LE MENTEUR. AU LECTEUR. Bien que cette comédie et celle qui la suit soient toutes deux de l'invention de Lope de Vega, je ne vous les donne point dans le même ordre que je vous ai donné le Cid et Pompée, dont en l'un vous avez vu les vers espagnols, et en l'autre les latins, que j'ai traduits ou imités de Guillem de Castro et de Lucain. Ce n'est pas que je n'aye ici emprunté beaucoup de choses de cet admirable original; mais, comme j'ai entièrement dépaysé les sujets pour les habiller à la française, vous trouveriez si peu de rapport entre l'Espagnol et le Français, qu'au lieu de satisfaction vous n'en recevriez que de l'importunité. Par exemple, tout ce que je fais conter à notre Menteur des guerres d'Allemagne, où il se vante d'avoir été, l'Espagnol le lui fait dire du Pérou et des Indes, dont il fait le nouveau revenu; et ainsi de la plupart des autres incidents, qui, bien qu'ils soient imités de l'original, n'ont presque point de ressemblance avec lui pour les pensées, ni pour les termes qui les expriment. Je me contenterai donc de vous avouer que les sujets sont entièrement de lui, comme vous les trouverez dans la vingt et deuxième partie de ses comédies. Pour le reste, j'en ai pris tout ce qui s'est pu accommoder à notre usage; et, s'il m'est permis de dire mon sentiment touchant une chose où j'ai si peu de part, je vous avouerai en même temps que l'invention de celle-ci me charme tellement, que je ne trouve rien à mon gré qui lui soit comparable en ce genre, ni parmi les anciens, ni parmi les modernes. Elle est toute spirituelle depuis le commencement jusqu'à la fin, et les incidents justes et si gracieux, qu'il faut être, à mon avis, de bien mauvaise humeur pour n'en approuver pas la conduite, et n'en aimer pas la représentation. Je me défierais peut-être de l'estime extraordinaire que j'ai pour ce poëme, si je n'y étais confirmé par celle qu'en a faite un des premiers hommes de ce siècle, et qui non-seulement est le protecteur des savantes muses dans la Hollande, mais fait voir encore par son propre exemple que les grâces de la poésie ne sont pas incompatibles avec les plus hauts emplois de la politique et les plus nobles fonctions d'un homme d'Etat. Je parle de M. de Zuylichem, secrétaire des commandements de monseigneur le prince d'Orange. C'est lui que MM Heinsius et Balzac ont pris comme pour arbitre de leur fameuse querelle, puisqu'ils lui ont adressé l'un et l'autre leurs doctes dissertations, et qui n'a pas dédaigné de montrer au public l'état qu'il fait de cette comédie par deux épigrammes ', l'un français et l'autre latin, qu'il a mis au-devant de l'impression qu'en ont faite les Elzeviers, à Leyden. COMÉDIE. (1642.) ACTEURS. GÉRONTE, père de Dorante. DORANTE, fils de Géronte. ALCIPPE, ami de Dorante et amant de Clarice. CLARICE, maîtresse d'Alcippe. LUCRÈCE, amie de Clarice. ISABELLE, suivante de Clarice SABINE, femme de chambre de Lucrèce. LYCAS, valet d'Alcippe. La scène est à Paris. ACTE PREMIER. SCÈNE PREMIÈRE. DORANTE CLITON. DORANTE. A la fin j'ai quitté la robe pour l'épée : On disait alors faire banqueroute, pour abandonner, renoncer, quitter, se détacher. (V.) 2 Dedans est une légère faute; il faut dans. (V.) CLITON. Ne craignez rien pour vous Vous ferez en une heure ici mille jaloux. DORANTE. J'en trouve l'air bien doux, et cette loi bien rude Toi, qui sais les moyens de s'y bien divertir, Dis-moi comme en ce lieu l'on gouverne les dames. CLITON. C'est là le plus beau soin qui vienne aux belles âmes', DORANTE. Ne t'effarouche point : je ne cherche, à vrai dire, Où l'on puisse en douceur couler quelque moment. CLITON. J'entends, vous n'êtes pas un homme de débauche, On prend un soin; on a un soin, on se charge d'un soin, on rend des soins; mais un soin ne vient pas. (V.) 2 Quoique Corneille ait épuré le théâtre dans ses premières comédies, et qu'il ait imité ou plutôt deviné le ton de la bonne compagnie de son temps, il est pourtant encore ici loin de la bienséance et du bon goût, mais au moins il n'y a pas de mot déshonnête, comme Scarron s'en permit dans de misérables farces des Jodelets, qui, à la honte de la nation, el mème de la cour, eurent tant de succès avant les chefs-d'œuvre de Molière. (V.) : Et tenez celles-là trop indignes de vous Vos lois ne réglaient pas si bien tous vos desseins DORANTE. A ne rien déguiser, Cliton, je te confesse Donne aux nouveaux venus souvent de quoi rougir. CLITON. Connaissez mieux Paris, puisque vous en parlez. Ce vers est imité de la satire de Regnier intitulée Macette. Les bienséances étaient impunément violées dans ce temps-là; et Corneille, qui s'élevait au-dessus de ses contemporains, se laissait entraîner à leurs usages. (V.) Ce mot signifie revue. (V.) |