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toire ecclésiastique, rapporte un si prodigieux nombre de faits semblables, bien plus propres au scandale qu'à l'édification.

Vous remarquerez encore que dans cette année 303, où l'on prétend que Dioclétien était présent à toute cette belle aventure dans Antioche, il était à Rome, et qu'il passa toute l'année en Italie. On dit que ce fut à Rome, en sa présence, que saint Genest, comédien, se convertit sur le théâtre, en jouant une comédie contre les chrétiens. Cette comédie montre bien que le goût de Plaute et de Térence ne subsistait plus. Ce qu'on appelle aujourd'hui la comédie ou la farce italienne semble avoir pris naissance en ce temps-là. Saint Genest représentait un malade; le médecin lui demandait ce qu'il avait : Je me sens pesant, dit Genest. « Veux-tu que nous te rabotions pour te rendre plus léger? » lui dit le médecin. Non, répondit Genest; « je veux mourir chrétien, pour ressus<< citer avec une belle taille. » Alors des acteurs habillés en prêtres et en exorcistes viennent pour le baptiser; dans le moment Genest devint en effet chrétien; et, au lieu d'achever son rôle, il se mit à prêcher l'empereur et le peuple. Ce sont encore les Actes sinceres qui rapportent ce miracle.

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Il est certain qu'il y eut beaucoup de vrais mártyrs; mais aussi il n'est pas vrai que les provinces

fussent inondées de sang, comme on se l'imagine. Il est fait mention d'environ deux cents martyrs, vers ces derniers temps de Dioclétien, dans toute l'étendue de l'empire romain; il est avéré, par les lettres de Constantin même, que Dioclétien eut bien moins de part à la persécution que Galère.

Dioclétien tomba malade cette année; et se sentant affaibli, il fut le premier qui donna au monde l'exemple de l'abdication de l'empire. Il n'est pas aisé de savoir si cette abdication fut forcée ou non. Ce qui est certain, c'est qu'ayant recouvré la santé, il vécut encore neuf ans, aussi honoré que paisible, dans sa retraite de Salone, au pays de sa naissance. Il disait qu'il n'avait commencé à vivre que du jour de sa retraite; et lorsqu'on le pressa de remonter sur le trône, il répondit que le trône ne valait pas la tranquillité de sa vïe, et qu'il prenait plus de plaisir à cultiver son jardin qu'il n'en avait eu à gouverner la terre. Que conclurezvous de tous ces faits, sinon qu'avec de très grands défauts il régna en grand empereur, et qu'il acheva sa vie en philosophe?

DE DIODORE DE SICILE ET D'HÉRODOTE.

Il est juste de commencer par Hérodote, comme le plus ancien.

Quand Henri Estienne intitula sa comique rap

sodie Apologie d'Hérodote, on sait assez que son dessein n'était pas de justifier les contes de ce père de l'histoire; il ne voulait que se moquer de nous, et faire voir que les turpitudes de son temps étaient pires que celles des Égyptiens et des Perses. Il usa de la liberté que se donnait tout protestant contre ceux de l'église catholique, apostolique et romaine. Il leur reproche aigrement leurs débauches, leur avarice, leurs crimes expiés à prix d'argent, leurs indulgences publiquement vendues dans les cabarets, les fausses reliques supposées par leurs moines; il les appelle idolatres. Il ose dire que si les Égyptiens adoraient, à ce qu'on dit, des chats et des ognons, les catholiques adoraient des os de morts. Il ose les appeler, dans son discours préliminaire, théophages, et même théokèses 1. Nous avons quatorze éditions de ce livre; car nous aimons les injures qu'on nous dit en commun, autant que nous regimbons contre celles qui s'adressent à nos personnes en notre propre et privé nom.

Henri Estienne ne se servit donc d'Hérodote que pour nous rendre exécrables et ridicules. Nous avons un dessein tout contraire; nous pré

1 Théokèses signifie qui rend dieu à la selle, proprement ch... dieu. Ce reproche affreux, cette injure avilissante n'a pas cependant effrayé le commun des catholiques; preuve évidente que les livres, n'étant point lus par le peuple,n'ont point d'influence sur le peuple. (VOLT.)

tendons montrer que les histoires modernes de nos bons auteurs, depuis Guichardin, sont en général aussi sages, aussi vraies que celles de Diodore et d'Hérodote sont folles et fabuleuses.

1o Que veut dire le père de l'histoire, dès le commencement de son ouvrage : « Les historiens << perses rapportent que les Phéniciens furent les << auteurs de toutes les guerres; de la mer Rouge, « ils entrèrent dans la nôtre, etc.? » Il semblerait que les Phéniciens se fussent embarqués au golfe de Suez; qu'arrivés au détroit de Babel-Mandel ils eussent côtoyé l'Éthiopie, passé la ligne, doublé le cap des Tempêtes, appelé depuis le cap de Bonne-Espérance, remonté au loin entre l'Afrique et l'Amérique qui est le seul chemin, repassé la ligne, entré de l'Océan dans la Méditerranée par les colonnes d'Hercule: ce qui aurait été un voyage de plus de quatre mille de nos grandes lieues marines, dans un temps où la navigation était dans son enfance.

2o La première chose que font les Phéniciens, c'est d'aller vers Argos enlever la fille du roi Inachus, après quoi les Grecs à leur tour vont enlever Europe, fille du roi de Tyr.

3o Immédiatement après, vient Candaule, roi de Lydie, qui, rencontrant un de ses soldats aux gardes, nommé Gygès, lui dit : Il faut que je te montre ma femme toute nue; il n'y manque pas.

La reine l'ayant su dit au soldat, comme de raison: Il faut que tu meures, ou que tu assassines mon mari, et que tu règnes avec moi; ce qui fut fait sans difficulté.

4o Suit l'histoire d'Orion, porté par un marsouin sur la mer, du fond de la Calabre jusqu'au cap de Matapan: ce qui fait un voyage assez extraordinaire d'environ cent lieues.

5o De conte en conte (et qui n'aime pas les contes?), on arrive à l'oracle infaillible de Delphes, qui tantôt devine que Crésus fait cuire un quartier d'agneau et une tortue dans une tourtière de cuivre; et tantôt lui prédit qu'il sera détrôné par un mulet.

6o Parmi les inconcevables fadaises dont toute l'histoire ancienne regorge, en est-il beaucoup qui approchent de la famine qui tourmenta pendant vingt-huit ans les Lydiens? Ce peuple qu'Hérodote nous peint plus riche en or que les Péruviens, au lieu d'acheter des vivres chez l'étranger, ne trouva d'autre secret que celui de jouer aux dames, de deux jours l'un sans manger, pendant vingt-huit années de suite.

7° Connaissez-vous rien de plus merveilleux que l'histoire de Cyrus? Son grand-père, le Mède Astyage, qui, comme vous voyez, avait un nom grec, rêve une fois que sa fille Mandane (autre nom grec) inonde toute l'Asie en pissant; une

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