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A M. LE CHEV. de L...

LETTRE LI.

Ous êtes donc fur le point d'époufer l'aimable Dévote, à qui vous faites la Cour depuis fi long-tems, & vous renoncés pour elle à l'Ordre de Malte? Vous alliés vous faire un bon Religieux, & vous avés changé ces penfees pieuses en des deffeins de Mariage. Voilà comme les belles Dévotes font dangereufes pour les meilleurs Religieux. Je m'étonne qu'elle ne faffe pas confcience de vous ôter à la Chrétienté, dont vous euffiés foutenu les interêts toute votre vie contre les Othomans; car vous ne vous fouvenés plus qu'il y ait des Turcs au monde, & il ne tiendra pas à vous déformais qu'ils ne faffent bien des conquêtes. Peutêtre n'a-t-elle pas fongé à cela; mais fi je vous voulois du mal, je lui repréfenterois combien vous êtes brave & vaillant, & combien l'Alcoran gagne par votre Mariage. Peut-être auffi croit

elle en vous époufant, & en vous convertiffant,faire une Caravane auffi gloricuse à la Chrêtienté, que toutes celles que vous euffiés faites contre les Turcs. Mais, dites - moi, ne feriésvous pas bien embarraffé, fi au lieu qu'on vous demandoit à Malte vos preuves de Nobleffe, pour vous recevoir Chevalier, Mademoiselle de G... vous demandoit vos preuves de dévotion, avant que de vous recevoir pour fon Mari? Je ne croi pas que vous en ayés d'autres jufqu'à préfent que votre tendreffe pour elle, mais apparemment elle fe contente de cette preuvelà, & en attendant qu'elle vous infpire un amour divin, elle s'accommode toujours de l'amour profane qu'elle vous a infpiré. Les Dévotes fçavent bien aller à leurs fins: je gage que celleci, fous prétexte de vouloir vous convertir, vous aime, & que dans tous les fermons qu'elle vous fera, la vertu de fidélité conjugale ne fera pas oubliée. Au fond comme elle aura été l'inftrument de votre converfion, il fera jufte qu'elle en ait le profit. Je vous affure qu'aucune converfion n'eut jamais un inftrument plus agréable, &

qu'il y auroit dans le monde bien plus de Dévots qu'il n'y en a, s'il y avoit beaucoup de Dévotes comme elle. Adieu, mon cher Chevalier, hâtésvous d'empêcher qu'on ne puiffe plus vous donner ce nom.

A MONSIEUR D. L.

LETTRE LII.

LA nouvelle que vous m'apprenés

eft fort plaifante. Quoi! Mademoifelle de S. P. eft mariée? je ne la croyois point faite pour le Sacrement. L'ainour, à ce que je vois, en ufe en grand Seigneur, il marie les Filles qui l'ont fervi. Cela va donner courage aux autres, peut-être y en aura-t-il, qui fur l'exemple de Mademoiselle de S. P. négligeront un peu leur conduite, & croiront prendre le chemin de faire fortune. Un homme qui par fa seule valeur fera devenu Maréchal de France, en va faire tuer dix mille autres qui afpireront à la même élevation; & La Belle dont nous parlons va faire au

tant de Demoiselles de bonne volonté, qui fe flatteront d'attrapper à la fin un Mari. Il faut qu'elle ait eu de l'efprit pour choisir jufte entre tous fes Amans, celui qui étoit capable de l'époufer. Elle ne s'eft point amufée à avoir de la vertu inutilement, elle n'en a eu qu'une fois, mais à propos, il y a bien des perfonnes dont elle n'eft pas trop eftimée, qui n'auroient pas l'adreffe d'en faire autant. Ce pauvre Monfieur... eft à plaindre d'avoir été le feul qu'elle ait jugé digne de fa vertu; il est vrai pourtant qu'il fe l'est attiré fa fotpar tife naturelle, & qu'il méritoit bien qu'elle fe diftinguât. Je ris quand je fonge à ce que vous me dîtes, qu'avec un Billet de quatre lignes, elle le mettoit dans des raviffemens de deux mois, & qu'un jour qu'il fe hazarda à lui baifer le bras, cette fiere Perfonne le mede le bannir pour jamais de fa préfence. Je fuis bien perfuadé préfentement qu'il ne faut que fçavoir placer les chofes; ces rigueurs-là étoient affés ridicules, mais bien placées, elles ont fait leur effet. Je ne doute pas qu'après le Sacrement même, elle n'ait eu bien de la peine à fe foumettre au rigou

naça

reux devoir d'une Femme, & qu'elle n'ait rendu fon Mari le plus heureux de tous les Conquérans par la difficulté de la conquête. Elle aura bien fait; le bonheur qu'elle lui pouvoit donner, avoit befoin d'affaifonnement.

A MADEMOISELLE de V...

JE

LETTRE LIII.

E vous vis hier fi fenfible à l'Opera, Mademoiselle,& hors de-là vous me le paroiffiés fi peu, que je ne puis m'empêcher de vous le reprocher. Apparemment vous laiffes agir votre cœur à l'Opera, parce qu'il n'y a rien de vrai, & vous vous contraignés avec moi, parce qu'il y a trop de vérité dans tout ce que je vous dis; je ne fçai comment vous l'entendés, mais ce devoit être tout le contraire. J'ai beau vous dire des chofes touchantes, elles ne vous font point tirer votre mouchoir de votre poche; fi du Mény les difoit, il y auroit bien des larmes verfées. Eft-ce qu'on ne pourra vous toucher fans vous tromper?

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