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On les voit, d'une marche incertaine et tremblante,
Suivre de loin l'Injure impie et menaçante,
L'Injure au front superbe, au regard sans pitié,
Qui parcourt à grands pas l'univers effrayé.
Elles demandent grace... et lorsqu'on les refuse,
C'est au trône de Dieu que leur voix vous accuse;
On les entend crier en lui tendant les bras:
Punissez le cruel qui ne pardonne pas;
Livrez ce cœur farouche aux affronts de l'Injure;
Rendez-lui tous les maux qu'il aime qu'on endure;
Que le barbare apprenne à gémir comme nous.
Jupiter les exauce; et son juste courroux

S'appesantit bientôt sur l'homme impitoyable.

Voilà une traduction faible, mais assez exacte; et, malgré la gêne de la rime et la sécheresse de la langue, on aperçoit quelques traits de cette grande et touchante image, si fortement peinte dans l'original.

Que fait le correcteur d'Homère? il mutile en deux vers d'antithèses toute cette peinture :

On irrite les dieux; mais par des sacrifices,
De ces dieux irrités on fait des dieux propices.

LA MOTTE-HOUDART, Iliade, ch. vr.

Ce n'est plus qu'une sentence triviale et froide. Il y a sans doute des longueurs dans le discours de Phénix; mais ce n'était pas la peinture des Prières qu'il fallait retrancher.

I

Homère a de grands défauts; Horace l'avoue',

Quandoque bonus dormitat Homerus.

Art poétique, v. 359. (L. D. B.)

tous les hommes de goût en conviennent; il n'y a qu'un commentateur qui puisse être assez aveugle pour ne les pas voir. Pope lui-même, traducteur du poëte grec, dit que « c'est une vaste campagne, <«< mais brute, où l'on rencontre des beautés na<< turelles de toute espèce, qui ne se présentent « pas aussi régulièrement que dans un jardin régulier; que c'est une abondante pépinière qui <<< contient les semences de tous les fruits, un grand << arbre qui pousse des branches superflues qu'il « faut couper. »

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Madame Dacier prend le parti de la vaste campagne, de la pépinière, et de l'arbre, et veut qu'on ne coupe rien. C'était sans doute une femme au dessus de son sexe, et qui a rendu de grands services aux lettres, ainsi que son mari; mais quand elle se fit homme, elle se fit commentateur; elle outra tant ce rôle qu'elle donna envie de trouver Homère mauvais. Elle s'opiniâtra au point d'avoir tort avec M. de La Motte même. Elle écrivit contre lui en régent de collége; et La Motte répondit comme aurait fait une femme polie et de beaucoup d'esprit. Il traduisit très mal l'Iliade, mais il l'attaqua fort bien.

Nous ne parlerons pas ici de l'Odyssée; nous en dirons quelque chose quand nous serons à l'Arioste.

DE VIRGILE.

Il me semble que le second livre de l'Énéide, le quatrième et le sixième, sont autant au dessus de tous les poëtes grecs et de tous les latins, sans exception, que les statues de Girardon sont supérieures à toutes celles qu'on fit en France avant lui.

On a souvent dit que Virgile a emprunté beaucoup de traits d'Homère, et que même il lui est inférieur dans ses imitations; mais il ne l'a point imité dans ces trois chants dont je parle. C'est là qu'il est lui-même, c'est là qu'il est touchant et qu'il parle au cœur. Peut-être n'était-il point fait pour le détail terrible mais fatigant des combats. Horace avait dit de lui, avant qu'il eût entrepris l'Énéide:

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Facetum ne signifie pas ici facétieux, mais agréable. Je ne sais si on ne retrouve pas un peu de cette mollesse heureuse et attendrissante dans la passion fatale de Didon. Je crois du moins y retrouver l'auteur de ces vers admirables qu'on rencontre dans ses Églogues:

Ut vidi, ut perii, ut me malus abstulit error!

VIRG., eclog. VIII.

DICTIONN. PHILOS. T. IV.

25

Certainement le chant de la descente aux enfers ne serait pas déparé par ces vers de la quatrième églogue:

Ille deum vitam accipiet, divisque videbit
Permistos heroas, et ipse videbitur illis;
Pacatumque reget patriis virtutibus orbem.

Je crois revoir beaucoup de ces traits simples, élégans, attendrissans, dans les trois beaux chants de l'Enéide.

Tout le quatrième chant est rempli de vers touchans, qui font verser des larmes à ceux qui ont de l'oreille et du sentiment.

Dissimulare etiam sperasti, perfide, tantum
Posse nefas, tacitusque mea décedere terra?
Nec te noster amor, nec te data dextera quondam,
Nec moritura tenet crudeli funere Dido?

V. 305-308.

Conscendit furibunda

rogos, ensemque recludit

Dardanium, non hos quæsitum munus in usus.

V. 646-647

Il faudrait transcrire presque tout ce chant, si on voulait en faire remarquer les beautés.

Et dans le sombre tableau des enfers, que de vers encore respirent cette mollesse touchante et noble à la fois!

Ne, pueri, ne tanta animis assuescite bella.
L. vi, 832.

Tuque prior, tu, parce, genus qui ducis Olympo;
Projice tela manu, sanguis meus.

L. vi, 834-835.

Enfin on sait combien de larmes fit verser à I l'empereur Auguste, à Livie, à tout le palais, ce seul demi-vers :

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Homère n'a jamais fait répandre de pleurs. Le vrai poëte est, à ce qu'il me semble, celui qui remue l'ame et qui l'attendrit; les autres sont de beaux parleurs. Je suis loin de proposer cette opinion pour règle. Je donne mon avis, dit Montaigne, non comme bon, mais comme mien.

DE LUCAIN.

Si vous cherchez dans Lucain l'unité de lieu et d'action, vous ne la trouverez pas; mais où la. trouveriez-vous? Si vous espérez sentir quelque émotion, quelque intérêt, vous n'en éprouverez pas dans les longs détails d'une guerre dont le fond est rendu très sec, et dont les expressions sont ampoulées; mais si vous voulez des idées fortes, des discours d'un courage philosophique et su

Ce fait, généralement accrédité, a été contesté avec raison par le savant M. Mongez dans un mémoire qu'il lut à l'Institut ( Académie des belles lettres). Voyez le Moniteur du 1er décembre 1818. (L. D. B.)

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