AU MES ME. LETTRE XXV. Mon mariage eft rompu, Dica merci ; il eft vrai qu'il y a de ma faute, mais mon honneur eft fauvé devant les hommes, & je ne prétens mettre que vous feul dans ma confidence. J'allois chés Madame d'A... entraîné malgré moi par la bonté de l'affaire qu'on me propofoit, tremblant, interdit, & déconcerté par la feule penfée qu'il s'agiffoit d'un mariage. Jamais affurément la pudeur d'aucune Fille n'a tant fouffert de cette idée. Je m'apperçois que l'expreffion n'eft guere forte, en voici une qui vous fera mieux entrer dans la chofe; j'étois fi changé, qu'à me voir & à m'entendre parler chés Madame d'A...on m'eût pris pour un homme fage & férieux. Peut-être ce changement paffoit-il auprès d'elle pour une marque de l'envie que j'avois de lui plaire, au lieu qu'il ne marquoit que l'extrême appréhenfion que j'avois d'elle, & de tout fon mérite. Enfin la perfonne qui négocioit l'affaire, vint après bien des cérémonies me demander quel étoit mon bien; fur cela il me prit une forte tentation de le faire moindre qu'il n'eft, fourberie qui se pratique rarement en fait de mariage; mais enfin j'y étois réduit. La chofe étoit concluë fi je n'y donnois ordre ; le parti étoit fi bon, que je ne pouvois pas le refufer ouvertement, & je me crus fort heureux qu'il fe préfentât un moyen de me faire refufer fans qu'on s'en apperçût. Je fis donc le Héros, & j'avouai que mon bien n'étoit pas ce qu'on croyoit. J'avois à la vérité quelque peur que cet Héroïfme même ne touchât la Dame; cependant je me repofai fur la nature qui ne fe porte pas volontiers à ces excès de générofité, & je m'attendis à être refufé avec beau coup de reconnoiffance & de louanges. Cela ne manqua pas d'arriver; mais ce qu'il y a de plaifant & que j'appris hier, c'eft que la Dame calcula fi mon bien & le fien mis ensemble pourroient donner une telle Charge au Fils aîné qui naîtroit de nous, telle autre au Cadet, tel mariage à une Fille ; car comme elle eft une perfonne d'un grand ordre, elle a déja réglé dans fa tête quels feront les établiffemens des Enfans de fon fecond Lit à venir, & je ne fçai fi elle n'a pas même arrêté l'ordre de la naiffance des Garçons & des Filles. Pour moi je penfai mourir de joye de me voir forti d'une fi bonne affaire, & je me flatte de n'être pas fi malheureux qu'il s'en pût préfenter encore à moi quelque autre auffi avantageufe en toutes façons. Quand j'ai revû Madame d'A... ç'a été avec toute ma gayeté ordinaire, & à l'heure qu'il cft que je ne fonge plus à l'époufer, je m'en accommode fort. Je deviendrois même amoureux d'elle fi elle vouloit; il est vrai qu'elle eft bien fa-> ge, mais il n'y a rien que je ne fiffe pour la remercier de m'avoir refufé. Je fuis fort trompé même fi elle n'a quelques agrémens nouveaux qu'elle n'avoit point avant ce refus, c'étoit la feule propofition du mariage qui empêchoit ces charmes-là de naître. Admirés un peu la grande vertu qu'il a. A MONSIEUR de... LETTRE XXVI. CRoirés Roirés-vous bien ce que je vais vous apprendre? Madame de... que Vous trouviés fi mauvais qui prît encore part à la Galanterie, y triomphe malgré fes cinquante ans ; il lui est arrivé la plus glorieufe avanture qu'elle eût jamais pû efperer. Elle a reçû des coups de canne de fon Amant, pour quelques foupçons d'infidélité, & même il étoit fi tranfporté, qu'en defcendant de fa Chambre, il caffa la lanterne de l'Escalier. Elle eft devenuë infupportable de la fierté qu'elle a de fe voir encore aimée d'une maniere fi vive, elle foutient fans ceffe que c'est la faute des femmes qui ne fçavent pas fe faire aimer comme il faut, & que fi elles avoient l'efprit de fe bien fervir de leurs avantages,il n'y a point d'hommes à qui elles ne fiffent tourner la tête. Elle fe louë fort de Monfieur... à ceux qu'elle admet dans fa confidence. Elle dit qu'il a des emportemens charmans, & qu'il faudroit connoître les reffources de paffion & de tendreffe qui font en lui. Repréfentés-vous ces difcours prononcés avec une voix déja un peu caffee & tremblante, & fortant d'une bouche où les dents commencent à être ra res. Elle fe croit rajeunie par ces coups de canne qu'elle a heureufement attrapés, & elle infulte à toutes celles de fon âge qui n'ont pas affés de mérite pour le faire battre. Auffi j'en voi qui font horriblement jalouses, & qui n'oublient rien pour diminuer le prix de ces coups qu'elle a reçûs. Une de fes Contemporaines, & de fes envieufes, m'a dit que quand... l'avoit battuë, il venoit de perdre fon argent au jeu, & que la mauvaife humeur où il étoit avoit bien contribué à lui faire lever la canne fur cette charmante Perfonne; que pour la lanterne c'étoit un Laquais mal adroit qui l'avoit caffée. Voyés un peu ce que c'eft que l'envie, & avec quel art elle fe plaît à rabaiffer tout ce qui fait honneur au prochain. Il n'y a pas jufqu'aux hommes qui n'ayent reproché au pauvre... fa vivacité, comme s'il n'étoit pas permis |