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Mais si l'on ne doit pas, en donnant à l'idée générale commune à deux mots une puissance qu'elle n'a point, faire synonymes deux mots qui ne sauraient l'être, d'autre part il faut ne pas exagérer la force des idées accessoires qui distinguent des mots véritablemem syno nymes, au point de croire qu'il ne puisse jamais se présenter de cas où l'on ait le droit d'employer à son choix l'un ou l'autre de ces deux mots. << Toutes les fois, dit avec raison d'Alembert, que par la nature « du sujet qu'on traite, on n'a point à exprimer les nuances, et qu'on « n'a besoin que du sens général, chacun des synonymes peut être «< indifféremment mis en usage. » Ainsi je puis dire: Après un mois de siége, le gouverneur fut forcé de se rendre, ou avec l'Académie, Après un mois de siége, le gouverneur fut obligé de se rendre; parce que je n'ai besoin d'énoncer que l'idée générale d'étre contraint : et cependant la phrase suivante de M. Cousin: On peut être forcé d'obéir au plus fort, on n'y est pas obligé, démontre bien qu'il y a entre les deux verbes forcer et obliger une différence établie par les idées accessoires, et tellement marquée que ces deux mots peuvent être mis en opposition.

J'ai essayé, d'après les synonymistes, de déterminer les différences de sens qui distinguent les deux mots mont et montagne. Conformément aux distinctions établies dans cet article, on doit dire le mont Cenis, le mont Vésuve, et non la montagne Cenis, etc.; une chaîne de montagnes, et non une chaîne de monts. Mais La Fontaine, qui n'avait à exprimer que l'idée générale d'une masse considérable de terre ou de roche, élevée au-dessus du sol, a dit :

Et ailleurs :

Une montagne en mal d'enfant
Jetait une clameur si haute, etc.

La moindre taupinée était mont à ses yeux.

phie, cosmologie, cosmogonie; fausser, falsifier; inclinaison, înclination; larsser, délaisser; montrer, démontrer; mouvoir, émouvoir; part, partage; protesler, altester; simuler, dissimuler; temps, température, etc. J'en ai exclu aussi quelques-uns comme trop techniques ou trop didactiques, parmi lesquels adjuration et conjuration (termes de liturgie); attrition, contrition; concept, conception; chirurgique, chirurgical; droit canon, droit canonique; efficace, efficacité; éolien, éolique; érosion, corresion; lainerie, lainage; mixture, mixtion; prohibition, inhibition, etc.; d'autres comme peu usités tels que herbu, herbeux; lignée, lignage; lourdiss, lourderie; prosternation, prosternement, etc.; ou comme trop populaires, par exemple : finaud, finet; patrouillis, patrouillage, vétilleur, vétillard et vélilleux.

Il aurait très-bien pu dans ces deux phrases substituer l'un des deux mots à l'autre. Les poëtes ont plus souvent que les prosateurs le choix arbitraire d'un ou de plusieurs mots synonymes, parce que les idées générales sont surtout du domaine de la poésie.

Je ne répèterai pas ici ce qu'à la suite de la discussion que je viens de rapporter, j'ai dit sur l'utilité et l'importance de l'étude des synonymes. Il est peu d'instituteurs, d'institutrices et de professeurs qui ne sentent combien cette étude peut et doit être féconde en excellents résultats : il suffit d'avoir quelque expérience dans l'enseignement pour comprendre combien il importe que les élèves, dès qu'ils ont acquis en grammaire des connaissances suffisantes, apprennent à s'exprimer avec justesse, à rendre exactement leurs idées. Mais là ne se bornent point les avantages de l'étude des synonymes : « Rien, dit M de Maintenon', rien « n'ouvre tant l'esprit que la dissertation des mots; c'est un des « moyens qui m'a le mieux réussi pour M. du Maine. »

D'où vient donc qu'une étude aussi utile est à peu près complètement négligée dans les établissements d'instruction publique ? De ce que jusqu'à présent la méthode et les livres propres à cet enseignement ont manqué aux maîtres aussi bien qu'aux élèves. J'ai essayé de leur fournir ces moyens indispensables : je m'estimerai heureux, si j'ai réussi dans mon dessein.

Dans les premières éditions de ce livre j'ajoutais ici: « J'ai employé fréquemment dans l'introduction et dans plusieurs articles du dictionnaire le substantif préfixe, qui n'est point encore dans les dictionnaires, mais qui y sera bientôt à cause de son utilité incontestable et de son grand usage parmi les philologues et dans l'enseignement public. J'ai fait ce mot du genre féminin, à l'imitation de M. B. Lafaye, auteur d'un très-remarquable travail sur les synonymes à radicaux identiques, et d'après l'avis de divers professeurs. Je n'ignore pas que plusieurs érudits le font du masculin à l'imitation des grammairiens allemands, qui emploient dans ce cas le neutre latin præfixum. Mais il me 1. Lettres historiques et édifiantes, XVI.

semble que pour nous, Français, ce mot n'est rien autre que l'adjectif préfixe pris substantivement; or, dans notre langue. un adjectif ne peut être pris ainsi que par suite de l'ellipse. d'un substantif, et ici le substantif sous-entendu est la particule au lieu de dire, par exemple, que reposer est formé du radical poser et de la particule préfixe re, nous disons plus simplement de la préfixe re. » — Or la question a été tranchée depuis par l'Académie française, qui, dans l'édition de son Dictionnaire parue en 1877, a admis le substantif préfixe et lui a donné le genre masculin: je ne pouvais mieux faire que de me conformer à cette décision, et c'est ce que j'ai fait dans le présent volume. - Un mot encore pour finir:

Plusieurs grammairiens ont établi une distinction entre les mots désinence et terminaison: en général ils réservent le mot terminaison pour désigner la partie variable qui termine 193 verbes ou bien les noms, les adjectifs et les pronoms dans les langues qui ont des déclinaisons, comme le latin et le grec. J'accepte volontiers cette distinction, sans renoncer cependant au droit d'employer, comme le font l'Académie et de bons écrivains, le mot terminaison au lieu du mot désinence.

ABRÉVIATIONS

EMPLOYÉES DANS LE DICTIONNAIRE

Les articles et les parties d'articles que j'ai empruntés, les citations, en un mot tout ce qui n'est pas de moi est signé d'une des abrévations suivantes :

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SYNONYMES FRANÇAIS

INTRODUCTION

DES MOTS SYNONYMES

ET DES MOYENS DE DISTINGUER LE SENS PARTICULIER
QUI ÉTABLIT UNE DIFFÉRENCE ENTRE CES MOTS.

1. Il faut entendre par synonymes, non pas des mots qui ont la même signification, absolument et dans tous les cas possibles, mais les mots ou des locutions qui ayant un sens général commun, ce qui les rend synonymes les uns des autres, ont cependant chacun nne signification propre, qui permet d'exprimer des nuances d'idées dans les cas particuliers où la pensée l'exige 1.

Ainsi, par exemple, l'idée commune aux trois mots terrain, terroir, territoire, et qui constitue le sens général de ces mots, est celle d'une certaine étendue de sol; mais le terrain est un espace de terre considéré par rapport à quelque ouvrage, à quelque construction qu'on pourrait y faire, comme une maison, une fabrique, etc.; le terroir est le sol considéré par rapport à l'agriculture: c'est la terre mise en culture, destinée à produire des récoltes; le territoire est toute la terre qui forme la circonscription d'une commune, l'étendue d'un département, d'une province, d'un royaume, etc.

Il y a deux sortes de synonymes: les synonymes qui ont des radicaux identiques, et les synonymes qui ont des radicaux différents. Les trois mots terrain, terroir, territoire, sont dans le premier cas: ils ont le même radical, le mot terre, qui a servi à les former tous les trois; mais les synonymes esclavage et servitude n'ont pas le mème radical: le premier a été formé directement du mot français esclave, le radical du second est le mot latin servus.

1. Voyez le § I de l'Introduction qui précède mes Études et exercices sur les synonymes français.

DICT. DES SYNONYMES.

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