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célèbre Ninon Lenclos le jour même qu'elle eut quatre-vingts ans accomplis. Ce n'était pas assurément à un prêtre de conter cette aventure dans un prétendu Dictionnaire des hommes illustres. Une telle sottise n'est nullement vraisemblable; et je puis certifier que rien n'est plus faux. On mettait autrefois cette anecdote sur le compte de l'abbé de Châteauneuf, qui n'était pas difficile en amour, et qui, disait-on, avait eu les faveurs de Ninon âgée de soixante ans, ou plutôt lui avait donné les siennes. J'ai beaucoup vu dans mon enfance l'abbé Gédoyn, l'abbé de Châteauneuf, et mademoiselle Lenclos; je puis assurer qu'à l'âge de quatrevingts ans, son visage portait les marques les plus hideuses de la vieillesse; que son corps en avait toutes les infirmités, et qu'elle avait dans l'esprit les maximes d'un philosophe austère.

A l'article Deshoulières, le rédacteur prétend que c'est elle qui est désignée sous le nom de précieuse dans la satire de Boileau contre les femmes. Jamais personne n'eut moins ce défaut que madame Deshoulières; elle passa toujours pour la femme du meilleur commerce; elle était très simple et très agréable dans la conversation.

L'article La Motte est plein d'injures atroces contre cet académicien, homme très aimable, poëte philosophe, qui a fait des ouvrages estimables dans tous les genres. Enfin l'auteur, pour

vendre son livre en six volumes, en a fait un libelle diffamatoire.

Son héros est Carré de Montgeron, qui présenta au roi un recueil des miracles opérés par les convulsionnaires dans le cimetière de Saint-Médard; et son héros était un sot qui est mort fou.

L'intérêt du public, de la littérature et de la raison, exigeait qu'on livrât à l'indignation publique ces libellistes à qui l'avidité d'un gain sordide pourrait susciter des imitateurs, d'autant plus que rien n'est si aisé que de copier des livres par ordre alphabétique, et d'y ajouter des platitudes, des calomnies et des injures.

EXTRAIT DES RÉFLEXIONS d'un académICIEN

SUR LE DICTIONNAIRE DE L'ACADÉMIE.

J'aurais voulu rapporter l'étymologie naturelle et incontestable de chaque mot, comparer l'emploi, les diverses significations, l'énergie de ce mot avec l'emploi, les acceptions diverses, la force ou la faiblesse du terme qui répond à ce mot dans les langues étrangères; enfin citer les meilleurs auteurs qui ont fait usage de ce mot, faire voir le plus ou moins d'étendue qu'ils lui ont donné, remarquer s'il est plus propre à la poésie qu'à la prose.

Par exemple, j'observais que l'inclémence des airs est ridicule dans une histoire, parce que ce

terme d'inclémence a son origine dans la colère du ciel qu'on suppose manifestée par l'intempérie, les dérangemens, les rigueurs des saisons, la violence du froid, la corruption de l'air, les tempêtes, les orages, les vapeurs pestilentielles, etc. Ainsi donc inclémence étant une métaphore, est consacrée à la poésie.

Je donnais au mot impuissance toutes les acceptions qu'il reçoit. Je fesais voir dans quelle faute est tombé un historien qui parle de l'impuissance du roi Alfonse, en n'exprimant pas si c'était celle de résister à son frère, ou celle dont sa femme l'accusait.

Je tâchais de faire voir que les épithètes irrésistible, incurable, exigeaient un grand ménagement. Le premier qui a dit l'impulsion irrésistible du génie a très bien rencontré, parce qu'en effet il s'agissait d'un grand génie qui s'était livré à son talent, malgré tous les obstacles. Les imitateurs, qui ont employé cette expression pour des homines médiocres, sont des plagiaires qui ne savent pas placer ce qu'ils dérobent.

Le mot incurable n'a encore été enchâssé dans un vers que par l'industrieux Racine:

D'un incurable amour remèdes impuissans.

Phèdre, acte I, scène III.

Voilà ce que Boileau appelle des mots trouvés.

DICTIONN. PHILOS. T. IV.

Dès qu'un homme de génie a fait un usage nouveau d'un terme de la langue, les copistes ne manquent pas d'employer cette même expression mal à propos en vingt endroits, et n'en font jamais honneur à l'inventeur.

Je ne crois pas qu'il y ait un seul de ces mots trouvés, une seule expression neuve de génie,dans aucun auteur tragique depuis Racine, excepté ces années dernières. Ce sont pour l'ordinaire des termes lâches, oiseux, rebattus, si mal mis en place qu'il en résulte un style barbare; et, à la honte de la nation, ces ouvrages visigoths et vandales furent quelque temps prônés, célébrés, admirés dans les journaux, dans les Mercures, surtout quand ils furent protégés par je ne sais quelle dame* qui ne s'y connaissait point du tout. On en est revenu aujourd'hui; et à un ou deux près, ils sont pour jamais anéantis.

Je ne prétendais pas faire toutes ces réflexions, mais mettre le lecteur en état de les faire.

Je fesais voir à la lettre E que nos e muets, qui nous sont reprochés par un Italien, sont précisément ce qui forme la délicieuse harmonie de notre langue. « Empire, couronne, diadème, épouvan

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table, sensible; » cet e muet, qu'on fait sentir

* Cela paraît avoir rapport au Catilina de Crébillon, et à madame de Pompadour, que les ennemis de Voltaire avaient excitée à favoriser le succès de cette mauvaise tragédie.

sans l'articuler, laisse dans l'oreille un son mélodieux, comme celui d'un timbre qui résonne encore quand il n'est plus frappé. C'est ce que nous avons déja répondu à un Italien homme de lettres, qui était venu à Paris pour enseigner sa langue, et qui ne devait pas y décrier la nôtre1.

Il ne sentait pas la beauté et la nécessité de nos rimes féminines; elles ne sont que des e muets. Cet entrelacement de rimes masculines et féminines fait le charme de nos vers.

De semblables observations sur l'alphabet et sur les mots auraient pu être de quelque utilité; mais l'ouvrage eût été trop long.

DIEU. DIEUX.

SECTION PREMIÈRE.

On ne peut trop avertir que ce Dictionnaire n'est point fait pour répéter ce que tant d'autres ont dit.

La connaissance d'un Dieu n'est point empreinte en nous par les mains de la nature; car tous les hommes auraient la même idée, et nulle idée ne naît avec nous 2. Elle ne nous vient point comme la perception de la lumière, de la terre, etc.,

1

Deodati de Tovazzi, à qui Voltaire adressa des stances, et

deux lettres, les 24 janvier 1761 et 9 septembre 1766. (L. D. B.)

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