Page images
PDF
EPUB

à la rescousse, de faire encore assez bonne figure dans le champ clos où vous nous pro

voquez.

Aussi bien, quand je parle du vieux harnais, n'est-ce point tout à fait une métaphore! Si fort occupé que vous soyez d'être un gouvernement de progrès, vous ne faites qu'endosser la défroque usée des ministres d'autrefois et remettre en batterie, sans même prendre la peine de la rajeunir, toute la vieille artillerie de l'anticléricalisme d'antan! Oh! j'ai tout reconnu au passage : les grands mots et les épithètes résonnantes, les confuses équivoques et les distinctions subtiles, la contre-révolution et ses « milices menaçantes », le cléricalisme qui est l'ennemi et le catholicisme qu'on vénère, le clergé séculier qu'on respecte et «< certaines associations » qu'on ne confond pas avec lui! J'ai tout reconnu, et aussi le candide empressement avec lequel, pareils à leurs anciens, les nouveaux coryphées du parti socialiste mordent à l'hameçon, cent fois tendu sous l'amorce anticléricale, par où les ministres avisés les tiennent en suspens, consolés, grâce à ce repas de digestion plus facile, du grand festin des

réformes sociales, toujours promis au peuple

et toujours différé.

I

Je n'ai garde, vous le voyez, Monsieur le Ministre, de donner dans le travers que vous signaliez à la Chambre, avec quelque indignation, m'a-t-il paru, quand, répondant à ceux qui opposaient à vos discours d'autrefois ceux de M. Millerand à Lille et à Limoges, vous vous plaigniez qu'on voulût « prêter au ministère une signification qu'il n'a pas, pour faire oublier au pays la signification qu'il a. » Ces deux significations de votre gouvernement ne sont pas, je l'avoue, sans causer d'abord au lecteur quelque trouble, insuffisamment dissipé par les vifs applaudissements à gauche et à l'extrêmegauche qu'enregistre l'Officiel, et le membre du Centre qui s'est aussitôt écrié : « Voilà qui est clair! » m'a semblé, il faut tout dire, d'une extrême perspicacité. Mais, à la réflexion, j'ai

compris qu'il avait raison. Au fait, cela est vrai : c'est très clair. Qui donc pouvait s'imaginer que l'active collaboration de M. Millerand, le chaleureux patronage de M. Viviani et l'impétueux concours de M. Zévaës allaient infailliblement jeter le gouvernement dans le socialisme le plus redoutable? D'abord, vous aviez pris la peine, dès vos premiers mots, de calmer ces inquiétudes par une déclaration, d'une aimable désinvolture, en annonçant que, lorsque vous n'auriez plus besoin des socialistes, mon Dieu! la situation serait bien simple! chacun reprendrait son programme et retournerait dans son camp, l'un à Saint-Mandé et l'autre à Roubaix. Et si cette promesse a pu paraître à quelques esprits scrupuleux un peu hasardée, au point de vue de la solidarité ministérielle, elle a sans doute suffisamment rassuré les consciences, puisque vous avez eu cent voix et plus de majorité, ce qui est, après tout, la grande affaire pour un ministre interpellé. Et puis, en somme, je comprends votre surprise devant une alarme si chaude, à vous, qui êtes un vieux routier de la politique: il faut, j'en conviens, que vous ayez affaire à des hommes encore bien mal au cou

rant des choses. On vous calomnie, vous et vos collègues, on calomnie vos protecteurs, cela est de toute évidence: je ne pense pas que vous ayez une si grande peine à modérer leurs ardeurs réformatrices. Des discours, oui, des manifestations, il le faut bien! mais des réformes, c'est une autre affaire.

Car, enfin, l'application de la loi de 1892 sur le travail des femmes et des enfants, l'amélioration de celle de 1884 sur les syndicats professionnels, l'inspection du travail, l'institution du risque professionnel en matière d'accidents, et même, horresco referens! l'introduction dans les cahiers des charges, dressés pour l'adjudication des travaux publics, de certaines clauses protectrices de la main-d'œuvre, bien entre nous, ce sont là des réformes banales, à force d'avoir été discutées, pratiquées depuis très longtemps dans d'autres pays, revendiquées dans le nôtre par beaucoup d'adversaires déclarés du socialisme, j'en sais quelque chose; et acceptées par presque tout le monde : et j'ai vraiment admiré la charité de M. l'abbé Lemire, lorsqu'il a tenu à féliciter hautement de ses actes M. le Ministre du commerce,

à l'occasion du budget de son département.

C'est pourtant à cela que se bornent jusqu'ici les fureurs sociales de vos nouveaux amis, moyennant quoi ils peuvent engourdir les impatiences de leur parti et reculer dans les champs lointains de l'hypothèse « féconde », comme parle M. Millerand, l'avènement promis du collectivisme, moyennant quoi ils peuvent aussi vous aider à terminer une grève redoutable, en faisant acclamer, comme une victoire, par les ouvriers, l'arbitrage où, cependant, vous leur donniez tort sur le point principal de leurs revendications, et même à faire rétrograder, en leur barrant la route avec des régiments, à l'instar des ministres réactionnaires, les bataillons de grévistes en marche sur Paris. Ce sont là d'inappréciables services.

Nous avons, vous et moi, n'est-il pas vrai, déjà connu ces socialistes de gouvernement. Ils s'appelaient, en ce temps-là, les radicaux, et ils tiennent, dans votre ministère, l'emploi que tenaient les radicaux d'autrefois dans les concentrations d'alors. Ils apportent les voix de l'extrême gauche, et, du reste, ils n'exigeront pas plus l'impôt global et progressif sur le

« PreviousContinue »