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cette tradition des Chaldéens ou des Babyloniens, qui reconnaissaient aussi un Énoch, ou Anach, pour inventeur de l'astronomie.

On pleurait Enoch un jour de l'année en Phrygie, comme on pleurait Adoni, ou Adonis, chez les Phéniciens.

› L'écrivain ingénieux et profond qui croit Élie un personnage purement allégorique, pense la même chose d'Énoch. Il croit qu'Enoch, Anach, Annoch, signifiait l'année; que les Orientaux le pleuraient ainsi qu'Adonis, et qu'ils se réjouissaient au commencement de l'année nouvelle;

Que le Janus, connu ensuite en Italie, était l'ancien Anach, ou Annoch, de l'Asie ;

Que non seulement Énoch signifiait autrefois chez tous ces peuples le commencement et la fin de l'an, mais le dernier jour de la semaine;

Que les noms d'Anne, de Jean, de Januarius (Janvier), ne sont venus que de cette source.

Il est difficile de pénétrer dans les profondeurs de l'histoire ancienne. Quand on y saisirait la vérité à tâtons, on ne serait jamais sûr de la tenir. Il faut absolument qu'un chrétien s'en tienne à l'écriture, quelque difficulté qu'on trouve à l'entendre.

ÉLOQUENCE'.

(Cet article a paru dans le grand Dictionnaire encyclopédique. Il y a dans celui-ci des additions, et, ce qui vaut bien mieux, des retranchemens.)

L'éloquence est née avant les règles de la rhétorique, comme les langues se sont formées avant la grammaire. La nature rend les hommes éloquens dans les grands intérêts et dans les grandes passions. Quiconque est vivement ému voit les choses d'un autre oil que les autres hommes. Tout est pour lui objet de comparaison rapide et de métaphore: sans qu'il y prenne garde, il anime tout et fait passer dans ceux qui l'écoutent une partie de son enthousiasme. Un philosophe très éclairé2 a remarqué que le peuple même s'exprime par des figures, que rien n'est plus commun, plus naturel que les tours qu'on appelle tropes. Ainsi dans

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«

I

On lit en tête de cet article, dans le Dictionnaire encyclopé dique, ce qui suit : « L'article suivant nous a été envoyé par M. de ■ Voltaire, qui, en contribuant par son travail à la perfection de l'Encyclopédie, veut bien donner à tous les gens de lettres citoyens l'exemple du véritable intérêt qu'ils doivent prendre à cet ouvrage. • Dans la lettre qu'il nous a fait l'honneur de nous écrire à ce sujet, « il a la modestie de ne donner cet article que comme une simple esquisse; mais ce qui n'est regardé que comme une esquisse par ■ un grand maître est un tableau précieux pour les autres. Nous

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• exposons donc au public cet excellent morceau tel que nous l'avons de son illustre auteur. Y pourrions-nous toucher sans lui faire a tort? (L. D. B.)

• reçu

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2 Du Marsais. B.

toutes les langues, « le cœur brûle, le courage << s'allume, les yeux étincellent, l'esprit est accablé, <«< il se partage, il s'épuise, le sang se glace, la tête << se renverse, on est enflé d'orgueil, enivré de « vengeance ; » la nature se peint partout dans ces images fortes, devenues ordinaires.

C'est elle dont l'instinct enseigne à prendre d'abord un air, un ton modeste avec ceux dont on a besoin. L'envie naturelle de captiver ses juges et ses maîtres, le recueillement de l'ame profondément frappée, qui se prépare à déployer les sentimens qui la pressent, sont les premiers maîtres de l'art.

C'est cette même nature qui inspire quelquefois des débuts vifs et animés; une forte passion, un danger pressant, appellent tout d'un coup l'imagination: ainsi un capitaine des premiers califes voyant fuir les musulmans, s'écria : « Où courez« vous? ce n'est pas là que sont les ennemis1. >> On attribue ce même mot à plusieurs capitaines; on l'attribue à Cromwell. Les ames fortes se rencontrent beaucoup plus souvent que les beaux esprits. Rasi, un capitaine musulman du temps même de Mahomet, voit les Arabes effrayés qui

Voltaire a supprimé ici ce qui suit : « On vous a dit que le calife est tué. Eh! qu'importe qu'il soit au nombre des vivans ou des - morts? Dieu est vivant, et vous regarde; marchez! » Il a reporté plus bas ce sublime mouvement oratoire. (L. D. B.)

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s'écrient que leur général Dérar est tué : « Qu'im<< porte, dit-il, que Dérar soit mort? Dieu est vivant, << et vous regarde; marchez! >>

C'était un homme bien éloquent que ce matelot anglais, qui fit résoudre la guerre contre l'Espagne en 1740. «< Quand les Espagnols, m'ayant mutilé, « me présentèrent la mort, je recommandai mon << ame à Dieu, et ma vengeance à ma patrie. »

La nature fait donc l'éloquence; et si on a dit que les poëtes naissent, et que les orateurs se forment, on l'a dit quand l'éloquence a été forcée d'étudier les lois, le génie des juges, et la méthode du temps: la nature seule n'est éloquente que par élans.

Les préceptes sont toujours venus après l'art. Tisias fut le premier qui recueillit les lois de l'éloquence, dont la nature donne les premières règles.

Platon dit ensuite, dans son Gorgias, qu'un orateur doit avoir la subtilité des dialecticiens, la science des philosophes, la diction presque des poëtes, la voix et les gestes les plus grands

acteurs.

Aristote fit voir après lui que la véritable philosophie est le guide secret de l'esprit de tous les arts; il creusa les sources de l'élòquence, dans son

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Ce sont les propres termes de Cicéron, de Oratore, 1, 28: Verba prope poetarum. ( Nouv. édit.)

livre de la Rhétorique ; il fit voir que la dialectique est le fondement de l'art de persuader, et qu'être éloquent, c'est savoir prouver.

Il distingua les trois genres, le délibératif, le démonstratif et le judiciaire. Dans le délibératif, il s'agit d'exhorter ceux qui délibèrent à prendre un parti sur la guerre et sur la paix, sur l'administration publique, etc.; dans le démonstratif, de faire voir ce qui est digne de louange ou de blâme; dans le judiciaire, de persuader, d'absoudre ou de condamner, etc. On sent assez que ces trois genres rentrent souvent l'un dans l'autre.

Il traite ensuite des passions et des mœurs, que tout orateur doit connaître.

Il examine quelles preuves on doit employer dans ces trois genres d'éloquence. Enfin, il traite à fond de l'élocution, sans laquelle tout languit; il recommande les métaphores, pourvu qu'elles soient justes et nobles; il exige surtout la convenance et la bienséance. Tous ces préceptes respirent la justesse éclairée d'un philosophe et la politesse d'un Athénien; et, en donnant les règles de l'éloquence, il est éloquent avec simplicité.

1

Il est à remarquer que la Grèce fut la seule contrée de la terre où l'on connût alors les lois de l'éloquence, parce que c'était la seule où la véritable éloquence existât. L'art grossier était chez tous les hommes; des traits sublimes ont échappé

DICTIONN. PHILOS. T. IV.

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