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On nomme une prison le nœud de l'hyménée; L'amour même a des fers dont l'àme est enchaînée; Vous les rompiez pour moi, je n'y puis consentir. Rentrez dans la prison dont vous vouliez sortir.

DORANTE.

Ami, c'est là le but qu'avait votre colère ?

PHILISTE.

Ami, je fais bien moins que vous ne vouliez faire.
CLÉANDRE.

Comme à lui je vous dois et la vie et l'honneur.

MÉLISSE.

Vous m'avez fait trembler pour croître mon bonheur.
PHILISTE, à Mélisse.

J'ai voulu voir vos pleurs pour mieux voir votre flamme,
Et la crainte a trahi les secrets de votre âme.

Mais quittons désormais des compliments si vains.

(à Cléandre.)

Votre secret, monsieur, est sûr entre mes mains;
Recevez-moi pour tiers d'une amitié si belle,
Et croyez qu'à l'envi je vous serai fidèle.

CLITON, seul.

Ceux qui sont las debout se peuvent aller seoir;
Je vous donne en passant cet avis, et bonsoir 1.

Cette scène est encore manquée : l'auteur n'a point fait de Philiste l'usage qu'il en pouvait faire. Un rival ne doit jamais être un personnage épisodique et inutile. Philiste est froid; et c'est, comme on l'a dit si souvent, le plus grand des défauts. Ce refrain, Rentrez dans la prisɔn dont vous vouliez sortir, est encore plus froid que le caractère de Philiste; et cette petite finesse anéantit tout le mérite que pouvait avoir Philiste en se sacrifiant pour son ami. Je ne sais si je me trompe; mais, en donnant de l'âme à ce caractère, en mettant en œuvre la jalousie, en retranchant quelques mauvaises plaisanteries de Cliton, on ferait de cette pièce un chef-d'œuvre. (V.)

DE LA SUITE DU MENTEUR.

L'effet de cette pièce n'a pas été si avantageux que celui de la précédente, bien qu'elle soit mieux écrite 1. L'original espagnol est de Lope de Vègue sans contredit, et a ce défaut que ce n'est que le valet qui fait rire, au lieu qu'en l'autre les principaux agréments sont dans la bouche du maître. L'on a pu voir par les divers succès quelle différence il y a entre les railleries spirituelles d'un honnête homme de bonne humeur, et les bouffonneries froides d'un plaisant à gages. L'obscurité que fait en celleci le rapport à l'autre a pu contribuer quelque chose à sa disgrâce, y ayant beaucoup de choses qu'on ne peut entendre, si l'on n'a l'idée présente du Menteur. Elle a encore quelques défauts particuliers. Au second acte, Cléandre raconte à sa sœur la générosité de Dorante qu'on a vue au premier, contre la maxime, qu'il ne faut jamais faire raconter ce que le spectateur a déjà vu. Le cinquième est trop sérieux pour une pièce si enjouée, et n'a rien de plaisant que la première scène entre un valet et une servante. Cela plaît si fort en Espagne, qu'ils font souvent parler bas les amants de condition, pour donner lieu à ces sortes de gens de s'entredire des badinages; mais en France, ce n'est pas le goût de l'auditoire. Leur entretien est plus supportable au premier acte, cependant que Dorante écrit : car il ne faut jamais laisser le théâtre sans qu'on y agisse, et l'on n'y agit qu'en parlant. Ainsi Dorante qui écrit ne le remplit pas assez; et toutes les fois que cela arrive, il faut fournir l'action par d'autres gens qui parlent. Le second débute par une adresse digne d'être remarquée, et dont on peut former cette règle, que, quand on a quelque occasion de louer une lettre, un billet, ou quelque autre pièce éloquente ou spirituelle, il ne faut jamais la faire voir, parce qu'alors c'est une propre louange que le poëte se donne à soi-même; et souvent le mérite de la chose répond si mal aux éloges qu'on en fait, que j'ai vu des stances présentées à une

La Suite du Menteur ne réussit point. Serait-il permis de dire qu'avec quelques changements elle ferait au théâtre plus d'effet que le Menteur même ? L'intrigue de cette seconde pièce espagnole est beaucoup plus intéressante que la première. Dès que l'intrigue attache, le succès ne dépend plus que de quelques embellissements, de quelques convenances, que peut-être Corneille négligea trop dans les derniers actes de cette pièce. (V.)

maîtresse, qu'elle vantait d'une haute excellence, bien qu'elles fussent très-médiocres ; et cela devenait ridicule. Mélisse loue ici la lettre que Dorante lui a écrite; et comme elle ne la lit point, l'auteur a lieu de croire qu'elle est aussi bien faite qu'elle le dit. Bien que d'abord cette pièce n'eût pas grande approbation, quatre ou cinq ans après la troupe du Marais la remit sur le théâtre avec un succès plus heureux; mais aucune des troupes qui courent les provinces ne s'en est chargée. Le contraire est arrivé de Théodore', que les troupes de Paris n'y ont point rétablie depuis sa disgrâce mais que celles des provinces y ont fait assez passablement réussir.

Il ne faut jamais juger d'une pièce par les succès des premières années, ni à Paris ni en province; le temps seul met le prix aux ouvrages, et l'opinion réfléchie des bons juges est à la longue l'arbitre du goût du public. (V.)

FIN DE LA SUITE DU MENTEUR.

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