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tale de chaque associé avec tous ses droits à toute la communauté. Car, premièrement, chacun se donnant tout entier, la condition est égale pour tous, et la condition étant égale pour tous, nul n'a intérêt de la rendre onéreuse aux autres.

serve,

De plus, l'aliénation se faisant sans ré,l'union est aussi parfaite qu'elle peut l'être, et nul associé n'a plus rien à réclamer; car s'il restait quelques droits aux particuliers, comme il n'y aurait aucun ́supérieur commun qui pût prononcer entre eux et le public, chacun étant en quelque point son propre juge, prétendrait bientôt l'être en tous, l'état de nature subsisterait, et l'association deviendrait nécessairement tyrannique ou vaine.

Enfin, chacun se donnant à tous ne se donne à personne, et comme il n'y a pas un associé sur lequel on n'acquière le même droit qu'on lui cède sur soi, on gagne l'équi valent de tout ce qu'on perd, et plus de force pour conserver ce qu'on a.

Si donc on écarte du pacte social ce qui n'est pas de son essence, on trouvera qu'il se réduit aux termes suivans: Cha

cun de nous met en commun sa personne

et toute sa puissance sous la suprême direction de la volonté générale, et nous recevons en corps chaque membre comme partie invisible du tout.

A l'instant, au lieu de la personne particulière de chaque contractant, cet acte d'association produit un Corps moral et collectif composé d'autant de membres que l'assemblée a de voix, lequel reçoit de ce même acte son unité, son moi commun, sa vie et sa volonté. Cette personne publique qui se forme ainsi par l'union de toutes les autres, prenait autrefois le nom de Cité (1),

(1) Le vrai sens de ce mot s'est presqué entièrement effacé chez les modernes ; la plupart prennent une Ville pour une Cité, et un Bourgeois pour un Citoyen, Ils ne savent pas que les Maisons font la Ville, mais que les Citoyens font la Cité. Cette même erreur coûta cher autrefois aux Carthaginois. Je n'ai pas lu que le titre de Cives ait jamais été donné aux sujets d'aucun Prince, pas même anciennement aux Macédoniens, ni de nos jours aux Anglais, quoique plus près de la liberté que tous les autres. Les seuls Français prennent tous familièrement ce nom de Citoyens, , parce qu'ils n'en ont aucune véritable idée, comme on peut le voir dans leurs Dictionnaires, sans ́quoi ils tomberaient, en l'usurpant, dans le crime de

et prend maintenant celui de République ou de Corps politique, lequel est appelé par ses membres Etat quand il est passif, Souverain quand il est actif, Puissance en le comparant à ses semblables. A l'égard des associés, ils prennent collectivement le nom de Peuple, et s'appellent en particulier Citoyens, comme participaus à l'autorité souveraine, et Sujets, comme soumis aux lois de l'Etat. Mais ces termes se confondent souvent et se prennent l'un pour l'autre; il suffit de les savoir distinguer quand ils sont employés dans toute leur précision.

Lèse-Majesté ; ce nom chez eux exprime une vertu et non pas un droit. Quand Bodin a voulu parler de nos Citoyens et Bourgeois, il a fait une lourde bévue en prenant les uns pour les autres. M. d'Alembert ne s'y est pas trompé, et a bien distingué, dans son ar ticle Genève, les quatre ordres d'hommes (méme cinq eu y comptant les simples étrangers) qui sont dans notre ville, et dont deux seulement composent la République. Nul autre auteur français, que je sache, n'a compris le vrai sens du mot Citoyen.

CHAPITRE VII.

Du Souverain.

On voit par cette formule que l'acte d'as

N

sociation renferme un engagement réciproque du public avec les particuliers, et que chaque individu contractant, pour ainsi dire, avec lui-même, se trouve engagé sous un double rapport; savoir, comme membre du Souverain envers les particuliers, et comme membre de l'Etat envers le Souverain. Mais on ne peut appliquer íci la maxime du droit civil, que nul n'est tenu aux engagemens pris avec lui-même ; car il e; y a bien de la différence entre s'obliger envers soi, ou envers un tout dont on fait partie.

Il faut remarquer encore que la délibération publique, qui peut obliger tous les sujets envers le Souverain, à cause de deux différens rapports sous lesquels chacun d'eux est envisagé, ne peut, par la raison contraire, obliger le Souverain envers luimême; et que, par conséquent, il est contre la nature du Corps politique que le Souve

rain s'impose une loi qu'il ne puisse enfreindre. Ne pouvant se considérer que sous un seul et même rapport, il est alors dans le cas d'un particulier contractant avec soimême par où l'on voit qu'il n'y a ni ne peut y avoir nulle espèce de loi fondamentale obligatoire pour le Corps du peuple; - pas même le contrat social; ce qui ne signifie pas que ce corps ne puisse fort bien s'engager envers autrui en ce qui ne déroge point à ce contrat, car, à l'égard de l'étranger, il devient un être simple, un individu.

Mais le Corps politique ou le Souverain ne tirant son être que de la sainteté du contrat, ne peut jamais s'obliger, même envers autrui, à rien qui déroge à cet acte primitif, comme d'aliéner quelque portion de lui-même ou de se soumettre à un autre Souverain. Violer l'acte par lequel il existe serait s'anéantir, et ce qui n'est rien ne produit rien.

Sitôt que cette multitude est ainsi réunie en un corps, on ne peut offenser un des membres sans attaquer le corps; encore moins offenser le corps sans que les mem¬ bres s'en ressentent. Ainsi le devoir et l'in

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