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A MONSIEUR D'A...

LETTRE XXIX.

E croi, Monfieur, que je ferai bien d'en ufer avec vous fur la mort de Monficur votre Beau-Frere, comme j'en ai ufé avec Madame votre Sour. Monfieur fon Mari étoit homme de grand mérite, fort eftimé dans fa profeffion, elle vivoit fort bien avec lui; mais enfin elle eft veuve, & très-riche, & encore fort jeune. Je n'ai jamais pû déterminer fi je lui ferois un compliment de condoléance ou de conjouiffance. Selon la bien-feance & la coutume, il ne pouvoit pas y avoir de doute, mais felon la vérité il pouvoit fort bien y en avoir. Dans cette incertitude je lui ai envoyé pour toute chofe un blanc figné. Elle m'a bien entendu, & m'a répondu en ces quatre mots fort fpirituellement, à ce qu'il me femble, Je remplirai votre blanc figné dans un mois. Ne voulés-vous pas bien, Monfieur, que je vous en envoye un pareil?

A MONSIEUR des T...

LETTRE XXX.

LE Mariage de ma Niéce dont vous

me demandés des nouvelles, nous jette tous dans un embarras très-ridicule, & pourtant très-férieux. Je vous révelerai en confidence le fecret de notre Famille. La petite créature a pris fon Mari en averfion,& ne veut point abfolument s'acquitter des devoirs conjugaux. Nous ne manquâmes pas le lendemain des Nôces d'aller dire au Mari tout ce que la coutume ordonne qu'on dife de fottifes, il nous reçut très - froidement; elle au contraire, je ne l'ai jamais vûe fi gaye. Je ne comprenois rien à cela, finon que je croyois que le chagrin du nouveau Marié venoit des reproches fecrets d'une mauvaise confcience, & que la jeune Femme lui infultoit; il eft pourtant certain qu'elle cût dû en ce cas-là prendre fa part du chagrin. Mais j'étois bien éloigné de la vérité, c'eft qu'elle

étoit ravie d'avoir fait enrager fon Mari pendant toute la nuit. Elle a cela d'heureux dans fa bizarrerie, que s'étant mariée contre fon inclination, elle fe fait un plaifir extrême de s'en vanger, & le fuccès de fes vengeances lui donne une gayeté qui la rend encore plus aimable. Ma Soeur qui eft fort dévote, eft au défefpoir de voir fa fille se damner, & fe damner d'une façon fi particuliere, que cela en eft encore mille fois plus chagrinant; car affurément vous trouverés peu de femmes fujettes au peché qué fait ma Niéce. Sa Mere lui a fait venir les meilleurs Théologiens de Paris, qui l'ont gravement exhortée à faire l'acquit de fa confcience, & lui ont prouvé fçavamment & par de beaux Paffages, qu'il falloit coucher avec fon Mari; elle leur a toujours répondu gayement & follement, que ce n'étoit pas-là une affaire qui fe dût décider par des paffages, & s'eft jettée dans des raifonnemens fi burlesques, que ces Meffieurs avoient quelquefois de la peine à garder le férieux qu'ils étoient obligés d'avoir. A leurs doctes remontrances fuccedent les tendres careffes du Mari, & elle

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réfifte également à ces différentes fortes d'attaques. Il eft vrai qu'il y auroit plus de fujet d'efperer quelque chofe des raifonnemens des Docteurs, que des agrémens du Mari; c'eft unc figure qui la raffermiroit dans fa réfolution, quand la Théologie l'auroit é branlée. Îl fe rend le plus aimable qu'il peut; le Baigneur & le Parfumeur ont bien travaillé fur fa perfonne, comme les Docteurs fur l'efprit de Madame & rien n'a encore réuffi. Au moins a-til cela de bon qu'il ne fe décourage point, mais je doute que l'on puisse autant efperer de la conftance d'un Mari que de celle d'un Amant. Ce qu'il a de plus qu'un Amant, c'est-à-dire, un certain droit à ce qu'il demande, eft justement ce qui lui fait tort, il obtiendroit plus ailément ce qui ne lui feroit nullement dû. A cela près, ne feroit-il pas heureux de fe trouver engagé dans une entreprise d'amour, au lieu de languir dans un froid & tranquille mariage?

AU

AU MESM E.

LETTRE XXXI.

Il faut que je vous avouë le mau

L vais fuccès d'un artifice que j'avois pratiqué à l'égard de ma Niéce pour la réduire à fon devoir. Nous fçavions qu'elle devoit aller confulter un certain Aftrologue Italien, dont une femme de fes Amics lui avoit parlé. Je crûs qu'il ne feroit pas mauvais de prendre les devans auprès de lui, pour lui faire dire ce qui nous conviendroit. J'allai donc trouver le Charlatan, qui d'abord me protefta fort qu'il ne diroit rien qu'il ne l'eût vû dans les Aftres, mais une petite gratification que je lui offris le fit refoudre à alterer un peu le texte à l'endroit où le grand Livre du Ciel traite de la deftinée de ma Niéce. Comme elle a de l'efprit, je m'imaginai qu'il falloit la tromper avec adreffe, & je dis à l'Aftrologue de lui prédire qu'affarément elle auroit beaucoup d'Enfuns. Je prétendois que fur cette

Tome I.

Tt

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