Page images
PDF
EPUB

O vous, rois, qu'il voulut faire
Arbitres de notre sort,

Laissez, entre la colère
Et l'orage qui la suit,
L'intervalle d'une nuit.

Le dieu dont l'aile est légère
Et la langue a des douceurs,
Alla voir les noires sœurs.
A Tisiphone et Mégère
Il préféra, ce dit-on,
L'impitoyable Alecton.

Ce choix la rendit si fière

Qu'elle jura par Pluton

Que toute l'engeance humaine
Seroit bientôt du domaine
Des déités de là-bas.

Jupiter n'approuva pas

Le serment de l'Euménide.
Il la renvoie ; et pourtant
Il lance un foudre à l'instant
Sur certain peuple perfide.
Le tonnerre, ayant pour guide
Le père même de ceux
Qu'il menaçoit de ses feux,
Se contenta de leur crainte ;
Il n'embrasa que l'enceinte

D'un désert inhabité;

Tout père frappe à côté.
Qu'arriva-t-il? Notre engeance
Prit pied sur cette indulgence.
Tout l'Olympe s'en plaignit ;
Et l'assembleur de nuages
Jura le Styx, et promit
De former d'autres orages:
Ils seroient sûrs. On sourit ;
On lui dit qu'il étoit père,
Et qu'il laissât, pour le mieux,
A quelqu'un des autres dieux
D'autres tonnerres à faire.
Vulcain entreprit l'affaire.
Ce dieu remplit ses fourneaux
De deux sortes de carreaux:
L'un jamais ne se fourvoie;
Et c'est celui que toujours
L'Olympe en corps nous envoie:
L'autre s'écarte en son cours;

Ce n'est qu'aux monts qu'il en coûte;
Bien souvent même il se perd;

Et ce dernier en sa route

Nous vient du seul Jupiter.

FABLE XXI.

Le Faucon et le Chapon.

UNE traîtresse voix bien souvent vous appelle;
Ne vous pressez donc nullement :

Ce n'étoit pas un sot, non, non, et croyez-m'en,
Que le chien de Jean de Nivelle.

Un citoyen du Mans, chapon de son métier,
Étoit sommé de comparoître

Pardevant les lares du maître,

Au pied d'un tribunal que nous nommons foyer.
Tous les
gens lui crioient, pour déguiser la chose :
Petit, petit, petit! mais, loin de s'y fier,
Le Normand et demi laissoit les gens crier.
Serviteur, disoit-il; votre appât est grossier:
On ne m'y tient pas; et pour cause.
Cependant un faucon sur sa perche voyoit
Notre Manseau qui s'enfuyoit.

Les chapons ont en nous fort peu

Soit instinct, soit expérience.

de confiance,

Celui-ci, qui ne fut qu'avec peine attrapé,

Devoit, le lendemain, être d'un grand soupé,

Fort à l'aise en un plat : honneur dont la volaille

Se seroit passée aisément. L'oiseau chasseur lui dit : Ton peu

Me rend tout étonné. Vous n'êtes

d'entendement

que racaille,

Gens grossiers, sans esprit, à qui l'on n'apprend rien. Pour moi, je sais chasser, et revenir au maître.

Le vois-tu pas à la fenêtre?

Il t'attend: es-tu sourd? Je n'entends que trop bien,
Repartit le chapon : mais que me veut-il dire?
Et ce beau cuisinier armé d'un grand couteau?
Reviendrois-tu pour cet appeau?

Laisse-moi fuir; cesse de rire

De l'indocilité qui me fait envoler

Lorsque d'un ton si doux on s'en vient m'appeler.
Si tu voyois mettre à la broche

Tous les jours autant de faucons

Que j'y vois mettre de chapons,

Tu ne me ferois pas un semblable reproche.

QUATRE

FABLE XXII.

Le Chat et le Rat.

UATRE animaux divers, le chat grippe-fromage, Triste oiseau le hibou, ronge-maille le rat,

Dame belette au long corsage,

Toutes gens d'esprit scélérat,

Hantoient le tronc pourri d'un pin vieux et sauvage. Tant y furent qu'un soir à l'entour de ce pin L'homme tendit ses rets. Le chat, de grand matin, Sort pour aller chercher sa proie.

Les derniers traits de l'ombre empêchent qu'il ne voi Le filet: il y tombe, en danger de mourir;

Et mon chat de crier ; et le rat d'accourir :

L'un plein de désespoir, et l'autre plein de joie;

Il voyoit dans les lacs son mortel ennemi.

Le

pauvre chat dit : Cher ami,

Les marques de ta bienveillance

Sont communes en mon endroit ;

Viens m'aider à sortir du piége où l'ignorance
M'a fait tomber. C'est à bon droit

Que seul entre les tiens, par amour singulière,
Je t'ai toujours choyé, t'aimant comme mes yeux.

« PreviousContinue »