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qui exprime les sons animés, et qui tiennent aux sentimens : c'est le tableau à personnage.

Le Musicien n'est pas plus libre que le Peintre il est par-tout, et constamment soumis à la comparaison qu'on fait de lui avec la Nature. S'il peint un orage, un ruisseau, un zéphyr; ses tons sont dans la Nature. il ne peut les prendre que là. S'il peint un objet idéal, qui n'ait jamais eu de réalité comme seroit le mugissement de la Terre, le frémissement d'une Ombre qui sortiroit du tombeau ; qu'il fasse comme le Poëte:

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Aut famam sequere, aut sibi convenientia finge.

Il y a des sons dans la Nature qui répondent à son idée, si elle est musicale; et quand le Compositeur les aura trouvés, il les reconnoîtra sur le champ: c'est une vérité : dès qu'on la découvre, il semble qu'on la reconnoisse, quoiqu'on ne l'ait jamais vue. Et quelque riche que soit la Nature pour les Musiciens, si nous ne pouvions comprendre le sens des expressions qu'elle renferme, ce ne se roit plus des richesses pour nous. Ce Tome I. N

seroit un idiome inconnu, et par conséquent inutile.

La Musique étant significative dans. la symphonie, où elle n'a qu'une demivie, que la moitié de son être, que sera-t-elle dans le chant, où elle devient le tableau du coeur humain? Tout sentiment, dit Ciceron, a un ton, un geste propre qui l'annonce, c'est comme le mot attaché à l'idée : Omnis motus animi suum quemdam à naturâ habet vultum et sonum et gestum. Ainsi leur continuité doit former une espece de discours suivi : et s'il y a des expressions qui m'embarrassent, faute d'être préparées ou expliquées par celles qui précedent ou qui suivent, s'il y en a qui me détournent, qui se contredisent; je ne puis être satisfait.

Il est vrai, dira-t-on, qu'il y a des passions qu'on reconnoît dans le chant musical, par exemple, l'amour, la joie, la tristesse: mais pour quelques expressions marquées, il y en a mille autres, dont on ne sauroit dire l'objet.

On ne sauroit le dire, je l'avoue mais s'ensuit-il qu'il n'y en ait point? Il suffit qu'on le sente, il n'est pas

nécessaire de le nominer. Le cœur a

son intelligence indépendante des mots; et quand il est touché, il a tout compris. D'ailleurs, de même qu'il y a de grandes choses, auxquelles les mots ne peuvent atteindre; il y en a aussi de fines, sur lesquelles ils n'ont point de prise et c'est sur-tout dans le sentiment que celles-ci se trouvent.

Concluons donc que la Musique la mieux calculée dans tous ses tons, la plus géométrique dans ses accords, s'il arrivoit, qu'avec ces qualités, elle n'eût aucune signification; on ne pourroit la comparer qu'à un Prisme, qui présente le plus beau coloris, et ne fait point de tableau. Ce seroit une espece de clavecin chromatique, qui offriroit des couleurs et des passages, pour amuser peut-être les yeux, et ennuyer surement l'esprit.

CHAPITRE

IV.

Des qualités que doivent avoir les expressions de la Musique, et celles de

la Danse.

Il y a des qualités naturelles qui

L

conviennent aux tons et aux gestes

considérés en eux-mêmes, et seulement comme expressions : il y en a que l'Art y ajoute pour les fortifier et les embellir. Nous parlerons ici des unes et des autres.

Puisque les sons dans la Musique, et les gestes dans la Danse, ont une signification, de même que les mots dans la Poésie, l'expression de la Musique et de la Danse doit avoir les mêmes qualités naturelles, que l'Elocution oratoire; et tout ce que nous dirons ici, doit convenir également à la Musique, à la Danse et à l'Eloquence.

Toute expression doit être conforme aux choses qu'elle exprime : c'est l'habit fait pour le corps. Ainsi comme il doit y avoir dans les sujets poétiques ou artificiels de l'unité et de la variété, l'expression doit avoir d'abord ces deux qualités.

Le caractere fondamental de l'expression est dans le sujet : c'est lui qui marque au style le degré d'élévation ou de simplicité, de douceur ou de force qui lui convient. Si c'est la joie que la Musique ou la Danse entreprennent de traiter, toutes les modu lations, tous les mouvemens doivent

en prendre la couleur riante ; et si les ; chants et les airs qui se succedent s'alterent et se relevent mutuellement, ce sera toujours sans altérer le fonds. qui leur est commun; voilà l'unité (a). Cependant comme une passion n'est jamais seule, et que, quand elle domine toutes les autres sont, pour ainsi dire, à ses ordres, pour amener ou repousser les objets qui lui sont favorables, ou contraires ; le Compositeur trouve dans l'unité même de son sujet, les moyens de le varier. Il fait paroître tour-à-tour l'amour, la haine, la crainte, la tristesse, l'espérance. Il imite l'orateur qui emploie toutes les figures et les variations de son Art, sans changer le ton général de son style. Ici, c'est la dignité qui regne, parce qu'il traite un point grave

(a) Souvent nos Musiciens sacrifient ce Ton général, cette expression de l'ame qui doit être répandue dans tout un morceau de Musique, à une idée accessoire et presque indifférente au sujet principal. Ils s'arrêtent pour peindre un Ruisseau, un Zéphyr, ou quelqu'autre mot qui fait image musicale. Toutes ces expressions particulieres doivent rentrer dans le sujet ; et si elles y conservent leur caractere propre, il faut que ce soit en se fondant, pour ainsi dire, dans le caractere général du sentiment qu'on exprime.

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