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A MONSIEUR de L...

J

LETTRE XXXIII.

E vous ai promis de vous apprendre des nouvelles du Mariage de R... Je ne fçai fi j'étois prévenu, & fi je me fuis figuré qu'il étoit effectivement comme je croyois qu'il dût être, mais je l'ai trouvé embarraffe, & prefque honteux d'être marié, il a raison, il perd toute la gloire des bravades qu'il avoit faites fur le chapitre des Fêm& d'une infinité de plaifanteries

,

qu'il avoit débitées contre le Mariage. Il nous en a voulu faire encore quelques-unes, mais de bonne foi il les a faites de fi mauvaise grace, & d'un ton fi humilié, que nous avons eu pitié de lui. Le voilà convaincu d'être fragile, & plus fragile qu'un autre ; il ruine fa fortune pour une petite figure, jolie à la vérité, mais qui n'en aura peut-être pas grande reconnoiffance. Pourquoi auffi déclamer contre les Femmes avant foixante ans? encore feroit-ce de bon

il

ne heure. Pourquoi faire profeffion de ne les eftimer pas quand on fent qu'on les peut aimer? Ce n'eft pas par l'estime qu'on y eft pris ordinairement, ne leur importe pas beaucoup fi les réflexions qu'on fait leur font contraircs, pourvû que le temperamment de ces Raifonneurs-là leur foit favorable. Si j'étois en la place de R... & que je me fuffe autant engagé d'honneur que lui à ne me point marier, je haïrois bien une jolie perfonne de l'avoir époufée. La condition du pauvre R... eft d'autant plus fâcheufe, qu'afin qu'il puiffe fe fauver à l'égard du public, il faut que la Dame foit une Héroïne en toutes façons. Elle a de la beauté, mais il lui faut encore bien de l'efprit;il n'en sera pas quitte comme les autres pour n'être deshonoré que quand elle aura des galanteries,il le fera même fielle n'a pas de l'efprit comme un Ange, & fon honneur y eft également intereffé. Je ferois bien fâché d'être obligé à garantir tant de perfections dans une Femme. Auffi le même chagrin où feroit un autre qui apprendroit de la fienne quelque hiftoire peu agréable, il l'a quand il n'entend pas louer Madame de R... au

tant

tant qu'il voudroit. Connoiffes-vous un homme plus marié que celui-là ? S'il faut qu'elle regarde d'un œil de pitié quelqu'un des Amans qu'elle ne manquera pas d'avoir, quel ridicule pour le Mari, double, triple, centu→ ple du ridicule commun! Quelle grêle de plaifanteries! Je frémis de la fituation où il eft. Mon cher Ami, ne perdons jamais le respect pour les Femmes en général, ni pour le mariage, ni pour toutes les chofes aufquelles elles peuvent s'intereffer. Nous fommes trop exposés à leur vengeance.

A MONSIEUR de B...

LETTRE XXXVI.

Vo

Oyons fi vous ne prendrés point pour une Fable ce que je vais vous con ter. Un Homme dont la Femme avoit quelques galanteries, devint crucllement gouteux, & un beau jour il lui parla à peu près en ces termes : Vous fçavés, Madame, que je fuis affés aifé à viTome I. V v

vre

, jufqu'ici je ne vous l'ai pas fait remar→ quer, mais c'eft en quoi je l'ai été davantage. Vous jugés bien que j'ai dû voir ce qui se pasfoit entre vous, & tels & tels, qu'il lui nomma. Ah! Monfieur, s'écria la Dame en rougiffant, & d'un air fort embarraffe, on vous a fait de mauvais rapports. Laiffés-moi dire, reprit-il avec le flegme que vous voyés à Augufte dans cette belle Scene qu'il a avec Cinna au commencement du cinquième Acte, & en effet celle-ci y reffemble affés. Je fçai donc toute votre biftoire, j'y joue un perfonnage affes confiderable pour la fçavoir, ce n'eft pas-là de quoi il eft question. Jufqu'à préfent vous avés fuivi le grand chemin des jeunes Femmes, je ne le trouve pas étrange, je m'y étois bien attendu. Mais vous faifiés grace à vos Amans lorsque vous aviés un Mari qui ne leur eût peut-être cedé fur rien ; je ne doute pas que vous ne leur ayés fait valoir cette préference que vous leur donniés ; & que vous n'ayés eu l'art de mettre dans vos faveurs un certain air de dignité qui vous attirât toujours de la confideration, Maintenant cela ne fe peut plus, me voici accablé des goutes, vos Amans croiront vous être néceßaires, vous navés plus de Mari dont vous leur puifiés faire un facrifice, ils vous manqueront de ref

pect: ils vous traiteront comme la femme d'un gouteux, je ne fçaurois vous en dire davantage. Songés-y, vous romprés ces fortes de commerces, fi vous m'en croyés, ils ne vous conviennent plus. Le confeil que je vous donne ne peut jamais être plus defintereffe ; je fuis gouteux, je ne prens plus de part aux affaires de ce monde. Elle voulut répondre & nier encore, mais il n'en fit que rire, & l'envoya penfer bien férieufement à ce qu'il lui avoit dit. Sçavés - vous ce qui en eft arrivé? On a honnêtement donné congé à tous ces beaux Meffieurs, qui avoient pris d'autres efpérances, & effectivement je croi que c'est ici pour la premiere fois que la goute d'un Mari a vuidé la Maifon

Amans; felon les apparences il en alloit pleuvoir dans celle-là. Voilà de ces événemens qu'il eft impoffible de deviner. Les intereffes ne fe fuffent pas avifés de faire des voeux pour la fanté de ce Mari; elle leur étoit pourtant néceffaire. Si vous me demandés comment j'ai fçû cette avanture, il est certain que dans un Roman j'en ferois quitte pour mettre quelqu'un derriere la tapifferie; mais quand je vous verrai, je vous dirai quelque chofe de

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