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« Qu'un de ces proscrits que votre proposition punit soit conduit en France, et qu'il y cherche un asile, qu'il aille frapper à la porte

de l'auteur même de la proposition, que cette porte s'ouvre, que le proscrit se nomme, qu'il entre, et moi je lui réponds d'avance de sa sûreté. »

Monsieur le Président du Conseil, si, demain, votre loi étant votée, et les congrégations qu'elle frappe étant dissoutes par la force, un de ces religieux, chassé de sa demeure, resté sans asile, venait frapper à votre porte, la lui fermeriez-vous ? Et s'il avait trouvé, avec quelqu'un de ses frères, un abri passager dans une demeure qui vous fût connue, dans une demeure amie, dites, iriez-vous dénoncer à la police le recéleur de moines? Moi, comme Martignac, je lui réponds d'avance de sa sûreté.

M. le Ministre de la Marine, étant le mois dernier à Brest, visitait l'hôpital maritime : on lui présente la supérieure, Soeur Agnès, des Filles de la Sagesse, décorée de la Légion d'honneur. Le ministre lui serre la main et lui demande depuis combien de temps elle est à l'hôpital : « Quarante ans. » — « « Je souhaite que

vous y restiez encore aussi longtemps. >> Qu'est-ce à dire ? Les Sœurs de la Sagesse forment une association dont les membres renoncent à se marier et à posséder. M. de Lanessan entend-il protester contre votre projet de loi et, par avance, en souhaiter la violation? Non, sans doute, il ne pense pas à cela; la franc-maçonnerie ne le lui permettrait pas. Seulement, il est ministre, il sait qu'il y a des responsabilités qu'on ne peut pas prendre, des choses qu'on dit, mais qu'on ne fait pas, des propositions qu'on dépose, pour les besoins de la politique, mais qu'aucun gouvernement régulier n'aura jamais l'audace d'appliquer.

Et tenez ! je gagerais presque que M. Leygues, à qui j'ai entendu faire, dans la commission de l'enseignement, des déclarations très libérales, quand il était ministre du cabinet Dupuy, est, au fond de son cœur, du même avis, à propos du second de vos projets fondamentaux, celui que vous appelez le projet sur le stage scolaire, et que M. Levraud, allant droit au but, en bon jacobin, appelle le projet sur le recrutement des fonctionnaires, Celui-là, Mon

sieur le Président du Conseil, ce n'est pas comme le projet sur le droit d'association : il ne vous appartient pas, non plus qu'à M. le ministre de l'instruction publique. C'est mon honorable collègue, M. Pochon, qui en a la gloire, en compagnie de M. Cocula. Vous n'êtes ici que le praticien l'œuvre a été conçue et pétrie

par un autre.

Ce qu'elle est, tout le monde le sait. Ici, les textes sont clairs et ne s'enveloppent d'aucune périphrase :

Tous les candidats aux fonctions publiques pour lesquelles l'enseignement secondaire ou supérieur est exigé, ainsi que tous les candidats aux grandes écoles du gouvernement, devront avoir fait leurs trois dernières années d'études dans un lycée ou un collège public. Les candidats ne pourront faire une demande d'emploi ou s'inscrire pour un examen qu'en présentant une attestation certifiant que ce stage a été accompli. Enfin, les établissements d'enseignement libre ne pourront conduire leurs élèves

aux classes du lycée que si leurs directeurs ou les maîtres attachés à la maison n'appartiennent pas à une association interdite par la loi, par cette loi dont j'ai, il y a un moment, résumé les principales dispositions.

J'observe, en passant, que vous avez renoncé à exiger le stage scolaire pour l'école primaire : M. Viviani vous en a blâmé, car, a-t-il dit, « la loi aurait eu là sa principale vertu en créant aux mains de l'État un véritable monopole », et je suis bien loin de me scandaliser de son langage: c'est la négation, très nette, de la liberté, « vieille formule » et « vocabulaire suranné », dont M. Viviani et ses amis n'entendent pas << rester les esclaves volontaires ». J'aime cette franchise et je la trouve préférable aux sophismes libéraux dont s'enveloppent certaines tyrannies. Mais je ne m'étonne pas du tout que vous ayez reculé devant les généralisations que réclame M. Viviani. L'école primaire conduit. à une foule d'emplois modestes auxquels aspirent un très grand nombre de citoyens : les soumettre au certificat de stage, en interdisant ainsi l'école libre à tous ces futurs petits fonctionnaires, c'eût été atteindre directement,

dans ses intérêts, la masse électorale. Avec le certificat d'études secondaires, vous n'atteignez que la bourgeoisie, et ce n'est pas elle qui fait la majorité dans les urnes. Vous avez compris cela, avec votre coup d'œil d'homme d'État, et M. Viviani le comprend certainement aussi. Je ne pense pas que ce désaccord soit pour vous diviser bien longtemps.

Voilà donc la proposition dite de scolarité ou mieux relative au recrutement des fonctionnaires. Elle se passe de tout commentaire, et, de fait, vous n'avez pas cru nécessaire de lui en donner beaucoup : l'exposé des motifs tient en quelques lignes, desquelles cependant il faut détacher une perle.

Le projet, on vient de le voir, exige de tous les candidats un certificat de stage de trois ans dans un établissement public et ne permet aux pensionnats libres de conduire leurs élèves aux classes du lycée, que s'ils sont autorisés par la loi. Or on lit, dans l'exposé des motifs : « Nous ne rétablissons par cette mesure ni le régime du certificat d'études, ni l'autorisation préalable. » Je gage que l'aimable M. Leygues n'a pas trouvé celle-là: il n'y a que vous, Monsieur le Prési

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