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gument si méprisé est de Cicéron et de Newton. Il pourrait par cela seul faire entrer les athées en quelque défiance d'eux-mêmes. Le nombre est assez grand des sages qui, en observant le cours des astres, et l'art prodigieux qui règne dans la structure des animaux et des végétaux, reconnaissent une main puissante qui opère ces continuelles merveilles.

L'auteur prétend que la matière aveugle et sans choix produit des animaux intelligens. Produire sans intelligence des êtres qui en ont! cela estil concevable? Ce système est-il appuyé sur la moindre vraisemblance? Une opinion si contradictoire exigerait des preuves aussi étonnantes qu'elle-même. L'auteur n'en donne aucune; il ne prouve jamais rien, et il affirme tout ce qu'il avance. Quel chaos! quelle confusion! mais quelle témérité!

Spinosa du moins avouait une intelligence agissante dans ce grand tout, qui constituait la na ture; il y avait là de la philosophie. Mais je suis forcé de dire que je n'en trouve aucune dans le nouveau système.

La matière est étendue, solide, gravitante, divisible; j'ai tout cela aussi bien que cette pierre. Mais a-t-on jamais vu une pierre sentante et pensante? Si je suis étendu, solide, divisible, je le dois à la matière. Mais j'ai sensations et pensées, à

qui le dois-je ? ce n'est pas à de l'eau, à de la fange; il est vraisemblable que c'est à quelque chose de plus puissant que moi. C'est à la combinaison seule des élémens, me dites-vous. Prouvez-lemoi donc; faites-moi donc voir nettement qu'une cause intelligente ne peut m'avoir donné l'intelligence. Voilà où vous êtes réduit.

L'auteur combat avec succès le dieu des scolastiques; un dieu composé de qualités discordantes; un dieu auquel on donne, comme à ceux d'Homère, les passions des hommes; un dieu capricieux, inconstant, vindicatif, inconséquent, absurde : mais il ne peut combattre le dieu des sages. Les sages, en contemplant la nature, admettent un pouvoir intelligent et suprême. Il est peutêtre impossible à la raison humaine destituée du secours divin, de faire un pas plus avant.

L'auteur demande où réside cet être; et de ce que personne sans être infini ne peut dire où il réside, il conclut qu'il n'existe pas. Cela n'est pas philosophique; car de ce que nous ne pouvons dire où est la cause d'un effet, nous ne devons pas conclure qu'il n'y a point de cause. Si vous n'aviez jamais vu de canonniers, et que vous vissiez l'effet d'une batterie de canon, vous ne devriez dire: Elle agit toute seule par sa propre vertu. Ne tient-il donc qu'à dire, Il n'y a point de dieu, pour qu'on vous en croie sur votre parole?

pas

par la

Enfin, sa grande objection est dans les malheurs et dans les crimes du genre humain, objection aussi ancienne que philosophique; objection commune, mais fatale et terrible, à laquelle on ne trouve de réponse que dans l'espérance d'une vie meilleure. Et quelle est encore cette espérance? nous n'en pouvons avoir aucune certitude raison. Mais j'ose dire que quand il nous est prouvé qu'un vaste édifice construit avec le plus grand art est bâti par un architecte quel qu'il soit, nous devons croire à cet architecte, quand même l'édifice serait teint de notre sang, souillé de nos crimes, et qu'il nous écraserait par sa chute. Je n'examine pas encore si l'architecte est bon, si je dois être satisfait de son édifice, si je dois en sortir plutôt que d'y demeurer; si ceux qui sont logés comme moi dans cette maison pour quelques jours en sont contens j'examine seulement s'il est vrai qu'il y ait un architecte, ou si cette maison, remplie de tant de beaux appartemens et de vilains' galetas, s'est bâtie toute seule.

SECTION V.

De la nécessité de croire un Être suprême.

Le grand objet, le grand intérêt, ce me semble, n'est pas d'argumenter en métaphysique, mais de peser s'il faut, pour le bien commun de nous

autres animaux misérables et pensans, admettre un dieu rémunérateur et vengeur, qui nous serve à la fois de frein et de consolation, ou rejeter cette idée, en nous abandonnant à nos calamités sans espérances, et à nos crimes sans remords.

Hobbes dit que si, dans une république où l'on ne reconnaîtrait point de dieu, quelque citoyen en proposait un, il le ferait pendre.

Il entendait apparemment, par cette étrange exagération, un citoyen qui voudrait dominer au nom de Dieu, un charlatan qui voudrait se faire tyran Nous entendons des citoyens qui, sentant la faiblesse humaine, sa perversité et sa misère, cherchent un point fixe pour assurer leur morale, et un appui qui les soutienne dans les langueurs et dans les horreurs de cette vie.

Depuis Job jusqu'à nous, un très grand nombre d'hommes a maudit son existence; nous avons donc un besoin perpétuel de consolation et d'espoir. Votre philosophie nous en prive. La fable de Pandore valait mieux, elle nous laissait l'espérance, et vous nous la ravissez! La philosophie, selon vous, ne fournit aucune preuve d'un bonheur à venir: non; mais vous n'avez aucune démonstration du contraire. Il se peut qu'il y ait en nous une monade indestructible qui sente et qui pense, sans que nous sachions le moins du monde comment cette monade est faite. La raison ne s'op

pose point absolument à cette idée, quoique la raison seule ne la prouve pas. Cette opinion n'at-elle pas un prodigieux avantage sur la vôtre? La mienne est utile au genre humain, la vôtre est funeste; elle peut, quoi que vous en disiez, encourager les Néron, les Alexandre VI, et les Cartouche; la mienne la mienne peut les réprimer.

Marc-Antonin, Épictète, croyaient que leur monade, de quelque espèce qu'elle fût, se rejoindrait à la monade du grand Être; et ils furent les plus vertueux des hommes.

Dans le doute où nous sommes tous deux, je ne vous dis pas avec Pascal: Prenez le plus sûr. Il n'y a rien de sûr dans l'incertitude. Il ne s'agit pas ici de parier, mais d'examiner: il faut juger; et notre volonté ne détermine pas notre jugement. Je ne vous propose pas de croire des choses extravagantes pour vous tirer d'embarras; je ne vous dis pas Allez à la Mecque baiser la pierre noire pour vous instruire; tenez une queue de vache à la main; affublez-vous d'un scapulaire; soyez imbécile et fanatique pour acquérir la faveur de l'Être des êtres. Je vous dis : Continuez à cultiver la vertu, à être bienfesant, à regarder toute superstition avec horreur ou avec pitié; mais adorez avec moi le dessein qui se manifeste dans toute la nature, et par conséquent l'auteur de ce dessein, la cause primordiale et finale de tout; espérez avec

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