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voulait plus, il voulait une amende, que messieurs de la justice ont bravement refusée. Le battu ne paye pas l'amende; c'est quelque chose, c'est beaucoup au temps où nous vivons. Il n'en faut pas exiger plus, et ce courage aux juges pourra ne pas durer.

Le maire, ainsi vainqueur du prêtre octogénaire, après avoir battu, dans une seule personne, la danse et la révolution, se flatte avec raison des bonnes grâces du parti puissant et gouver. nant. C'est une action d'éclat dont on lui saura gré, d'autant plus qu'ayant pour tout bien une terre qui appartient à M. le marquis de Chabrillant, bien d'émigré s'il faut le dire, il semblerait intéressé à se conduire tout autrement, et ne devrait pas être ami de la contre-révolution. Mais son calcul est fin; il raisonne à merveille. Se rangeant avec ceux qui le nomment voleur, il fait rage contre ceux qui le veulent maintenir dans så propriété; conduite très-adroite. Si ces derniers triomphent, la révolution demeure, et tout ce qu'elle a fait ; il tient le marquisat, se moque du marquis. Les autres l'emportant, il pense mériter non-seulement sa grâce et de n'être pas pendu, mais récompense, emploi, et peut-être, qui sait? quelque autre terre confisquée sur les libéraux lorsqu'ils seront émigrés.

- ANNONCE. Paul-Louis vend sa maison de Beauregard, acquise par lui de David Bacot, huguenot, et pourtant honnête homme. La demeure est jolie; le site, un des plus beaux qu'il y ait en Touraine, romantique de plus, et riche en souvenirs. Le château de la Bourdaisière se voit à peu de distance. Là furent inventées les faveurs par Babeau; là naquirent sept sœurs, galantes comme leur mère, et célèbres sous le nom des Sept pé-` chés mortels; une desquelles était Gabrielle, maîtresse de ce bon roi Henri, et de tant d'autres à la fois, féaux et courtois chevaliers. Par le seigneur lui-même, père des belles filles et mari de Babeau, cette terre fut nommée un clapier de p.t.... Vieux temps, antiques mœurs, qu'êtes-vous devenus? On aura ces souvenirs par-dessus le marché, en achetant Beauregard, voisin de la Bourdaisière.

On aura trente arpents de terre, vigne et pré, grande propriété sur nos rives du Cher, où tout est divisé, où se trouvent à peine deux arpents d'un tenant, susceptibles d'ailleurs de beaucoup augmenter en valeur ou en étendue, selon les chances de la guerre

qui se fait maintenant en Espagne. Car si le Trappiste là-bas met l'inquisition à la place de la constitution, Beauregard aussitôt redevient ce qu'il était jadis, fief, terre seigneuriale, étant bâti pour cela. Tours, tourelles, colombier, girouette, rien n'y manque. Vol du chapon, jambage, cuissage, etc., nous en avons les titres. Par le triomphe du Trappiste et le retour du bon régime, la petite culture disparaît, le seigneur de Beauregard s'arrondit et s'étend, soit en achetant à bas prix les terres que le vilain ne peut plus cultiver, soit en le plaidant à Paris devant messieurs de la grand'chambre, tous parents ou amis des possésseurs de fiefs, soit par voie de confiscation, ou autres moyens inventés ou pratiqués du temps des mœurs. Toute la garenne de Beauregard, si Dieu favorise don Antonio Maragnon, tout ce qui est maintenant plantation, vigne, verger, clos, jardin, pépinière, se convertit en nobles landes et pays de chasse à la grande bête, seigneurie de trois mille arpents, pouvant produire par an quinze cents livres tournois, et ne payant nul impôt. Beauregard gagne en domaines, mouvances, droits seigneuriaux, par la contrerévolution.

Si sa Révérence, au contraire, était malmenée en Espagne, et pendue, ce qu'à Dieu ne plaise! Beauregard alors est et demeure maison, terre de vilain, et à ce titre paye l'impôt; mais la petite culture continuant sous le régime de la révolution, par le partage des héritages et le progrès de l'industrie, nos trente arpents haussent en valeur, croissent en produits tous les ans, et quelque jour peuvent rapporter trois, quatre, cinq et six mille francs, que bon nombre de gens préfèrent à quinze cents livres tournois, tout en regrettant peut-être les droits et les mille arpents honorifiques de chasse au loup. En somme, il n'y a point de meilleur placement, plus profitable ni plus sûr, quoi qu'il puisse arriver; car enfin, si faut-il que le Trappiste batte ou soit battu. Dans les deux cas, Beauregard est bon, et le devient encore davantage.

Pour plus amples renseignements, s'adresser à Paul-Louis, vigneron, demeurant près ladite maison ou château, selon qu'il en ira de la conquête des Espagnes.

Au rédacteur de la GAZETTE DU VILLAGE.

MONSIEUR,

Je suis.... malheureux; j'ai fâché monsieur le maire; il me faut vendre tout, et quitter le pays. C'est fait de moi, monsieur, si je ne pars bientôt.

Un dimanche, l'an passé, après la Pentecôte, en ce temps-ci justement, il chassait aux cailles dans mon pré, l'herbe haute, prête à faucher, et si belle!... c'était pitié. Moi, voyant ce manége, monsieur, mon herbe confondue, perdue, je ne dis mot, et pourtant il m'en faisait grand mal; mais je me souvenais de Christophe, quand le maire lui prit sa fille unique, et au bout de huit jours la lui rendit gâtée. Je le fus voir alors : Si j'étais de toi, Christophe, ma foi je me plaindrais, lui dis-je. Ah! me ditil, n'est-ce pas monsieur le maire ? Pot de fer et pot de terre.... Il avait grand'raison; car il ne fait pas bon cosser avec telles gens, et j'en sais des nouvelles. Me souvenant de ce mot, je regardais et laissais monsieur le maire fouler, fourrager tout mon pré, comme eussent pu faire douze ou quinze sangliers, quand de fortune passent Pierre Houry d'Azai, Louis Bezard et sa femme, Jean Proust, la petite Bodin, allant à l'assemblée. Pierre s'arrête, rit, et en gaussant me dit: La voilà bonne ton herbe; vends-la-moi, Nicolas; je t'en donne dix sous, et tu me la faucheras. Moi, piqué, je réponds: Gageons que je vas lui dire!... Quoi? Gageons que j'y vas. Bouteille, me dit-il, que tu n'y vas pas! Bouteille? je lui tape dans la main. Bouteille chez Panvert, aux Portes de Fer. Va. Je pars, tenant mon chapeau ; j'aborde monsieur le maire. Monsieur, lui dis-je, monsieur, cela n'est pas bien à vous; non, cela n'est pas bien. Je gagnai la bouteille ainsi ; je me perdis. Je fus ruiné dès l'heure.

Ce qui plus lui fâchait, c'était sa compagnie, ces deux messieurs, et tous les passants regardant. M. le maire est gentilhomme par sa femme, née demoiselle : voilà pourquoi il nous tutoie et rudoie nous autres paysans, gens de peu, bons amis pourtant de feu son père. Il semble toujours avoir peur qu'on ne le prenne pour un de nous. S'il était noble de son chef, nous le trouverions accostable. Les nobles d'origine sont moins fiers, nous accueillent au contraire, nous caressent, et ne haïssent guère

COURIER.

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qu'une sorte de gens, les vilains anoblis, enrichis, parvenus.

Il ne répondit mot, et poursuivit sa chasse. Le lendemain, on m'assigne comme ayant outragé le maire dans ses fonctions; on me met en prison deux mois, monsieur, deux mois dans le temps des récoltes, au fort de nos travaux! Hors de là, je pensais reprendre ma charrue. Il me fait un procès pour un fossé, disant que ce fossé, au lieu d'être sur mon terrain, était sur le chemin. Je perdis encore un mois à suivre ce procès, que je gagnai vraiment ; mais je payai les frais. Il m'a fait cinq procès pareils, dont j'ai perdu trois, gagné deux; mais je paye toujours les frais. Il s'en va temps, monsieur, il est grand temps que je parte.

Quand j'épousai Lise Baillet, il me joua d'un autre tour. Le jour convenu, à l'heure dite, nous arrivons pour nous marier à la chambre de la commune. Il s'avise alors que mes papiers n'étaient pas en règle, n'en ayant rien dit jusque-là; et cepen: dant la noce prête, tout le voisinage paré, trois veaux, trentesix moutons tués.... Il nous en coûta nos épargnes de plus de dix ans. Qu'y faire ? il me fallut renvoyer les conviés, et m'en aller à Nantes querir d'autres papiers. Ma fiancée, qui avait peur que je ne revinsse pas, étant déjà embarrassée, en pensa mourir de tristesse, et de regret de sa noce perdue. Nous empruntâmes à grosse usure, afin de faire une autre noce quand je fus de retour, et cette fois il nous maria. Mais le soir... écoutez ceci : Nous dansions gaiement sur la place; car le curé ne l'avait pas encore défendu. Monsieur le maire envoie ses gens et ses chevaux caracoler tout au travers de nos contredanses. Son valet, qui est Italien, disait, en nous foulant aux pieds: Gente codarda e vile, soffrirai questo e peggio. Il prétend, ce valet, que notre nation est lâche, et capable de tout endurer désormais ; que ces choses chez lui ne se font point. Ils ont, dit-il, dans son pays, deux remèdes contre l'insolence de messieurs les maires, l'un appelé stilettata, l'autre scopettata. Ce sont leurs garanties, bien meilleures, selon lui, que notre conseil d'État. Où scopettade manque, stilettade s'emploie; au moyen de quoi là le peuple se fait respecter. Sans cela, dit-il, le pays ne serait pas tenable. Pour moi, je ne sais ce qui en est; mais semblable recette chez nous n'étant point d'usage, il ne me reste qu'un parti, de vendre ma besace et déloger sans bruit. Si je le rencontrais seule.

ment, je serais un homme perdu. Il me ferait remettre en prison comme ayant outragé le maire il conte ce qu'il veut dans ses procès-verbaux. Les témoins, au besoin, ne lui manquent jamais; contre lui ne s'en trouve aucun. Déposer contre le maire en justice, qui oserait?

Si vous parlez de ceci, monsieur, dans votre estimable journal, ne me nommez pas, je vous prie. Quelque part que je sois, il peut toujours m'atteindre. Un mot au maire du lieu, et me voilà coffré. Ces messieurs entre eux ne se refusent pas de pareils services.

Je suis, monsieur, etc.

Nota. En faveur de nos abonnés de la ville de Paris surtout, qui ne savent pas ce que c'est qu'un maire de village, nous publions cette lettre avec les précautions requises, toutefois, pour assurer l'incognito à notre bon correspondant. Tout Paris s’imagine qu'aux champs on vit heureux du lait de ses brebis, en les menant paître sous la garde, non des chiens seulement, mais des lois par malheur, il n'y a de lois qu'à Paris. Il vaut mieux être là ennemi déclaré des ministres, des grands, qu'ici ne pas plaire à monsieur le maire.

LIVRET

DE PAUL-LOUIS, VIGNERON,

PENDANT SON SÉJOUR A PARIS, EN MARS 1825.

AVIS DU LIBRAIRE-ÉDITEUR.

Nous ne donnons que des extraits du Livret de Paul-Louis, vigneron, dans lequel se trouvent beaucoup de choses intelligibles pour lui seul, d'autres trop hardies pour le temps, et qui pourraient lui faire de fåcneuses affaires. Nous avons supprimé ou adouci ces traits. Il faut respecter les puissances établies de Dieu sur la terre, et ne pas abuser de la liberté de la presse '.

Monsieur de Talleyrand, dans son discours au roi pour 'Nous n'avons pas besoin de dire que cet avis est de Courier lui-même ; il

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