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dre difciple de Theophrafte, & qui fervit enfuite de modele à Terence qu'on a dans nos jours fi heureufement imité, ne peuvent s'empêcher de reconnoître dans ce petit ouvrage la premiere fource de tout le comique, je dis de celuy qui est épuré des pointes, des obfcenitez, des équivoques, qui eft pris dans la nature, qui fait rire les fages & les vertueux.

*

Mais peut-être que pour relever le merite de ce traité des Caracteres, & en infpirer la lecture, il ne fera pas inutile de dire quelque chofe de celuy de leur Auteur. Il étoit d'Erese, ville de Lesbos, fils d'un Foulon ; il eut pour premier Maître dans fon *Un autre pays un certain Leucippe qui étoit que Leucip- de la même vilie que luy ; de-là il pe Philofo- paffa à l'Ecole de Platon, & s'arrêta phe celebre, enfuite à celle d'Ariftote, où il fe di& difciple de Zenon. ftingua entre tous les disciples. Ce nouveau Maître charmé de la facilité de fon efprit & de la douceur de fon élocution, luy changea fon nom, qui étoit Tyrtame, on celuy d'Euphrafte, qui fignifie celuy qui parle bien;& ce nom ne répondant point affez à la haute eftime qu'il avoit de la beauté

il

de fon genie & de fes expreffions, l'appella Theophrafte, c'eft à dire un homme dont le langage eft divin. Et il femble que Ciceron ait entré dans les fentimens de ce Philofophe, lorf que dans le livre qu'il intitule Brutus ou des Orateurs illuftres,il parle ainsi: Qui eft plus fecond & plus abondant que Platon ? plus folide & plus ferme qu'Ariftote?plus agreable & plus doux que Theophrafte? Et dans quelquesunes de fes Epîtres à Atticus on voit que parlant du même Theophraste il Pappelle fon amy, que la lecture de tes livres luy étoit familiere, & qu'il en faifoit fes délices.

Ariftote difoit de luy & de Califtene un autre de fes difciples, ce que Platon avoit dit la premiere fois d'Ariftote même & de Xenocrate, que Califtene étoit lent à concevoir & avoit l'efprit tardif; & que Theophrafte au contraire l'avoit fi. vif, fi perçant, fi penetrant qu'il comprenoit d'abord d'une chofe tout ce qui en pouvoit être connu; que l'un avoit befoin d'éperon pour être excité, & qu'il faloit à l'autre un fiei pour le retenir.

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* Il y en a

l'un Philo

Il eftimoit en celuy-cy fur toutes chofes un caractere de douceur qui regnoit également dans fes mœurs & dans fon ftyle; l'on raconte que les difciples d'Ariftote voyant leur Maître avancé en âge & d'une fanté fort affoiblie, le prierent de leur nommer fon fucceffeur ; que comme il avoit deux hommes dans fon Ecole fur qui feuls ce choix pouvoit tomber, Menedeme le Rhodien, & eu deux au- Theophrafte d'Erefe, par un efprit zres de mê de ménagement pour celuy qu'il voume nom; loit exclure, il fe declara de cette maniere: Il feignit peu de temps aprés fophe cyni. que, l'autre que fes difciples luy eurent fait cette difciple de priere, & en leur prefence,que le vin dont il faifoit un ufage ordinaire luy étoit nuifible, il se fit apporter vins de Rhodes & de Lesbos, il goûta de tous les deux, dit qu'ils ne démentoient point leur terroir, & chacun dans fon genre étoit excel. lent, que le premier avoit de la force, mais que celuy de Lesbos avoit plus de douceur, & qu'il luy donnoit la préference. Quoy qu'il en foit de ce fait qu'on lit dans Aulu-Gelle, il eft certain que lorsqu'Ariftote accufé

Platon.

des.

que

par Eurimedon Prêtre de Cerés, d'avoir mal parlé des Dieux, craignant le deftin de Socrate, voulut fortir d'Athenes, & fe retirer à Calcis, ville d'Eubée, il abandonna fon Ecole au Lesbien, luy confia fes écrits, à condition de les tenir fecrets; & c'eft par Theophrafte que font venus jufques à nous les Ouvrages de ce grand hom

me.

Son nom devint fi celebre par toute la Grece, que fucceffeur d'Ariftote il put compter bien-tôt dans l'Ecolequ'il luy avoit laiffée jufques à deux mille difciples. Il excita l'envie de Sopho. Un autre cle fils d'Amphiclide, & qui pour lors que le Poëétoit Preteur:celay-cy,en effet fon en- te tragique, nemi,mais fous prétexte d'une exacto police, & d'empêcher les affemblées, fit une loy qui défendoit fur peine de la vie à aucun Philofophe d'enfeigner dans les Ecoles. Ils obéirent, mais l'année fuivante Philon ayant fuccedé à Sophocle qui étoit forti de charge, le peuple d'Athenes abrogea cette loy odieufe que ce dernier avoit faite, le condamna à une amande de cinq ta lens, rétablit Theophrafte, & le refte des Philofophes.

* Un autre que le fameux Scul

preur.

Plus heureux qu'Ariftote qui avoit été contraint de ceder à Eurimedon, il fut fur le point de voir un certain Agnonide puni comme impie par les Atheniens, feulement à caufe qu'il avoit ofé l'accufer d'impieté, tant étoit grande l'affection que ce peuple avoit pour luy, & qu'il méritoit fa vertu.

par

En effet on luy rend ce témoigna ge, qu'il avoit une finguliere prudence, qu'il étoit zelé pour le bien public,laborieux,officieux, affable,bienfaifant, Ainfi au rapport de Plutarque, lorfqu'Erefe fut accablée de Tyrans qui avoient ufurpé la domination de leur pays, il fe joignit à Phydias fon compatriote, contribua avec luy de fes biens pour armer les bannis qui rentrerent dans leur ville, en chafferent les traîtres, & rendirent à toute 'Ifle de Lesbos fa liberté.

Tant de rares qualitez ne luy acquirent pas feulement la bienveillance du peuple, mais encore l'eftime & la familiarité des Rois : il fut ami de Caffandre qui avoit fuccedé à Aridée frere d'Alexandre le Grand au Royaume de Macedoine; & Ptoloméc fils

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