s'en fâcha et fit la lettre. On remarqua que, puisqu'il avait trouvé la place de Clavier assez honorable pour la vouloir occuper après lui, il s'était fustigé lui-même sur cette prétention en voulant humilier le corps entier des académiciens; qu'il était peu con

mie, uniquement fondée, d'après son dire actuel, « pour composer des devises aux tapisseries du roi « et, en un besoin, aux bonbons de la reine. » Si Courier était coupable ici de quelque légèreté, il en fut

par leur nom, parler aux puissances, suivant leurs intentions bien connues, et non pas suivant celles qu'une opposition trop polie voulait bien leur accorder: l'attitude était vraiment unique. En tout cela Courier n'obéissait pas moins à l'ins-toire de cette lettre. Courier s'était présenté pour tinct de son talent qu'à son indignation d'honnête homme et de citoyen, contre un système de persécution qui atteignait autour de lui quiconque ne voulait point être persécuteur. Son début ne se fit pas longtemps attendre. Au mois de décembre 1816, il adressa aux chambres, pour les habitants de Luynes, la fameuse pétition : Messieurs, je suis Tourangeau: la sensation fut des plus vives. Ce n'était que le tableau de la réaction royaliste dans un village de Touraine; mais la France entière s'y pou-séquent à lui d'avoir frappé à la porte d'une acadévait reconnaître, car partout la situation était la même, avec une égale impossibilité de publier la vérité. Courier avait rendu à la nation cet immense service de publicité, dans un écrit de six pages fait pour être recherché de ceux mêmes qui, s'intéres-puni dans le temps par l'endroit le plus sensible à un sant moins aux victimes qu'aux persécuteurs, se piquaient d'aimer l'esprit en gens de cour. Or, c'é- | tait là le point: tout dire dans une feuille d'impression, et savoir se faire lire. Courier y avait réussi; aucune porte fermée n'avait pu empêcher cette vérité d'arriver à son adresse. M. Decazes, alors ministre de la police, se servit de la pétition contre le parti extrême qu'il ne gouvernait plus et qui voulait le renverser lui-même. Il chercha par toutes sortes de moyens à s'attacher Courier, mais inutilement. Courier ne voulait pas plus qu'auparavant se faire une carrière politique. Il était bien réellement paysan, occupé de sa vigne, de ses bois, de ses champs. Précisément alors ses propriétés avaient à souffrir de la part de gens qui trouvaient protection auprès des autorités du pays; et il était toujours allant et venant de Paris à sa terre, de sa terre à Paris, poussant un procès contre l'un, demandant inutilement justice contre l'autre. Comme M. Decazes réitérait auprès de lui ses assurances d'envie de lui être utile, il crut pouvoir profiter de dispositions si rares de la part d'un ministre, au moins pour obtenir dans son village, repos du côté des autorités, et satisfaction de ceux qui volaient impunément ses bois. Il parut dans les salons ministériels du temps, et cela seul suffit pour faire changer de conduite à son égard le préfet du département, et tout ce qui dépendait du préfet. C'était là tout ce qu'il voulait ; il remercia, salua, et ne reparut plus.

La lettre A Messieurs de l'Académie des inscriptions et belles-lettres, donnée en 1820, coupa court aux petites attentions ministérielles, dont Courier avait continué d'être l'objet depuis la péti

auteur. Sa lettre aujourd'hui si admirée n'eut d'abord point de succès. Ce qu'on appelait la méchanceté et la vanité blessée de l'académicien aspirant, ferma beaucoup d'yeux sur l'art infini avec lequel était composé ce petit écrit, ou plutôt on fut sciemment injuste, parce que la personnalité maniée si cruellement effraye jusqu'aux rieurs, pour peu qu'ils soient exposés à rencontrer un si terrible homme et à lui déplaire. « Nulle part cependant Courier n'a répandu avec plus de bonheur les traits d'une satire « à la fois bouffonne et sérieuse, qui excite le rire << en même temps qu'elle soulève l'indignation et le mépris, telle qu'on l'admire dans les immortelles

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« Provinciales. » C'est le jugement émis par Courier lui-même dans une courte notice sur sa personne et sur ses écrits, qui n'a point été publiée sous son nom, mais dans laquelle il est impossible de le méconnaître, et dont il serait ridicule de rougir ici pour lui 1. S'il était possible de prendre ainsi sur le fait tous ceux qui, dans les biographies et dans les journaux, se sont chargés de parler d'eux-mêmes, et l'ont fait avec quelque avantage pour leur réputation, l'histoire littéraire de ce temps aurait à recueillir nombre de plaisantes confidences d'amour-propre : tel n'est point le caractère de la petite notice dont il est question ici. Courier n'y a point changé sa manière si connue; il n'a probablement ni espéré ni désiré qu'on s'y trompât; et sans précautions oratoires, sans ambages, sans grimaces de fausse

L'opinion de Madame Courier et de quelques personnes qui ont connu très-particulièrement Courier, est que cette notice n'est point de lui. L'auteur de cet Essai a cru pouvoir, malgré des autorités si respectables, persister dans l'assertion

qu'il a émise ici.

modestie, il a dit de chacun de ses écrits, bonne-
ment, franchement, avec la plus naïve conviction,
ce qu'il en pensait. Ce trait peint bien moins les
mœurs littéraires de l'époque qu'il ne peint Courier
lui-même. Le curieux n'est point en effet à ce qu'il |
se soit loué de sa propre plume comme tant d'autres,
mais au peu de façon et de déguisement avec lequel
il s'est rendu ce petit témoignage d'une bonne con-
science.

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rieux coup d'œil jeté sur elle avec un sentiment si juste de sa valeur d'écrivain. Il est bien impossible de ne pas s'aider de cette curieuse pièce quand on l'a sous les yeux, et ce serait faire au lecteur un véritable tort, que de ne pas laisser parler Courier toutes les fois qu'on est de son avis sur lui-même. On accepte bien un grand capitaine ou un politique fameux pour historien de ses propres actions : on trouve même qu'il est trop peu de tels historiens; que le plus capable de faire de grandes choses est aussi le plus capable d'en bien parler. Pourquoi un grand écrivain ne serait-il pas aussi quelquefois le meilleur commentateur de ses propres ouvrages? Courier, par exemple, l'homme de son temps qui sut le mieux l'histoire de notre langue, le seul qui ait possédé le génie particulier de chacun des âges de cette langue, quel serait aujourd'hui le critique compétent à le juger sur toutes ses parties d'écrivain? Boileau, le grand critique du dix-septième siècle, n'osa point parler de la Fontaine ; Voltaire en déraisonna; et jusqu'à ces derniers temps, c'est

Après tout, qu'on ne s'y trompe pas, ces éloges sont, littérairement parlant, l'exacte mesure de l'homme, telle qu'on serait charmé de l'avoir de Corneille, de la Fontaine, de Montesquieu, de Molière, si ces grands écrivains avaient été capables de parler d'eux-mêmes avec cette liberté ou plutôt cette ingénuité de bonne opinion. N'est-ce point, par exemple, une bonne fortune de trouver sur les Lettres au Censeur, qui parurent en 1820, l'opinion de l'écrivain même qui nous ravit, et nous vengea par ces hardis opuscules? « La petite col«lection des Lettres au Censeur, dit Courier, commença à populariser le nom de l'auteur. Jusque-à-dire jusqu'à Paul Courier, le bonhomme, dont là, les éloquentes et courageuses dénonciations Molière seul comprit la supériorité, n'avait peutdont il avait poursuivi les magistrats iniques qui être rencontré ni biographe, ni commentateur qui « faisaient peser leur despotisme sur la population en sût assez pour parler de lui. « timide et muette des campagnes, n'avaient guère « retenti au delà du département d'Indre-et-Loire. « Il était l'écrivain patriote de sa commune, de son ⚫ canton; il n'était pas encore l'homme populaire « de toute la France. Les Lettres au Censeur, assez ⚫ répandues, révélèrent au public ce talent et ce « courage nouveau d'un sincère ami du pays, dont l'esprit élevé au-dessus de tous les préju és voit partout la vérité, la dit sans aucune crainte, et la « dit de manière à la rendre accessible à tous, vulgaire, et, si l'on veut même, triviale et villageoise. Ajoutez à cela que, par un prodige tout à fait « inouï, cet écrivain, qui semble ne chercher que • le bon sens, s'exprime avec une pureté et une élégance de langage entièrement perdues de nos jours, et qui empreint ses écrits d'un caractère a inimitable.

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Tout le monde assurément aura reconnu ici la plume du maître, et s'il est impossible de rien ajouter à cet éloge des Lettres au Censeur, on conviendra aussi qu'il n'y a rien à en ôter. C'est de ce même ton, avec cette même absence de pruderie littéraire, que la notice, dont l'anonyme est assez dévoilé, continue l'histoire et l'examen des écrits du vigneron de la Chavonnière. Cette notice est postérieure au Pamphlet des pamphlets, et conséquemment le dernier écrit de Courier, comme s'il eût du terminer sa carrière par ce rapide et glo

Entre la dernière Lettre au Censeur, et le Simple discours sur la souscription pour Chambord, il y eut un immense progrès dans la réputation de Courier; cependant le talent est le même dans ces deux opuscules. Tout l'avantage du Simple discours est dans l'à-propos, aussi heureux que hardi, de ce fer chaud appliqué sur l'épaule des courtisans, dans le temps même où ils s'agitaient pour donner à un tribut imposé à la faiblesse de beaucoup de gens la couleur d'une amoureuse offrande nationale. Courier fut condamné pour cette brochure à deux mois de prison et à trois cents francs d'amende. On trouva qu'en disant tout haut: Je ne souscrirai point pour donner Chambord au duc de Bordeaux, il avait offensé la morale. « Or, le Simple discours, comme dit très-bien le biographe anonyme, est un des plus éloquents plaidoyers qu'on ait parlés jamais en faveur de la morale, non publique et telle qu'on l'inscrit dans nos lois, mais de la morale véritable, telle que les croyances populaires l'ont reconnue. » On ne s'étonnera point de voir ce mot d'éloquence appliqué à une production en apparence toute simple, toute naïve. Le vigneron de la Chavonnière semble ne parler qu'à des paysans comme lui; mais tout en s'accommodant à leur intelligence, il trouve moyen de faire entendre sur la cour, sur les courtisans, sur les mœurs de l'ancien régime, naturellement rappelées par Chambord, ce lieu témoin de

tant d'illustres débauches, des choses à faire frémir | prêtre, excusé et plaint comme homme, intéresse les intéressés.

La brochure dans laquelle Courier rend compte de son procès, est elle-même un délicieux pamphlet. Quant à l'admirable plaidoyer qui le termine, on ne pense pas que Courier ait jamais sérieusement pensé à le réciter en face de ses juges. Il avait montré trop d'émotion dans les réponses, où il se peint d'une fermeté et d'une ironie si imperturbables, pour être capable de l'assurance nécessaire au débit d'un pareil morceau. Il est probable même que cette harangue étudiée, si belle à la lecture, eût manqué son effet à l'audience; on y eût trop reconnu les effets oratoires calculés dans le cabinet. Si la parole est souveraine, c'est quand l'enfantement de la pensée est visible comme un spectacle, c'est quand un homme privilégié semble divulguer à toute une assemblée le secret de la plus haute des facultés humaines, l'inspiration.

La veille du jour où expirait sa détention de deux mois, Courier fut tiré de la prison de Sainte-Pélagie et conduit devant le tribunal pour un nouveau pamphlet, la Pétition pour des villageois qu'on empêche de danser. Il en fut quitte cette fois pour une simple réprimande; mais, reconnaissant à ce second réquisitoire qu'il lui était désormais impossible de causer, comme il le disait, avec le gouvernement, par la voie de la presse légale, il eut recours à la presse clandestine. Son secret fut si bien gardé, que ses meilleurs amis ne surent pas comment il s'y prenait pour faire imprimer et répandre ses nouvelles causeries, lesquelles se succédaient avec une rapidité plus surprenante encore pour ceux qui avaient entendu parler de la sévérité et de la nécessaire lenteur que Courier apportait dans ses compositions. Ainsi parurent de 1822 à 1824, sans être avouées de leur auteur, mais le faisant trop bien reconnaître, la première et la deuxième réponse aux anonymes; l'une des deux admirable par le récit du forfait de Maingrat, et cette poétique et vivante peinture des combats du jeune prêtre confessant la jeune fille qu'il aime; enfin par ce continuel et si facile passage de la simplicité villageoise la plus naïve, au pathétique le plus déchirant et au raisonnement le plus rigoureux, le plus élevé, le plus entraînant. Tout le dix-huitième siècle a écrit contre les couvents d'hommes et de femmes, contre les vœux de religion, contre la confession des jeunes filles par les jeunes prêtres. Si l'on en excepte la profession de foi du vicaire savoyard de Jean-Jacques, qu'at-on produit dans ce siècle de guerre emportée qui fasse descendre dans les âmes la conviction de l'abus, aussi bien que cette éloquente lettre ou le

presque dans son irrésistible passion, comme victime de cette robe qui n'empêche point le cœur de battre, mais qui lui prescrit le mensonge s'il est faible, qui le pousse au meurtre si la peur de voir révéler son secret l'a saisi.

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Le Livret de Paul-Louis, la Gazette du village, ces croquis délicieux, ces comiques boutades d'un ennemi du gouvernement, plus artiste et homme d'esprit que factieux; enfin la Pièce diplomatique, supposition bien hardie, sans doute, de ce qui pouvait se passer en 1823 au fond d'une âme royale quelque peu double et assez mal dévote, précédèrent de très-peu de temps le Pamphlet des pamphlets, qui fut le chant du cygne, comme on l'a bien et tristement dit quelque part. « Cet ouvrage, a dit << Courier dans la notice anonyme, est, à propre«ment parler, la justification de tous les autres. L'auteur, qui toujours a su resserrer en quelques « pages les vérités qu'il a voulu dire, s'attache à « démontrer que le pamphlet est, de sa nature, la plus excellente sorte de livre, la seule vraiment « populaire par sa brièveté même. Les gros ou« vrages peuvent être bons pour les désœuvrés des « salons; le pamphlet s'adresse aux gens laborieux « de qui les mains n'ont pas le loisir de feuilleter « une centaine de pages. Cette thèse heureuse à la « fois et ingénieuse est soutenue en une façon qu'on « appellerait volontiers dramatique. L'opinion d'un << libraire parisien est mise en face de celle d'un << baronnet anglais; l'un prétend flétrir, l'autre glo« rifier l'auteur du titre de pamphlétaire; et des « débats sortent une foule de ces bonnes vérités «qui vont à leur adresse. » Voilà bien l'esquisse décolorée, ou, si l'on veut, tout simplement la donnée du Pamphlet des pamphlets. Mais ici le biographe anonyme laisse trop à dire sur ce magnifique discours dont la lecture doit rendre à jamais déplorable la fin prématurée de Courier. Tout ce qu'il avait produit jusque-là, parfait à beaucoup d'égards, n'était point sans déplaire à quelques lecteurs par le retour fréquent des mêmes formes, par le suranné d'expressions qui montrent la recherche et n'ajoutent pas toujours au sens, par le maniéré de cette naïveté villageoise, un peu trop ingénieuse, qui va se transformant à travers les combinaisons de raisonnements les plus déliées, du paysan au savant et du soldat au philosophe. En un mot, l'art du monde le plus raffiné semblait embarrassé de lui-même. Ce pamphlétaire, qui ne se gênait d'aucune vérité périlleuse à dire, hésitait sur un mot, sur une virgule, se montrait timide à toute façon de parler qui n'était pas de la langue de ses auteurs. Le

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Pamphlet des pamphlets montra le talent de Courier arrivé à ce période de puissance où l'écrivain n'imite plus personne et prétend servir d'exemple à son tour. On peut voir dans sa correspondance avec madame Courier la confiance lui venant avec ses succès. D'abord il s'étonne, il s'effraye presque de sa célébrité si rapide, il la comprend à peine. N'ayant eu jusque-là de l'esprit que pour lui et pour quelques amis, il semble ne pouvoir se reconnaître dans l'écrivain qui fait la curiosité des salons, et que les feuilles publiques appellent le Rabelais de la politique, le Montaigne du siècle, l'émule heureux de Pascal, l'imitateur heureux de tout ce qu'il y a jamais eu d'inimitable. Mais, assez vite, PaulLouis se rassure; il s'habitue à sa réputation; il éprouve la sympathie universelle du public français pour un talent qu'il n'avait connu, lui, que par le laborieux et pénible côté de la composition. A mesure qu'il produit, on peut remarquer son allure plus dégagée, plus libre, sa manière se séparant de plus en plus de celle des écrivains auxquels on a pu d'abord le comparer, jusqu'à ce qu'enfin elle soit tout à fait l'expression de l'originalité de son esprit et de la trempe un peu sauvage de son caractère. Cet assouplissement graduel est assez marqué depuis la lettre à Monsieur Renouard jusqu'au Simple discours; mais, depuis le Simple discours jusqu'au Pamphlet des pamphlets, il l'est bien davantage. C'est là seulement que la lente formation de ce talent de premier ordre, qui tout à l'heure va disparaître, est accomplie. La maturité peut-être un peu factice des premiers écrits de Courier a fait place à une maturité réelle, dans laquelle la vigueur est alliée à la grâce et l'originalité la plus âpre au naturel le plus parfait. On voit que ce lumineux et mordant génie a rencontré enfin la langue qui convient à ses amères impressions sur les hommes et les choses de son temps, et qu'il va marcher armé de toutes pièces. Dans le Pamphlet des pamphlets ce n'est plus un villageois discourant savamment sur les intérêts publics, c'est Paul-Louis se livrant avec une sorte d'enthousiasme au besoin de dire sa vocation de pamphlétaire et de la venger des mépris d'une portion de la société. Il s'est mis en cause commune avec Socrate, Pascal, Cicéron, Franklin, Démosthène, saint Paul, saint Basile; il s'est environné de ces grands hommes, comme d'une glorieuse milice d'apôtres de la liberté de penser, de publier, d'imprimer; il les montre pamphlétaires comme lui, faisant, chacun de son temps, contre une tyrannie ou contre l'autre, ce qu'il a fait du sien, lançant de petits écrits, attirant, prêchant, enseignant le peuple, malgré les plaisante

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ries de la cour, le blâme des honnêtes gens, la fureur des hypocrites et les réquisitoires du parquet; les uns allant en prison comme lui, les autres forcés d'avaler la ciguë ou mourant sous le fer de quelque ignoble soldat. Voilà le Pamphlet des pamphlets, morceau d'un entraînement irrésistible, et dont le style, d'un bout à l'autre en harmonie avec le mouvement de l'inspiration la plus capricieuse et la plus hardie, est peut-être ce que l'on peut citer dans notre langue de plus achevé comme goût et de plus merveilleux comme art.

On ne s'est point arrêté aux derniers travaux de Courier comme helléniste. Le plus important, sa traduction d'Hérodote, n'a point été achevé. Ce n'est guère ici le lieu de discuter le système dans lequel cette traduction a été commencée. Courier s'en est expliqué dans une préface qui n'a point mis tout le monde de son avis, mais qui a peut-être donné l'idée la plus complète des richesses littéraires silencieusement acquises par lui pendant ses campagnes, ses voyages, ses séjours à Naples, à Rome, à Paris, et sa dernière retraite en Touraine. Ce n'est pas trop de dire qu'il avait encore toute une réputation à se faire comme critique.

Voilà l'écrivain que la France a perdu dans toute la vigueur de son talent, et la tête plus que jamais pleine de projets. L'Europe sait que Paul-Louis Courier a été, le 10 avril 1825, atteint d'un coup de fusil à quelques pas de sa maison, et qu'il est mort sur la place.

On verra qu'une année avant sa tragique fin, Courier se faisait dire dans son Livret : Paul-Louis, les cagots te tueront. Le procès auquel a donné lieu cette déplorable mort n'a point accusé les cagots: aujourd'hui même encore on n'accuse personne. Quelques amis de Courier savent seulement que, devenu dans ses dernières années d'une humeur assez difficile, il n'était pas sans ennemis dans son voisinage. Mais ce dont il est impossible de n'être pas vivement 'frappé, c'est le vague pressentiment de malheur qui règne dans la dernière partie du Pamphlet des pamphlets. Quelques lignes semblent être un confus adieu de Courier à la vie, à ses études favorites, à sa carrière déjà si glorieuse, un involontaire retour sur lui-même, et comme un touchant désaveu de ses préventions contre son temps. « Détournez de moi ce calice, dit-il; la ciguë est amère, et le monde se convertit assez sans que je m'en mêle, chétif; je serai la mouche du coche, qui se passera bien de mon bourdonnement; il mes chers amis, et ne cesse d'aller. Si sa mar« che nous paraît lente, c'est que nous vivons un « instant; mais que de chemin il a fait depuis cinq

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