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dans les choses qu'il crée: il est tour à tour Cinna, Auguste, Phedre, Hippolyte, et si c'est un La Fontaine, il est le Loup et l'Agneau, le Chêne et le Roseau. C'est dans ces transports qu'Homere voit les chars et les coursiers des Dieux que Virgile entend les cris affreux de Phlegias dans les ombres infernales: et qu'ils trouvent dans l'un et l'autre des choses qui ne sont nulle part, et qui cependant sont yraies :

.....Poeta cùm tabulas cepit sibi,

Quærit quod nusquam est gentium, repperit támen. (a)

C'est pour le même effet que ce même enthousiasme est nécessaire aux Peintres et aux Musiciens. Ils doivent oublier leur état, sortir d'eux-mêmes et se mettre au milieu des choses qu'ils veulent représenter. S'ils veufent peindre une bataille; ils se transportent, de même que le Poëte, au milieu de la mêlée: ils entendent le fracas des armes, les cris des mourans ils excitent eux-mêmes leur imagination, jusqu'à ce qu'ils se sen

(a) Plant

tent émús, saisis, effrayés: alors Deus ecce Deus: qu'ils chantent, qu'ils peignent, c'est un Dieu qui les inspire:

Bella horrida bella,

Et Tibrim multo spumantem sanguine cerne. (a)

C'est ce que Ciceron appelle, mentis viribus excitari divino spiritu afflari (b). Voilà la fureur poétique : voilà l'Enthousiasme : voilà le Dieu que le Poëte invoque dans l'Epopée qui inspire le héros dans la Tragédie, qui se transforme en simple bourgeois dans la Comédie en berger dans l'Eglogue, qui donne la raison et la parole aux animaux dans l'Apologue enfin le Dieu qui fait les vrais Peintres, les Musiciens et les Poëtes.

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Accoutumé que l'on est à n'exiger l'Enthousiasme que pour le grand feut de la Lyre ou de l'Epopée, on est peut-être surpris d'entendre dire qu'il est nécessaire même pour l'Apologue. Mais, qu'est-ce que l'Enthousiasme? il ne contient que deux choses : une vive représentation de l'objet dans l'esprit, et une émotion du coeur pro

(a) Virg. En. 6.
(b) Pro Archia Poéta,

portionnée à cet objet (a). Ainsi de même qu'il y a des objets simples, nobles, sublimes, il y a aussi des enthousiasmes qui leur répondent, et que les Peintres, les Musiciens, les Poëtes se partagent selon les degrés qu'ils ont embrassés; et dans lesquels il est nécessaire qu'ils se mettent tous sans en excepter aucun, pour arriver à leur but, qui est l'expression de la Nature dans son beau. Et c'est pour cela que La Fontaine dans ses Fables, et Moliere dans ses Comédies sont Poëtes, et aussi grands Poëtes que Corneille dans ses tragédies, et Rousseau dans ses Odes.

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(a) Dans les occasions qui demandent de l'enthousiasme le Dieu n'enleve pas l'homme qu'il fait agir, dit Plutarque, il ne fait que lui donner des idées vives, lesquelles idées produisent des sentimens qui leur répondent. Ουδ ορμά ενεργα ζόμενον, ἀλλὰ φαντασίας ὁρμῶν ἀγογούς. Vie de Coriol.

CHAPITRE V.

De la maniere dont les Arts font leur

imitation.

JUSQU'ICI on a tâché de montrer que

les arts consistoient dans l'imitation; et que l'objet de cette imitation étoit la belle Nature représentée à l'esprit dans l'enthousiasme. Il ne reste plus qu'à exposer la maniere dont cette imitation se fait et par-là on aura la différence particuliere des Arts dont l'objet commun est l'imitation de la belle Nature.

On peut diviser la Nature par rapport aux beaux Arts en deux parties: Î'une qu'on saisit par les yeux, et l'autre, par la voie des oreilles: car les autres sens sont stériles pour les beaux Arts. La premiere partie est l'objet de la Peinture qui représente sur un plan tout ce qui est visible. Elle est celui de la Sculpture qui le représente en relief: et enfin celui de l'Art du geste qui est une branche des deux autres Arts que je viens de nommer et qui n'en differe, dans ce qu'il embrasse que parce que le sujet auquel on atta

che les gestes dans la Danse est natu rel et vivant, au lieu que la toile du Peintre et le marbre du Sculpteur ne le sont point.

La seconde partie est l'objet de la Musique considérée seule et comme un chant; en second lieu de la Poésie qui emploie la parole, mais la parole mesurée et calculée dans tous ses sons.

Ainsi la Peinture imite la belle Nature par les couleurs, la Sculpture par les reliefs, la danse par les mouvemens et par les attitudes du corps. La Musique l'imite par les sons inarticulés, et la Poésie enfin par la parole mesurée. Voilà les caracteres distinctifs des Arts principaux. Et s'il arrive quelquefois que ces Arts se mêlent et se confondent, comme, par exemple, dans la Poésie, si la Danse fournit des gestes aux Acteurs sur le théâtre; si la Musique donne le ton de la voix dans la déclamation; si le pinceau décore le lieu de la scene; ce sont des services qu'ils se rendent mutuellement, en vertu de leur fin commune et de leur alliance réciproque, mais sans préjudice à leurs droits particuliers et naturels. Une tragédie sans gestes, sans musique, sans décoration,

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