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plutôt Mosander, qui l'a augmenté dans les dernières impressions, en rapporte la mort assez au long sur le neuvième de Janvier: et j'ai cru qu'il était de mon devoir d'en mettre ici l'abrégé. Comme il a été à propos d'en rendre la représentation agréable, afin que le plaisir put insinuer plus doucement l'utilité, et lui servir comme de véhicule pour la porter dans l'àme du peuple, il est juste aussi de lui donner cette lumière pour démêler la vérité d'avec ses ornements, et lui faire reconnaitre ce qui lui doit imprimer du respect comme saint, et ce qui le doit seulement divertir comme industrieux. Voici donc ce que ce dernier nous apprend :

Polyeucte et Néarque étaient deux cavaliers étroitement liés ensemble d'amitié; ils vivaient en l'an 250, sous l'empire de Décius ; leur demeure était dans Mélitène, capitale d'Arménie; leur religion différente, Néarque étant chrétien, et Polyeucte suivant encore la secte des gentils, mais ayant toutes les qualités dignes d'un chrétien, et une grande inclination à le devenir. L'empereur ayant fait publier un édit très-rigoureux contre les chrétiens, cette publication donna un grand trouble à Nearque, non pour la crainte des supplices dont il était menacé, mais pour l'appréhension qu'il eut que leur amitié ne souffrit quelque séparation ou refroidissement par cet édit, vu les peines qui y étaient proposées à ceux de sa religion, et les honneurs promis à ceux du parti contraire; il en conçut un si profond déplaisir, que son ami s'en aperçut; et l'ayant obligé de lui en dire la cause, il prit de la occasion de lui ouvrir son cœur : Ne craigner point, lui dit il, que l'edit de l'empereur nous desunisse ; j'ai vu cette nait le Christ que vous adores ; il m'a dépouille d'une robe sale pour we revetir d'une autre toute lumineuse, et m'a fait monter sur un cheval aile pour le suivre: cette vision m'a résolu entierement a fure ce qu'il y a longtemps que je medite; le seal om he chretien me manque; et vous-même, toutes les fois que vous mae parie de votre grand Messie, vous avez pu remispuIET Ve Yasai toujours ecoute avee respect; et quand vous m Yeastie et ses enseignements, j'ai toujours admire la siro-te de ses activas et de ses Zavers 0 Nurge: si je ze me rrus pus saigne filler à di, suus äre initie de ses mystères et avir mua ger de ses sacrements, que vous verries ecinter Carbete

e de murit pour sa gloire et le soutien de ses eternales Veedus. Sourzue Vacant scûdrei sur Falusien be serious AL ú sait par Dexanzie da den larvea, qui en un moment merta

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foule aux pieds, étonnant tout le monde et son ami même par la chaleur de ce zèle, qu'il n'avait pas espéré.

Son beau-père Félix, qui avait la commission de l'empereur pour persécuter les chrétiens, ayant vu lui-même ce qu'avait fait son gendre, saisi de douleur de voir l'espoir et l'appui de sa famille perdus, tâche d'ébranler sa constance, premièrement par de belles paroles, ensuite par des menaces, enfin par des coups qu'il lui fait donner par ses bourreaux sur tout le visage: mais n'en ayant pu venir à bout, pour dernier effort il lui envoie sa fille Pauline, afin de voir si ses larmes n'auraient point plus de pouvoir sur l'esprit d'un mari que n'avaient eu ses artifices et ses rigueurs. Il n'avance rien davantage par là; au contraire, voyant que sa fermeté convertissait beaucoup de païens, il le condamne à perdre la tête. Cet arrêt fut exécuté sur l'heure; et le saint martyr, sans autre baptême que de son sang, s'en alla prendre possession de la gloire que Dieu a promise à ceux qui renonceraient à eux-mêmes pour l'amour de lui.

Voilà en peu de mots ce qu'en dit Surius: le songe de Pauline, l'amour de Sévère, le baptême effectif de Polyeucte, le sacrifice pour la victoire de l'empereur, la dignité de Félix que je fais gouverneur d'Arménie, la mort de Néarque, la conversion de Félix et de Pauline, sont des inventions et des embellissements de théâtre. La seule victoire de l'empereur contre les Perses a quelque fondement dans l'histoire; et, sans chercher d'autres auteurs, elle est rapportée par M. Coeffeteau dans son Histoire romaine; mais il ne dit pas, ni qu'il leur imposa tribut, ni qu'il envoya faire des sacrifices de remerciment en Arménie.

Si j'ai ajouté ces incidents et ces particularités selon l'art, ou non, les savants en jugeront; mon but ici n'est pas de les justifier, mais seulement d'avertir le lecteur de ce qu'il en peut croire.

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FÉLIX, sénateur romain, gouverneur d'Arménie.
POLYEUCTE, seigneur arménien, gendre de Félix.
SÉVÈRE, chevalier romain, favori de l'empereur Décie.
NÉARQUE, seigneur arménien, ami de Polyeucte.
PAULINE, fille de Félix, et femme de Polyeucte.
STRATONICE, confidente de Pauline.

ALBIN, confident de Félix.

FABIAN, domestique de Sévère.
CLÉON, domestique de Félix.

TROIS GARDES.

La scène est à Mélitène, capitale d'Arménie, dans le palais de

Félix.

ACTE PREMIER.

SCÈNE PREMIÈRE.

POLYEUCTE, NEARQUE.

NÉARQUE.

Quoi! vous vous arrêtez aux songes d'une femme!
De si faibles sujets troublent cette grande âme!

Quand on passe de Cinna à Polyeucte, on se trouve dans un monde tout différent : mais les grands poètes, ainsi que les grands peintres, savent traiter tous les sujets. C'est une chose assez connue, que Corneille ayant lu sa tragédie de Polyeucte chez madame de Rambouillet, où se rassemblaient alors les esprits les plus cultivés, cette pièce y fut condamnée d'une voix unanime, malgré l'intérêt qu'on prenait à l'auteur dans cette maison: Voiture fut député de toute l'assemblée pour engager Corneille à ne pas faire représenter cet ouvrage. Il est difficile de démêler ce qui put porter les hommes du royaume qui avaient le plus de goût et de lumières à juger si singulièrement : furentIls persuadés qu'un martyr ne pouvait jamais réussir sur le théâtre?

Et ce cœur tant de fois dans la guerre éprouvé
S'alarme d'un péril qu'une femme a rêvé '!

POLYEUCTE.

Je sais ce qu'est un songe, et le peu de croyance
Qu'un homme doit donner à son extravagance,
Qui d'un amas confus des vapeurs de la nuit
Forme de vains objets que le réveil détruit;
Mais vous ne savez pas ce que c'est qu'une femme;
Vous ignorez quels droits elle a sur toute l'âme 2
Quand, après un long temps qu'elle a su nous charmer,
Les flambeaux de l'hymen viennent de s'allumer.
Pauline, sans raison dans la douleur plongée,
Craint et croit déjà voir ma mort qu'elle a songée;
Elle oppose ses pleurs au dessein que je fais,
Et tâche à m'empêcher de sortir du palais.
Je méprise sa crainte, et je cède à ses larmes;

c'était ne pas connaitre le peuple: croyaient-ils que les défauts que leur sagacité leur faisait remarquer révolteraient le public? c'était tomber dans la même crreur qui avait trompé les censeurs du Cid: ils examinaient le Cid par l'exacte raison, et ils ne voyaient pas qu'au spectacle on juge par sentiment. Pouvaient-ils ne pas sentir les beautés singulières des rôles de Sévère et de Pauline? Ces beautés d'un genre si neuf et si délicat les alarmèrent peut-être : ils purent craindre qu'une femme qui aimait à la fois son amant et son mari n'intéressât pas; et c'est précisément ce qui fit le succès de la pièce. On trouvera dans les remarques quelques anecdotes concernant ce jugement de l'hôtel de Rambouillet. Ce qui est étonnant, c'est que tous ces chefs-d'œuvre se suivaient d'année en année. Cinna fut joué au commencement de 1639, et Polyeucte en 1640. Il est vrai que Lope de Vega, Garnier, Calderon, composaient encore plus vite, stantes pede in uno; mais quand on ne s'asservit à aucune règle, qu'on n'est géné ni par la rime, ni par la conduite, ni par aucune bienséance, il est plus aisé de faire dix tragédies que de faire Cinna et Polyeucte. (V.)

Le mot de rêver est devenu familier, peut-être ne l'était-il pas du temps de Corneille. Il faut observer qu'il avait déjà l'art de varier son style; il nous avertit même dans ses examens qu'il l'a proportionné à ses sujets. Toutes les pièces des autres auteurs paraissent jetées dans le même moule. Il faut convenir pourtant qu'un connaisseur reconnaitra toujours le même fond de style dans les pièces de Corneille qui paraissent le plus diversement écrites: c'est en effet le même tour dans les phrases, toujours un peu de raisonnement dans la passion, toujours des maximes détachées, toujours des pensées retournées en plus d'une manière. C'est le style de Rotrou, avec plus de force, d'élégance et de richesse. La manière du peintre est visible, quelque sujet que traite son pinceau. (V.)

2 Ce mot toute est inutile, et fait languir le vers; une vaine épithète affaiblit toujours la diction et la pensée. (V.)

Elle me fait pitié sans me donner d'alarmes;
Et mon cœur, attendri sans être intimidé,
N'ose déplaire aux yeux dont il est possédé 1.
L'occasion, Néarque, est-elle si pressante

Qu'il faille être insensible aux soupirs d'une amante?
Remettons ce dessein qui l'accable d'ennui,

Nous le pourrons demain aussi bien qu'aujourd'hui 2.

NEARQUE.

Avez-vous cependant une pleine assurance

D'avoir assez de vie ou de persévérance?

Et Dieu, qui tient votre âme et vos jours dans sa main,
Promet-il à vos vœux de le pouvoir demain?

Il est toujours tout juste et tout bon; mais sa grâce
Ne descend pas toujours avec même efficace;
Après certains moments que perdent nos longueurs,
Elle quitte ces traits qui pénètrent les cœurs;
Le nôtre s'endurcit, la repousse, l'égare :
Le bras qui la versait en devient plus avare,
Et cette sainte ardeur qui doit porter au bien
Tombe plus rarement, ou n'opère plus rien.
Celle qui vous pressait de courir au baptême,
Languissante déjà, cesse d'être la même,
Et, pour quelques soupirs qu'on vous a fait ouïr,
Sa flamme se dissipe, et va s'évanouir.

POLYEUCTE.

Vous me connaissez mal: la même ardeur me brûle,

Et le désir s'accroît quand l'effet se recule.

Ces pleurs, que je regarde avec un œil d'époux,

Me laissent dans le cœur aussi chrétien que vous ;

Expression impropre; on ne peut dire, être possédé des yeux. (V.) - Corneille, dans les éditions postérieures, remplaça ces deux vers pai ceux-ci :

Par un peu de remise épargnons son ennui,

Pour faire en plein repos ce qu'il trouble aujourd'hui.

Apparemment on avait critiqué remettre un dessein, parce qu'on remet à un autre jour l'accomplissement, l'exécution, et non pas le dessein. On avait pu blâmer aussi, nous le pourrons demain, parce que ce le se rapporte à dessein, et que pouvoir un dessein n'est pas français. Mais en général il vaut mieux pécher un peu contre l'exactitude de la syntaxe, que de faire des vers obscurs et mal tournés. La première manière vaut beaucoup mieux que la seconde. Tout cela prouve que la versification française est d'une difficulté presque insurmontable. (V.)

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