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revenu, la nationalisation des mines, des chemins de fer et de la Banque, que la séparation de l'Église et de l'État, la suppression du budget des cultes et celle de l'ambassadeur près du Vatican. C'est M. Alexandre Zévaës qui demandera cela il est jeune et il a des illusions! Vous ferez semblant de ne pas entendre, M. Millerand s'abstiendra, et ses amis voteront pour vous tout de même. Décidément, j'avais tort; c'est, en effet, très clair, et vous avez raison, votre ministère n'a point une signification si terrible je suis là-dessus beaucoup plus rassuré maintenant, je l'avoue, qu'un bon nombre de mes collègues.

Alors, quelle est l'autre, la vraie, celle que vous ne voulez pas qu'on fasse oublier au pays?

De méchantes langues ont soutenu que c'était l'acquittement de Dreyfus! Et il paraît bien qu'il y a quatre mois, vos pensées n'allaient point au delà de ce procès de Rennes, dont vous attendiez, sans doute, un autre dénouement, quand, pour éviter sur ce point et sur les

autres des débats importuns, vous vous hâtiez, à peine installé au pouvoir, de congédier les Chambres, ayant, par mégarde ou pour en finir plus vite, écarté les questions dont vous pressait un républicain inquiet, en laissant échapper cet imprudent aveu que la République n'était pas en danger! On ne s'avise pas de tout, si rompu qu'on soit dans l'art de la politique; et vous ne supposiez peut-être pas alors que des juges se rencontreraient assez indépendants et fiers pour obéir à leur conscience plutôt qu'à vos désirs. Peut-être aussi n'attendiez-vous pas que ce tragique prétoire où s'entassait pêlemêle, avec les insulteurs quotidiens des chefs de notre armée, l'auditoire cosmopolite, avide de leur humiliation, deviendrait pour ces généraux, pour ces officiers, voués d'avance à des outrages sans nom, un piédestal imprévu d'où leur droiture, leur intelligence et leur fermeté éclateraient à tous les yeux.

Vous avez eu cette surprise, et, en ministre avisé, dès que vous avez pu la pressentir, sentant ébranlé le fragile appui des treize voix que vous avait valu, au mois de juin, l'acquittement espéré, vous avez compris qu'il fallait à votre

gouvernement une signification nouvelle. Il y a, au théâtre, des procédés classiques qui ne manquent presque jamais leur effet, si connus qu'ils puissent être du public. C'est, je crois, ce qu'on appelle des trucs. Il y en a aussi en politique. La défense de la République en est un : depuis vingt ans, il sert à rallier les majorités troublées, presque aussi sûrement que le geste rituel, suprême ressource des heures de détresse, dont vous pûtes, il y a six mois, admirer, dit-on, la puissance. La République, en sécurité le 1o juillet, se trouva donc en danger vers le milieu d'août, le procès de Rennes s'acheminant vers la condamnation, et, pour que nul n'en pût douter, il arriva soudain qu'un triple complot, annoncé, l'année d'avant, par les conjurés eux-mêmes, dans le silence et le mystère de la place publique, ignoré cependant, fut, par une coïncidence heureuse, découvert juste au moment où vous cherchiez les moyens de sauver la République. Le hasard sert ainsi les audacieux et les habiles.

er

Arrestations en masse, détentions arbitraires, soixante-sept citoyens, députés, bouchers, gentilshommes, porteurs de viandes, raflés en une

matinée, quarante-cinq relâchés après six semaines de prison, sans un mot d'explication, les autres mis au secret pendant soixante-douze jours, perquisitions illégales à Paris, en province, dans les villes, dans les châteaux, où, comme dit la chanson,

On prit, ah! mes enfants!

Tout c'qui prouv' l'existence d'un complot!

enfin, ce qu'un monarque soupçonneux et absolu aurait pu ordonner de plus imprévu pour surprendre ses ennemis, vous l'avez fait, non, j'en suis sûr, sans quelque honte d'en être réduit là, mais, hélas! obligé d'y venir, puisque, enfin, la République était en danger, et votre ministère aussi. Suprema lex!

Ce complot, cependant, si sérieux qu'il pût être, ne vous a pas paru, contre les hasards parlementaires, une suffisante garantie, et, quelque soin que vous ayez pris, dans votre discours, d'en retracer les terreurs, on sent bien, à vous lire, que ce n'est encore qu'un accessoire. La défense de la République comporte une plus vaste mise en scène. Et, en effet, je m'explique très bien que vous ne vous trou

viez pas, sur ce terrain, en parfaite tranquillité.

Un complot, un attentat, cela est grave assurément! Mais encore faut-il, pour condamner des conspirateurs, les traduire devant une justice quelconque, je ne dis pas, cela va de soi, devant des juges capables d'acquitter, mais enfin, devant des juges qui devront, si résolus qu'ils soient à remplir en conscience leur tâche de juges politiques, se donner des airs de tribunal et c'est un procès! et, avec un procès, on ne sait jamais ce qui arrive!

Si l'accusation allait s'évanouir en fumée, au grand jour des interrogatoires! Si les irrégularités, si l'arbitraire de la procédure, allaient éclater trop bruyamment? Si la parole des accusés allait, au dehors, éveiller des échos trop vibrants! vous vous êtes dit que, n'ayant pour la défense de la République d'autre argument que celui-là, vous seriez, s'il venait à vous manquer, en mauvaise posture : et l'événement, de fait, a justifié vos inquiétudes, puisque, dès la première rencontre avec les juges, l'attentat s'est dérobé à leur empressement, ne laissant entre leurs mains qu'un complot, pour le moins mal établi, sur lequel ils ont, ce semble, malgré

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