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à quelques égards le genre métaphysique et analytique moderne. Cet essai a continué jusque dans les grands romans si chers à l'hôtel de Rambouillet. Au temps de Jean-Jacques Rousseau, la tentative a été reprise par une plume ardente, avec un talent supérieur et une appropriation directe à l'état des âmes. A partir seulement de cette date, on peut dire que le sentimental, aidé de l'éloquence et secondé du pittoresque, a fait invasion dans notre littérature. La philosophie du xvIIIe siècle, en attaquant le Christianisme, en avait, par contre-coup, ravivé le sentiment dans quelques âmes. Mme de Staël et M. de Chateaubriand, en survenant à l'heure propice, éveillèrent, chacun à sa manière, le goût du mystérieux ou de l'infini; il y eut une génération où plus d'un esprit ressentit de ces malaises et de ces désirs inconnus à nos pères. Le Christianisme, quand il se retire des âmes, y fait, a-t-on dit, un vide et un désert qu'elles ne connaissaient point avant lui. C'est alors que Lamartine paraissant trouva en poésie des accents nouveaux qui répondirent à ce vague état moral des imaginations et des cœurs. Toute sa première tentative poétique, la seule qui compte véritablement pour l'originalité, la tentative des Méditations, a consisté à vouloir doter la France d'une poésie sentimentale, métaphysique et un peu mystique, lyrique et musicale, religieuse et pourtant humaine, prenant les affections au sérieux et ne souriant pas. Il est tout simple que le grand représentant de cette poésie qui avait toujours manqué à la France, s'en prenne à La Fontaine qui est l'Homère de la vieille race gauloise. C'est après tout, et sous une forme assez naturelle, le combat des dieux nouveaux contre les dieux anciens.

Et notez bien que, s'il n'y avait pas de La Fontaine dans le passé, ou que si l'on cessait de le goûter et de l'aimer dans l'avenir, il n'y aurait pas ce coin d'esprit français mêlé jusque dans la poésie, qui ne se contente pas de la sensibilité pure, qui raille le vague du sentiment, et, pour tout dire, qui sourit souvent même aux beaux endroits de Lamartine. En deux mots, Lamartine vise habituellement à l'ange, et La Fontaine, s'il semble élever les bêtes jusqu'à l'homme, n'oublie jamais non plus que l'homme n'est que le premier des animaux.

On opposera peut-être à mon explication que Bernardin de Saint-Pierre, de qui Lamartine procède à bien des égards si

évidemment, et qui est un des maîtres de l'école idéale et harmonieuse, goûte pourtant et chérit La Fontaine autant que personne, et qu'il ne perd aucune occasion de le citer et de le louer. Mais je ferai remarquer que Bernardin de SaintPierre, en adoptant ainsi la morale du Fabuliste, n'est point, autant qu'on pourrait croire, en contradiction avec lui-même; car, si Bernardin est optimiste, c'est pour les hommes tels qu'il les rêve, et nullement pour ceux qu'il a rencontrés et connus ; il juge ces derniers avec sévérité bien plus qu'avec indulgence. Je ferai remarquer encore qu'il y a sous l'idéal de Bernardin de Saint-Pierre un arrière-fond, de réalité, comme il convient à un homme qui a beaucoup vécu de la vie pauvre et naturelle. On n'aurait même pas de peine à découvrir chez lui un certain goût sensuel que l'on pourrait dire innocent et primitif, contemporain des Patriarches, mais qui l'empêche de se perdre dans le raffiné des sentiments. Il avait beaucoup observé les animaux, et il s'était accoutumé à ne voir en eux qu'une sorte d'étage très-développé de l'édifice humain, une sorte de démembrement varié de l'harmonie humaine dans ses parties simples. Il disait de La Fontaine : « Si ses Fables n'étaient pas l'histoire des hommes, elles seraient encore pour moi un supplément à celle des animaux. » Lamartine, tout en tenant beaucoup de Bernardin, n'a pas également ce côté naturel; il échappe à la matière dès qu'il le peut, il n'a point de racines en terre, et il ramène volontiers en chaque rencontre son idéal séraphique et céleste : ce qui est l'opposé de La Fontaine.

Voilà, ce me semble, le point du débat bien défini et dégagé de tout ce qui serait trop personnel et injurieux. Maintenant La Fontaine sera-t-il vaincu? Sortira-t-il de la lutte amoindri et tant soit peu diminué en définitive, et cette belle poésie première de Lamartine, qui a excité tant d'émotions, fera-t-elle baisser d'un cran la sienne, si naturelle, si précise et si parlante? Je ne le crois pas, et l'on peut déjà s'en apercevoir : la poésie des Méditations est noble, volontiers sublime, éthérée et harmonieuse, mais vague; quand les sentiments généraux et flottants auxquels elle s'adressait dans les générations auront fait place à un autre souffle et à d'autres courants, quand la maladie morale qu'elle exprimait à la fois et qu'elle charmait, qu'elle caressait avec complaisance, aura complétement cessé, cette poésie sera moins sentie et moins comprise, car elle n'a

pas pris soin de s'encadrer et de se personnifier sous des images réelles et visibles, telles que les aime la race française, peu idéale et peu mystique de sa nature. Nous ne savons pas bien, personne, quelle est cette figure vaporeuse et à demi angélique d'Elvire. Le poëte a essayé depuis de nous la montrer en prose, mais ses vers ne le disaient pas. Le Lac, si admirable d'inspiration et de souffle, n'est pas lui-même si bien dessiné que les Deux Pigeons; et, quand j'entends réciter aujourd'hui, à quelques années de distance, quelqu'une de ces belles pièces lyriques qui sont de Lamartine ou de son école, j'ai besoin, moi-même qui ai été malade en mon temps de ce mal-là, d'y appliquer toute mon attention pour la saisir, tandis que La Fontaine me parle et me rit dès l'abord dans ses peintures:

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Et le début de Perrette au pot au lait, et celui des Deux Chèvres, et celui de la Perdrix :

Quand la Perdrix

Voit ses petits

- En danger, et n'ayant qu'une plume nouvelle...

et cent autres débuts brillants de vie et de fraîcheur, comme ils nous prennent aujourd'hui aussi vivement qu'au premier jour! comme ils ne vieillissent ni ne pâlissent pas ! Ici rien ne s'évanouit. Évidemment, La Fontaine ne se met à conter et à peindre que quand il a vu. Son tableau lui échappe pour ainsi dire, et nous saute aux yeux ; et, dès les quatre premiers vers, il nous a fait tout voir. — Je laisse à chacun de poursuivre la comparaison, et de conclure, s'il y a lieu. Ma conviction bien paisible, c'est que La Fontaine, comme Molière, n'a rien qu'à gagner du temps; le bon sens, si profondément mêlé à son talent unique et naïf, lui assure de plus en plus l'avenir.

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FIN DU TOME SEPTIÈME.

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Le Président de BROSSES, sa Vie, ses Lettres sur l'Italie....
VOLTAIRE ET Le Président de Brosses, ou Une Intrigue acadé-
mique au XVIIe siècle....

67

83

100

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LE CARDINAL De Richelieu, ses Lettres et Papiers d'État.

162

Papiers d'

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