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Parlons maintenant de mon édition nouvelle. C'est la plus correcte qui ait encore paru : et non seule= ment je l'ai revue avec beaucoup de soin, mais j'y ai retouché de nouveau plusieurs endroits de mes ouvrages; car je ne suis point de ces auteurs fuyant la peine, qui ne se croient plus obligés de rien raccommoder à leurs écrits dès qu'ils les ont une fois donnés au public. Ils alleguent, pour excuser leur paresse, qu'ils auroient peur, en les trop remaniant, de les affoiblir, et de leur ôter cet air libre et facile qui fait, disent-ils, un des plus grands charmes du discours: mais leur excuse, à mon avis, est très mauvaise. Ce sont les ouvrages faits à la hâte, et, comme on dit, au courant de la plume, qui sont ordinairement secs, durs, et forcés. Un ouvrage ne doit point paroître trop travaillé, mais il ne sauroit être trop travaillé; et c'est souvent le travail même qui, en le polissant, lui donne cette facilité tant vantée qui charme le lecteur. Il y a bien de la différence entre des vers faciles et des vers facilement faits. Les écrits de Virgile, quoiqu'extraordinairement travaillés, sont bien plus naturels que ceux de Lucain, qui écrivoit, dit-on, avec une rapidité prodigieuse. C'est ordinairement la peine que s'est donnée un auteur à limer et à perfectionner ses écrits qui fait que le lecteur n'a point de peine en les lisant. Voiture, qui paroit aisé, travailloit extrêmement ses ouvrages. On ne voit que des gens qui font aisément des choses médiocres ;

inais des gens qui en fassent inême difficilement de fort bonnes, on en trouve très peu.

Je n'ai donc point de regret d'avoir encore employé quelques unes de mes veilles à rectifier mes écrits dans cette nouvelle édition, qui est, pour ainsi dire, mon édition favorite : aussi y ai-je mis mon nom, que je m'étois abstenu de mettre à toutes les autres. J'en avois ainsi usé par pure modestie: mais aujourd'hui que mes ouvrages sont entre les mains de tout le monde, il m'a paru que cette modestie pourroit avoir quelque chose d'affecté. D'ailleurs j'ai été bien aise, en le mettant à la tête de mon livre, de faire voir par-là quels sont précisément les ouvrages que j'avoue, et d'arrêter, s'il est possible, le cours d'un nombre infini de méchantes pieces qu'on répand par-tout sous mon nom, et principalement dans les provinces et dans les pays étrangers. J'ai même, pour mieux prévenir cet inconvénient, fait mettre au commencement de ce volume une liste exacte et détaillée de tous mes écrits, et on la trouvera immédiatement après cette préface. Voilà de quoi il est bon que le lecteur soit instruit.

Il ne reste plus présentement qu'à lui dire quels sont les ouvrages dont j'ai augmenté ce volume. Le plus considérable est une onzieme satire que j'ai tout récemment composée, et qu'on trouvera à la suite des dix précédentes. Elle est adressée à M. de Valincour, mon illustre associé à l'histoire. J'y traite du

vrai et du faux honneur; et je l'ai composée avec le même soin que tous mes autres écrits. Je ne saurois pourtant dire si elle est bonne ou mauvaise; car je ne l'ai encore communiquée qu'à deux ou trois de mes plus intimes amis, à qui même je n'ai fait que la ré citer fort vite, dans la peur qu'il ne lui arrivât ce qui est arrivé à quelques autres de mes pieces, que j'ai vues devenir publiques avant même que je les eusse mises sur le papier, plusieurs personnes à qui je les avois dites plus d'une fois les ayant retenues par cœur et en ayant donné des copies. C'est donc an public à m'apprendre ce que je dois penser de cet ouvrage, ainsi que de plusieurs autres petites pieces de poésie qu'on trouvera dans cette nouvelle édition, et qu'on y a mêlées parmi les épigrammes qui y étoient déja. Ce sont toutes bagatelles, que j'ai la plupart composées dans ma plus tendre jeunesse, mais que j'ai un peu rajustées pour les rendre plus supportables an lecteur. J'y ai fait aussi ajouter deux nouvelles lettres; l'une que j'écris à M. Perrault, et où je badine avec lui sur notre démêlé poétique, presque aussitôt éteint qu'allumé; l'autre est un res nerciement à M. le comte d'Ericeyra, au sujet de la traduction de mon Art poétique faite par lui en vers portugais, qu'il a eu la bonté de m'envoyer de Lisbonne, avec une lettre et des vers françois de sa com position, où il me donne des louanges très délicates, et auxquelles il ne manque que d'être appliquées à

un meilleur sujet. J'aurois bien voulu pouvoir m'acquitter de la parole que je lui donne à la fin de ce remerciement, de faire imprimer cette excellente tra= duction à la suite de mes poésies: mais malheureuse= ment un de mes amis, à qui je l'avois prêtée, m'en a égaré le premier chant; et j'ai eu la mauvaise honte de n'oser récrire à Lisbonne pour en avoir une autre copie. Ce sont là à-peu-près tous les ouvrages de ma façon, bons ou méchants, dont on trouvera ici mon livre augmenté. Mais une chose qui sera sûrement agréable au public, c'est le présent que je lui fais, dans ce même livre, de la lettre que le célebre M. Arnauld a écrite à M. Perrault à propos de ma dixieme satire, et où, comme je l'ai dit dans l'épître à mes Vers, il fait en quelque sorte mon apologie. Je ne doute point que beaucoup de gens ne m'accusent de témérité, d'avoir osé associer à mes écrits l'ouvrage d'un si excellent homme; et j'avoue que leur accusation est bien fondée. Mais le moyen de résister à la tentation de montrer à toute la terre, comme je le montre en effet par l'impression de cette lettre, que ce grand personnage me faisoit l'honneur de m'esti= mer, et avoit la bonté meas esse aliquid putare nugas! (1)

(1) Nous observerons ici que notre dessein est de réunir dans cette nouvelle édition de Boileau les seuls ouvrages de ce grand poëte. S'il falloit y joindre toutes les

Au reste, comme, malgré une apologie si authentique, et malgré les bonnes raisons que j'ai vingt fois alléguées en vers et en prose, il y a encore des gens qui traitent de médisance les railleries que j'ai faites de quantité d'auteurs modernes, et qui publient qu'en attaquant les défauts de ces auteurs je n'ai pas rendu justice à leurs bonnes qualités, je veux bien, pour les convaincre du contraire, répéter encore ici les mêmes paroles que j'ai dites sur cela dans la préface de mes deux éditions précédentes. Les voici :

« Il est bon que le lecteur soit averti d'une chose, « c'est qu'en attaquant dans mes ouvrages les défauts a de plusieurs écrivains de notre siecle je n'ai pas « prétendu pour cela ôter à ces écrivains le mérite et a les bonnes qualités qu'ils peuvent avoir d'ailleurs. Je n'ai pas prétendu, dis-je, nier que Chapelain, par exemple, quoique poëte fort dur, n'ait fait autre= fois, je ne sais comment, une assez belle ode, et

a

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différentes pieces dont Brossette et Saint-Marc ont chargé les leurs, tantôt sous un prétexte et tantôt sous un autre, nous serions obligés de donner un ou deux volumes de plus, ce que nous voulons sur-tout éviter. Il n'y a déja que trop de livres faits avec d'autres livres. C'est cette considération qui nous a déterminés à ne point imprimer cette lettre de M. Arnauld dont Boileau parle ici, et qui d'ailleurs ne peut plus avoir aujourd'hui, à aucun égard, le même intérêt qu'à l'époque de sa publication. Ceux qui seront curieux de la lire la trouveront dans la plupart des éditions de notre poëte, et particulièrement dans celles des deux commentateurs que je viens de nommer.

b.

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