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Sur ces entrefaites, les Ambaffadeurs du Xenoph.l.6 Roi des Indes arriverent avec quantité d'ar- P. 156-157 gent qu'ils apportoient à Cyrus de la part du Roi leur maître, qui leur avoit aufli commandé de lui dire qu'il étoit fort aife qu'il l'eût averti de ce qui pouvoit lui manquer, qu'il vouloit être fon ami & fon allié; que s'il avoit encore befoin d'argent, il n'avoit qu'à le lui faire favoir; qu'enfin fes Ambaffadeurs avoient ordre de lui obéir abfolument com ne à lui-même. Cyrus reçut des offres fi obligeantes avec toute la reconnoiffance & toute la dignité poffible. Il combla les Ambaffadeurs d'honnêtetés & de préfens, & profitant de leur bonne volonté, il les pria de vouloir bien en détacher trois d'entr'eux pour aller chez les ennemis comme envoyés par le Roi des Indes pour faire alliance avec eux mais en effet pour découvrir leurs deffeins & lui en venir rendre compte. Ils fe chargerent de cette commiffion avec joie, & s'en acquitterent avec habileté. Je ne reconnois point ici la conduite ni la bonne foi ordinaire de Cyrus. Pouvoit-il ignorer que c'étoit violer ouvertement le droit des gens que d'envoyer chez les ennemis comme efpions des Ambaffadeurs, à qui le caractere dont ils étoient revêtus ne permettoit point de faire un tel perfonnage, ni d'ufer d'une telle perfidie?

Cyrus faifoit fes préparatifs pour la bataille en homme qui ne méditoit rien que de grand. Non-feulement il avoit foin des

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chofes qui avoient été réfolues dans le Con feil, mais il prenoit plaifir à faire naître une noble jaloufie parmi les Officiers, à qui auroit de plus belles armes, à qui feroit le mieux monté, à qui lanceroit plus adroitement un dard, à qui tireroit mieux une fiéche, à qui fupporteroit plus patiemment le travail. Il faifoit cela en les menant avec lui à la chaffe, & en donnant toujours des récompenfes à ceux qui s'y diftinguoient le plus. S'il voyoit auffi des Capitaines qui priffent foin de leurs foldats, i les louoit hautement, & les favorifoit de tout fon pouvoir, afin de les animer. Quand il faifoit quelque fête, il ne propofoit point d'autres jeux que les exercices militaires, & donnoit des prix confidérables aux victorieux

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ce

qui allumoit une merveilleufe ardeur dans fon armée. En un mot, c'étoit un Général qui dans l'action, dans le repos, dans fes plaifirs même, dans les repas, les conver fations, les promenades, n'étoit prefque occupé que de ce qui regardoit le bien du fervice. C'eft par de tels moyens qu'on devient grand homme de guerre.

Cependant les Ambaffadeurs Indiens Pag. 158. étant revenus du camp des ennemis, rapporterent que Créfus avoit été élu Généraliffime de leur armée, que tous les Rois & Princes alliés étoient convenus de fournir les fommes néceffaires pour lever des troupes: que les Thraces s'étoient déja, enrolfés qu'il leur venoit par mer un fecours d'Egypte, qu'on faifoit monter à fix-vingts

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mille hommes qu'ils attendoient encore une armée de Cypre que déja les Ciliciens, les peuples de l'une & de l'autre Phrygie, les Lycaoniens, les Paphlagoniens, les Cappadociens, les Arabes, & les Phéniciens étoient arrivés. Que les Af fyriens étoient pareillement venus avec le Roi de Babylone. Que les Ioniens, les Eoliens, & la plupart des Grecs qui demeuroient en Afie, avoient été forcés de prendre parti. Que Créfus avoit envoyé à Lacédé mone pour traiter d'alliance. Que l'armée s'affembloit autour du Pactole, & que de là elle devoit s'avancer à Thymbrée, où étoit le rendez-vous de toutes les troupes. Ce rapport étoit confirmé par celui des prifonniers & des efpions.

Ces nouvelles jetterent la frayeur dans Page 158. l'armée de Cvrus. Mais ce Prince ayant affemblé les Officiers, & leur ayant marqué la différence infinie qu'il y avoit entre les troupes ennemies & les leurs, leur rendit bientôt le courage.

Cyrus avoit pris toutes les mefures nécef- Cyrop. 1. 6. faires pour que fon armée ne manquât de P. 158-163. rien, & avoit donné fes ordres tant pour la marche que pour la bataille qu'il fe préparoît de livrer, étant defcendu pour cela dans un détail étonnant que Xénophon rapporte fort au long, & qui s'étendoit depuis les premiers Commandans jufqu'aux plus bas Officiers, parce qu'il favoit bien que c'eft de telles précautions que dépend le fuccès des entreprises, qui fouvent échouent

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par les plus légéres négligences, comme il arrive quelquefois que le jeu & le mouvement des plus grandes machines eft arrêté par le dérangement d'une feule roue quel que petite qu'elle foit.

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Ce Prince connoiffort tous les Officiers de l'armée par leurs noms & fe fervant d'une comparaifon triviale, mais expreffive, il avoit coutume de dire qu'il trouvoit bien étrange que les artifans fuffent les noms de tous leurs outils & qu'un Général fût fi indifférent que de ne favoir pas les noms de fes Capitaines, qui font autant d'inftrumens dont il fe fert dans toutes fes entreprifes. D'ailleurs, il jugeoit que cet ufage avoit quelque chofe de plus honorable pour les Officiers, de plus engageant, & de plus propre à les porter à faire leur devoir, en leur laiffant penfer qu'ils étoient connus & eftimés du Général.

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Lib. 6. pag. Lorfque tous les préparatifs furent ache vés, Cyrus prit congé de Cyaxare, qui demeura en Médie avec la troifiéme partie feulement de fes troupes, pour ne pas laiffer fon pays entiérement dégarni.

Cyrus, qui favoit qu'il eft toujours avan tageux de faire la guerre dans le pays ennemi, n'attendit pas que les Babyloniens vinffent l'attaquer dans le fien, mais il mar cha à leur rencontre, dans le deffein de faire confumer leurs fourrages par fes troupes, & encore plus de les déconcerter par la promptitude & par la hardieffe de cette entreprife. Après une très-longue marche, ik

joignit les ennemis à Thymbrée, ville de la Lydie, fituée affez près de Sardes capitale du pays. Ils n'avoient point cru que ce Prince, avec une armée plus foible de la moitié que la leur, pût fonger à les venir chercher dans leur pays, & ils furent étrangement furpris de l'y voir arriver, fans qu'ils euffent eu le temps,ni de ramaffer les vivres qui étoient néceffaires pour la subsistance d'une armée auffi nombreute que la leur ni d'affembler toutes les troupes qu'ils vouloient lui oppofer.

S. V L

Bataille de Thymbrée entre Cyrus &
Créfus.

I Acad. des

CETTE bataille eft un des plus confidéra- Tom. 6. des bles événemens de l'antiquité, puifqu'elle Mémoires de décida de l'Empire de l'Afie entre les Affly- Belles: Let nens de Babylone & les Perfes. C'est ce qui res. p. j32. a engagé M. Fréret, l'un de mes contreres dans l'Académie des Belles-Lettres, à l'examiner avec un foin particulier, d'autant plus volontiers, comme il le remarque, que ceft ici la premiere bataille rangée don nous connoiffions le détail avec quel que étendue. Je me tuis mis en poffeffion de profiter du travail & des lumieres des autres, mais fans leur en dérober la gloire, & fans m ôter auffi la liberté d'y faire les changemens que je juge néceffaires. Je don nerai à la delcription de cette bataille plus d'étendue que je n'ai coûtume de faire

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