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d'éclat. Dans une pétition au Sénat, ils s'élevaient contre l'influence funeste que le droit à l'héritage exerçait sur les mœurs de leurs enfants et sur la situation de leurs ateliers, « Il y a eu, depuis 1789, plus d'événements retentissants au début; je n'en connais pas qui, en pratique, soient de nature à exercer une influence aussi heureuse pour une réforme effective. » Remise le 20 mars 1866, la pétition était repoussée en juin, et M. Le Play, loin de se laisser abattre, de s'écrier : « Félicitonsnous en constatant que notre noyau réformateur acquiert quelque crédit. Soyons patients et persévérants, et nous ne mourrons pas sans avoir fait quelque bien. >>

L'année 1867 vit s'ouvrir à Paris la quatrième des Expositions universelles. Il y déploya ses merveilleuses facultés d'organisateur, et l'on sait avec quel succès (1). Pour lui, l'intérêt industriel

(1) De bien intéressants détails nous sont donnés, au sujet du labeur que causa à M. Le Play l'Exposition de 1867, dans l'étude biographique que M. Lefébure de Fourcy a consacrée à son ancien collègue du corps des mines. (Revue de la Réforme sociale, 1er janvier 1883.)

A

n'était qu'au second plan; une haute et féconde impulsion à donner aux idées de réforme, une grande œuvre sociale à accomplir, l'apostolat qu'il exerçait en France avec le concours de quelques amis, n'ayant aucun titre officiel, à étendre au dehors et à faire autoriser par les suffrages d'hommes d'État accrédités par leurs gouvernements, voilà ce qui l'occupa dès le premier jour et l'enflamma d'une ardeur sans pareille.

Il avait fait introduire dans le règlement de l'Exposition (1) la disposition suivante : « Un ordre distinct de récompenses est créé en faveur des personnes, des établissements et des localités qui, par une organisation ou des institutions spéciales, ont développé la bonne harmonie entre tous ceux qui coopèrent aux mêmes travaux et ont assuré aux ouvriers le bien-être matériel, moral et intellectuel. »

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« Nous touchons à une épreuve décisive et qui nous montrera ce qu'on peut attendre de l'état actuel des esprits, m'écrivait-il le 30 oc

(1) Titre X, article 30.

tobre 1866. Le moment approche où le Jury social va se réunir, pour juger le nouveau genre de mérites... La discussion, engagée à ce sujet devant vingt-cinq représentants des diverses. nations du monde (1), sera une excellente pierre de touche pour apprécier ce que notre œuvre pourra produire dans d'autres directions. »

Le 7 décembre 1866, il était ravi des résultats obtenus :

« Le Jury social international, qui doit délivrer un grand prix de 100,000 francs et dix prix de 10,000, est réuni depuis le 1er décembre, et paraît maintenant disposé à adopter les principes de la réforme sur l'harmonie et le bien-être social. Il est composé de hauts personnages qui donneront une valeur exceptionnelle à ses décisions. Un travail d'enquête

va commencer.

(1) Le Japon lui-même y comptait un membre, son ministre plénipotentiaire, qui siégeait à côté de MM. Magne, Schneider et Talabot pour la France, de M. Herzog pour la Prusse, du chevalier de Schaeffer pour l'Autriche, de M. de Porochine pour la Russie, de M. Minghetti pour l'Italie, de Djemil pacha pour la Turquie, de sir Charles Perkins pour les États-Unis d'Amérique, etc...

Cette enquête dont M. Le Play, après en avoir été le promoteur, fut le metteur en œuvre, lui procura un véritable triomphe. Grâce à sa méthode, six cents dossiers venant dé tous les points du globe purent être examinés et classés en six mois; et le simple énoncé des faits, le seul exposé des mérites récompensés, tel que le présenta M. Alfred le Roux, rapporteur du Jury, prouva à quel point il avait vu juste sur les principes, sur les mœurs et les institutions qui, partout, sous l'influence d'une bonne organisation de la famille et de l'atelier industriel ou agricole, créent des rapports affectueux et permanents entre les patrons et les ouvriers, produisent de réels progrès pour tous les intéressés et maintiennent la paix sociale.

A l'occasion de l'Exposition, M. Le Play reçut bien des honneurs. C'est à cette date mémorable que se place la belle lettre citée plus haut « Si je me corrompais..., ne manquez pas de m'en dire vertement votre avis. >> Les labeurs de cette année mirent à l'épreuve sa santé chancelante. Lorsque ceux de la journée étaient finis, ils faisaient place le soir aux

seuls délassements qui convinssent à sa nature. De tout temps, son salon s'était ouvert à ses amis qui étaient ceux de la réforme; c'était un petit cercle, on y causait, et M. Le Play savait merveilleusement causer. N'est-ce pas ainsi qu'il avait charmé Sainte-Beuve, qu'il avait fait sa conquête? « La manière dont il raconte de vive voix est des plus circonstanciées et curieuses, et, en général, sur tous les pays qu'il a vus et sur les singularités de mœurs, je ne sais rien de plus intéressant que sa conversation. C'est le même langage uni et simple que dans ses livres, avec l'abondance en plus, avec la particularité et l'accent qui grave. » Lors de l'Exposition de 1867, le cercle s'élargit considérablement; et, dans ce salon devenu en quelque sorte européen, et auquel présidait une femme d'élite, des étrangers de distinction, des observateurs et travailleurs en économie politique et sociale venus des divers points du monde, trouvèrent plus d'une fois des informations qu'ils n'avaient pas eux-mêmes sur leurs pays. Au milieu d'eux, M. Le Play goûtait la meilleure des satisfactions, celle de penser que

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