DU MENTEUR, COMÉDIE. (1643.) DORANTE. ACTEURS. CLITON, valet de Dorante. CLEANDRE, gentilhomme de Lyon. MÉLISSE, sœur de Cléandre. PHILISTE, ami de Dorante, et amoureux de Mélisse. UN PRÉVOT. La scène est à Lyon. ACTE PREMIER. SCÈNE PREMIÈRE' DORANTE, CLITON. (Dorante paraît écrivant dans une prison, et le geôlier ouvrant la porte à Cliton, et le lui montrant.) CLITON. Ah! monsieur, c'est donc vous? DORANTE. Cliton, je te revoi! CLITON. Je vous trouve, monsieur, dans la maison du roi! Dès les premiers vers, un grand intérêt commence : Dorante est en prison, après avoir disparu le jour de ses noces : il est vrai qu'il n'a eu aucune raison de s'enfuir quand il allait se marier, que c'est un caprice impardonnable, que ce caprice même le rend un peu méprisable; sa maîtresse a épousé son père, ce père est mort : tout cela excite beaucoup de curiosité. C'est une chose à laquelle il ne faut jamais manquer dans les expositions: toute première scène qui ne donne pas envie de voir les autres ne vaut rien. (V.) Quel charme, quel désordre, ou quelle raillerie DORANTE. Tu le sauras tantôt. Mais qui t'amène ici? Les soins de vous chercher. CLITON. DORANTE. Tu prends trop de souci; Et bien qu'après deux ans ton devoir s'en avise, CLITON. Et qui savait, monsieur, où vous étiez allé? I Vous sûtes faire gille 1, et fendîtes le vent. Comme il ne fut jamais d'éclipse plus obscure, • Quand quelqu'un s'est dérobé et s'en est fui secrètement, on dit qu'il a fait gille, parce que saint Gilles, prince du Languedoc, s'enfuit secrètement, de peur d'être fait roi. (BELLINGEN, Étymologie des proverbes français, édition de 1656.) 2 Je mis dans mon caprice ne peut signifier je mis dans ma tête, dans ma fantaisie, dans mon imagination, dans mon esprit : on n'a pas le caprice comme on a une faculté de l'ame; on peut bien avotr un caprice dans son idée, mais on n'a point une idée dans son caprice. Et, tout simple et doucet, sans chercher de finesse, I DORANTE. Je l'aimais, je te jure; et, pour la posséder, Mais, dis-moi, que fit-elle? et que dit lors son père? CLITON. D'abord de part et d'autre on vous attend sans bruit; Chante, danse, discourt, rit; mais, sur mon honneur, Ancienne façon de parler qui signifie le temps, parce que les anciens figuraient le temps sous l'emblème d'un vieillard boiteux qui avait des ailes, pour faire voir que le mal arrive trop vite, et le bien trop lentement. Nous ne remarquerons pas dans cette pièce toutes les fautes de langage: elles sont en très-grand nombre; mais c'est assez d'avertir qu'en général il ne faut pas imiter le style de cet ouvrage, trop négligé. Il me semble que la meilleure manière de s'instruire est d'observer soigneusement les fautes des bons écrits, parce qu'elles pourraient être d'un exemple dangereux, et de remarquer les beautés des pièces moins heureuses, parce que d'ordinaire ces beautés sont perdues. (V.) La pauvre délaissée épouse votre père, Et, rongeant dans son cœur son déplaisir secret, Et comme en un naufrage on se prend où l'on peut, DORANTE. J'ai su sa mort à Rome, où j'en ai pris le deuil. CLITON. Elle a laissé chez vous un diable de ménage : Je veux voir ce que c'est ; et je vois, ce me semble, DORANTE. La mienne est bien étrange, on me prend pour un autre. CLITON. J'eusse osé le gager. Est-ce meurtre, ou larcin? DORANTE. Suis-je fait en voleur, ou bien en assassin? CLITON. Connaît-on à l'habit aujourd'hui la canaille? DORANTE. Tu dis vrai; mais écoute. Après une querelle Qu'à Florence un jaloux me fit pour quelque belle, Je pars seul et de nuit, et prends ma route en France, N'aurons-nous point ici de guerres d'Allemagne '? Que dis-tu ? DORANTE. CLITON. Rien, monsieur; je gronde entre mes dents Du malheur qui suivra ces rares incidents; DORANTE. Donc à deux cavaliers je vois tirer l'épée; Et, pour en empêcher l'événement fatal, J'y cours la mienne au poing, et descends de cheval. 2 Se hâte d'achever avant qu'on les sépare, Presse sans perdre temps, si bien qu'à mon abord Ce fut en cet état, les doigts de sang souillés, 1 Voyez le Menteur, acte 1, sc. III. 2 On mettait indifféremment, du temps de Corneille, au singulier ou an pluriel le verbe régi par l'un et l'autre. |