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Littérature liturgique.

ÉTUDES SUR

LA VIE ET LES OUVRAGES DE SANTEUL,

ET SUR

LA COMPOSITION ET PUBLICATION DE SES HYMNES ET DE CELLES DE COFFIN,

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DE LA LUTTE ENTRE LES ÉTUDES CHRÉTIENNES ET LES ÉTUDES PAIENNES

AU XVII SIÈCLE.

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16° article 1.

98. Nouvelles prudences jansénistes de Santeul. —L'abbé Faydit lui apprend la philosophie de Malebranche et de Descartes. — Santeul vient à son aide dans les disgrâces de cet abbé.

Il faut avouer une chose, c'est que Santeul offrait lui-même les plus grands prétextes à ceux qui regardaient toutes ses protestations d'orthodoxie comme des faux-fuyants trompeurs, et qui le croyaient pour le fond très-janséniste. Voici quelques détails qui doivent laisser en suspens le jugement de ses amis les plus dévoués.

Nos lecteurs connaissent déjà la part que l'abbé Faydit a prise à ces débats. Santeul l'a appelé drôle et fripon,il l'accuse d'être la cause de tout le mal. L'abbé Faydit s'en est plaint dans la lettre que nous avons citée 2. Eh bien! s'il faut en croire cet abbé, c'est Santeul lui-même qui l'excitait à l'attaquer, et qui lui envoyait lettres et mémoires pour lui en fournir les moyens. Ce sont là des éléments de la vie de Santeul négligés par tous ses historiens, et que nous devons pour cela consigner ici.-Immédiatement après la mort de Santeul, l'abbé Faydit, sur la demande de M. le prince Henri Jules, composa un opuscule qu'il intitula: Tombeau de M. Santeul et c'est là qu'il donne les détails suivants :

1 Voir le 15 article, au n° d'août, ci-dessus, p. 121.

2 Voir le précédent article, au no d'août, ci-dessus, p. 137.

2 Tombeau de M. de Santeul, ci-devant chanoine régulier de Saint-Augustin, dans l'abbaye de Saint-Victor-lez-F aris et l'éloge de ce grand poëte, dedié à S. A. S. Mgr le prince, premier prince du sang. Paris, 1698, in-4° de 35 pages.

J'ai eu tout de même des raisons très-fortes pour faire ces vers-cy à la gloire de Santeul. J'ai été obligé de céder à l'autorité d'une puissance, à qui on ne peut désobéir sans crime. Ce fut pour lui faire ma cour que je les composai, il y a six mois; et l'infidélité d'un grand nombre de méchantes copies, tant manuscrites qu'imprimées, qui étoient répandues partout, dans lesquelles un impertinent a mêlé des sottises et de méchants vers, m'a forcé de faire imprimer les miens avec la permission de Monseigneur le Chancellier.

J'ai aussi cru qu'il était de mon devoir de faire connoître à ceux qu'on a dit avoir été scandalisez de quelques vers de ma façon, qui parurent il y a deux années, contre M. de Santeul, qu'il n'y a jamais eu de véritable querelle entre nous deux ; et que, quelque fâché qu'il parût être contre moi, et quoiqu'il en dit mille maux partout, il étoit non-seulement consentant, mais même ravi dans l'âme de tout ce que j'écrivois en ce temps-là sur lui, et qu'il me fournissoit des mémoires, et m'excitoit par des lettres secrètes de continuer d'écrire sur son sujet. J'en ai plusieurs signées de sa main, dont j'en ai fait voir quelques-unes à plusieurs personnes de qualité et de mérite, où il mande :

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Qu'il fait le fâché par politique ; qu'il m'est redevable de sa gloire; que je suis cause qu'on parle de lui partout, et presque autant que du prince d'O» range; que j'ai rendu les vers de l'Epitaphe de son ami plus fameux que , l'Omoussion du concile de Nicée; que ceux des autres Poëtes sur le même sujet sont demeurez ensevelis avec le mort, faute d'avoir eu, comme luy, un Homère pour les prôner et les faire valoir.

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1

Dès qu'il eut appris ma disgrâce, il m'écrivit la lettre du monde la plus tendre. Au-dessus de la lettre, il y avoit pour inscription:

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A Monsieur l'abbé Faydit, de la part de son meilleur amy, de Santeul. Il me mandoit « qu'il employeroit tout le crédit que ses Hymmes lui avoient acquis auprès des Saints, sur lesquels il en avoit fait, pour obtenir d'eux ma » délivrance. Il ajoute, « qu'il étoit en prison avec moi d'esprit. » Il finit et signe sa lettre par ces mots, tuus concaptivus Santolius. Dès qu'il eut appris que le Roy m'avoit tiré, par bonté, du lieu ignominieux où il m'avoit fait mettre par justice; il composa cette Epigramme sur moi :

Captivæ fuerant tecum, mi Phædime, Musæ,

Cùm San-Lazario carcere clausus eras.

Sed nunc è caveâ ereptum te, è faucibus arctis,
Musarum et vatum libera turba canet.

Sur ce que je me plaignis à lui, dans une lettre, qu'il parloit mal de moi, il me désavoua la chose par écrit; et, comme c'étoit dans le temps que la Gazette de Hollande fit courir le bruit qu'un Grossard, prisonnier à Saint-Lazare, y avoit été dévoré par les chiens la nuit, en voulant se sauver (ce qui est une pure fable, qui n'a pas le moindre fondement), il n'écrivit qu'il souhaitoit qu'il lui en arrivât autant, si jamais la folie le prenoit de manquer › à l'amitié qu'il m'avoit jurée :

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Ah! San-Lazariis potius detrudar in antris,

Instar Grossardi, me lacerentque canes.

Ce qu'on peut traduire ainsi en françois :
Si jamais jusque-là ma cervelle s'égare

Je consens que Desgrais me mette à Saint-Lazare,
Et que là, jour et nuit, de mille ennuis, rongé

Je sois, comme Grossard, par les dogues mangé.

En vérité, tant d'aonnêtetés pour moi méritoient bien que je fisse les vers suivants à la gloire de Santeul. Il falloit aussi qu'un prêtre enterrât avec honneur un Chanoine, qui a rendu un aussi grand service à l'Eglise, qu'est celui d'avoir composé des Hymnes d'une beauté achevée, qu'elle chantera jusqu'à la consommation des siècles, et jusqu'à ce qu'elle aille chanter dans le ciel le Cantique nouveau de la gloire. (Tombeau, p. 6)

L'abbé Faydit nous donne ailleurs d'autres détails qui prouvent tout le penchant qu'avait Santeul pour Arnauld et Port-Royal. Il est utile de les réunir ici, parce qu'ils ont été oubliés par les collecteurs des anecdotes sur Santeul, Voici le récit de l'abbé Faydit, qui nous découvre en même temps ses propres sympathies pour le jansénisme:

Les ennemis de Monsieur Arnauld irritez contre Santeul, de ce qu'il avoit fait de très-beaux vers, et composé une très-belle Epitaphe à la gloire de ce savant docteur, firent de leur côté d'autres vers latins très-injurieux à sa mémoire, et une Epitaphe cruelle, où ils disoient qu'il étoit bien heureux d'avoir été enterré, qu'il ne méritoit pas d'avoir un tombeau. Monsieur Santeul me l'envoya de son propre mouvement, sans que je la lui demandasse, et fut assez impertinent pour me prier de la mettre dans mon Recueil des pièces différentes qu'on avoit composées de tous côtez sur la mort de ce grand homme. Voici les propres termes de la lettre qu'il m'écrivit, et dont j'envoyai l'original au T. R. P. de la Chaise, pour lui faire connoître quel fondement il devoit faire sur les accusations que Santeul lui faisoit sans cesse contre moy, d'être Auteur de toutes les pièces qui couroient alors sur cette matière :

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› Les cheveux me dressent à la tête : la plume me tombe des mains : je » frissonne d'horreur, (Horresco referens), en vous envoyant la copie d'une Epitaphe, qu'un prêtre, un religieux, un homme qui dit la messe tous les jours, a faite contre monsieur Arnauld. Mettez-la dans votre Recueil. Je l'ay reçue par un inconnu qui l'a donnée à notre portier. L'auteur a caché » son nom. Mais à son style je le connois :

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Pour toute réponse à monsieur Santeul, je luy mandai :

• Qu'il m'auroit fait plus de plaisir, et se seroit fait plus d'honneur à luy⚫ même de supprimer cette Epitaphe, ou plutôt cette Satyre et Libelle diffa» matoire d'un illustre mort, que de me l'envoyer, et de m'exhorter à la ren» dre publique et à la traduire en vers françois ; qu'il me faisoit tort de me

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croire capable d'une pareille lâcheté et que, puisqu'il connoissoit l'Auteur, ⚫ et qu'il croyoit que ce fut un prêtre et un religieux, dont les mains doivent ⚫ être pures et saintes, je luy conseillois de luy rendre vers pour vers, et de luy envoyer ceux que Virgile met à la bouche de l'innocent et malheureux Polydore, enterré dans un pays ennemi et dans une terre étrangère, à qui il fait dire du fond de son Tombeau à Enée, qui le déchiroit et l'ensanglantoit après sa mort, en arrachant avec violence les branches d'osier qui avoient pris racine dans son corps:

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Quid miserum, Ænea, laceras! Jam parce sepulto.

Parce pias scelerare manus. (Eneid. [1, 42)1.

L'auteur de cette épitaphe dure mais trop méritée, qui ne voulait pas se faire connaître en ce moment, et dont Santeul en 1696, et Faydit en 1705, n'osaient prononcer le nom, étaitle P. Commire. Elle courut d'abord anonyme; les éditeurs de ses OEuvres posthumes en 1704 n'osèrent encore la publier; mais le P. Sanadon l'inséra dans son édition de 1753 2. C'est ainsi que ces poëtes se scandalisaient réciproquement au grand détriment de la religion !

Ajoutons encore ici le récit d'une autre excentricité de Santeul à l'égard de l'abbé Faydit:

M. Santeul fut outré contre moi lorsqu'il eut vû quelques Vers innocens que j'avois faits sur lui, où je me raillois de son inconstance, tantôt à louer M. Arnauld dans une excellente Epitaphe qu'il avoit faite sur son cœur, tantôt à rétracter ces louanges et cette Epitaphe parce qu'elle avoit déplu aux Jésuites. Le feu lui monta à la tête, des éclairs sortirent de ses yeux, l'écume lui vint à la bouche, des foudres partirent de sa langue, de ses pieds et de ses mains. Il passa dans une église où je disois la messe: Venez voir le Diable, s'écria-t-il tout haut, qui emporte JÉSUS-CHRIST, dans ses mains, et qui l'enlève comme autrefois sur le Temple. Enfin on peut dire de M. Santeul qu'il étoit dans ses emportements dans le même état que celui dont Virgile a dit :

Totoque ardentis ab ore

Scintilla absistunt, oculis micat acribus ignis. Æneid. XII, 101). Mais comme je sçavois bien que le bon homme n'en avoit pas l'âme plus ulcérée contre moi, et que ce n'étoit que par politique qu'il faisoit le fâché, je ne m'en émus point, et il m'appliqua ces autres vers de Virgile :

1

Nec magis incepto vultum sermone movetur

Quam si dura silex, aut stet Marpesia cautes (Ene. VI, 470)3.

Remarques sur Virgile et sur Homère, etc., t. 1, p. 511, 1705.

2 Voir Opera, tome 1, p. 237.

3 Nouvelles remarques sur Virgile, etc., t. 11, p. 545; 1710,

Et en effet, ce qui prouve que jamais Santeul ne conserva de rancune contre l'abbé Faydit, ce sont les bons et utiles rapports qu'il conserva avec lui, quand cel abbé tomba dans la disgrâce. Ils sont racontés par Faydit lui-même, qui nous donne quelques curieux détails sur l'étude que Santeul avait faite de la philosophie. Nous continuons à citer les vers du Tombeau:

Santeul m'aimoit plus que ses yeux, quoiqu'une légère querelle se fût élevée entre nous; il m'aimoit plus même que ses vers et ses hymnes, quoique celles-ci fussent ses amours, et qu'il aimât passionnément ses vers, qu'il vantoit comme étant au-dessus de ceux de Virgile. Aussi je lui envoyois mes vers a corriger, et il les corrigeoit avec sa supériorité connue. De mon côté, je lui fesois connoître les dogmes de Malebranche, son système des idées et de l'étendue intelligible en Dieu, et les causes occasionnelles sans efficace propre. Illum dogmata Mallebranciana, Docebam melior Sophos vicissim, Ideasque, Noeticamque molem Dei, Protocatarcticasque causas, Quæ sunt nullius efficacitatis,

Et Cartesiacas opiniones. (Tombeau, p. 5.)

tout ce

Et les opinions de Descartes, et les bêtes automates se mouvant avec art, machine sans pensée, ainsi que les tourbillons de ces mondes nouveaux; la plu- rité des mondes, de Fontenelle; les atomes d'Epicure et de Lucrèce, qu'enseignent Hobbes, le philosophe anglais, et Clauberg et Rohault, le néant, le vide épars de Gassendi, enfin toute la sagesse de Platon, les mystères des Brahmes et même Confucius.

Nous ne nous doutions pas, certes, que Santeul se fût livré à l'étude des philosophies de Descartes et de Malebranche, et même qu'il les jugeât sainement, en admirant certaines parties de ces philosophies, et en déclarant les autres des folies, des bagatelles, et les délires d'un esprit hors de lui: Quæ discéns avidâ bibebat aure, Tanquam oracula certa veritatis ; Interdum illa, minus probans, vocabat Insanam sophiam, merasque nugas Et deliria mentis æstuantis. (Ib.)

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C'est sans doute à la suite d'une de ces conversations avec l'abbé Faydit qu'il formula sa pensée sur Descartes dans le distique suivant, qu'il mit au-dessous de son portrait, et où il dit que les secrets de la nature, qui jusqu'alors avaient été cachés à l'esprit humain, s'étaient enfin découverts complétement à ce grand génie :

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