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A U MES M E.

LETTRE XVI,

MEs deffeins ne réuffiffent point.

Mad... ne goûte plus S. R. Elle m'a dit que cet homme - là avoit l'efprit tourné de forte à rendre fort malheureufe toute perfonne qui s'interefferoit à lui d'une certaine façon. Voilà un étrange cas. Il fuffit de lui reffembler pour ne lui pouvoir plaire, & elle ne s'accommode plus d'elle-même, quand elle fe trouve dans un autre. Mais eft-ce ma faute à moi de ce qu'elle eft fi peu raisonnable? Je n'ai point fongé à faire une défertion criminelle, je lui ai préfenté un autre fujet en ma place. Et quel fujet encore? Un homme choifi fur tout Paris, pour le perfonnage le plus chagrin qui y fût, & qui du moins eft auffi capable qu'elle de ne laiffer jamais de repos à ce qu'il aime. Elle ne l'accepte pas. Elle l'acceptera fi elle veut. Pour moi, je prétens avoir fait mon devoir. Je foutiens que tous les

Gens de ce caractere doivent s'apparier les uns avec les autres, & qu'il leur doit être défendu de venir se mêler dans un Monde qui eft content; & où l'amour n'eft connu que par fes plaifirs. Ils y troubleroient tout, fi on leur sy permettoit d'y faire des courfes. Je voi pourtant bien qu'ils auroient befoin de trouver des Gens qu'ils puffent tourmenter fans être tourmentés, & fur qui ils exerçaffent leur trifte domination, mais en vérité ce n'eft pas à dire que nous foyons obligés de nous y foumettre. Qu'ils fe faffent enrager les uns les autres. Mad... me regarde comme un tréfor en mon efpece. Toute fa bile amoureufe fe répand fans péril fur moi qui n'en ai point, auffi elle ne me veut pas lâcher pour S. R. que je lui offre. J'ai pourtant bien envie de lui échapper. Daigne le Ciel favorifer mon évalion.

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A MONSIEUR D'E...

LETTRE XVII

J'Accepte fort volontiers, Monfieur,

Femploi que vous me donnés d'être l'Hiftorien de la vie de Mademoiselle de V... J'y fuis affurément plus propre qu'à écrire quelque vie de Héros pleine de Batailles, & autres grands événemens magnifiques & défagréables. Ici il n'y en aura guere de plus confidérables que des promenades, des vifites, tout au plus quelque fouFis, ou quelque regard fin & mifterieux. Mais ne font-ce pas là les chofes qui tiennent la plus importante place dans les archives de Paphos & d'Amathonte ? C'est dommage que nous ne les ayons bien complettes au Jeu de beaucoup d'autres gros Livres d'Hiftoires dont je ne me foucie guere. Pour commencer donc celle de votre aimable Parente, nous la menâmes hier à l'Opera pour la premiere fois. Figurés-vous ce que c'est que l'Opera nu

fortir d'un Couvent, quelle différence de l'harmonie des Religieufes à cellelà; enfin quel paffage de l'un de ces deux Mondes à Pautre. On jouoit Pliché; je vous affure que Mademoiselle de V... étoit Pfiché même, enlevée comme elle dans un féjour enchanté auffi furprise, auffi charmée qu'elle. Pour moi, au lieu de regarder la Pfiché du Théatre, je ne regardois que celle de notre Loge,qui certainement la repréfentoit mieux, outre qu'elle étoit bien plus jolie;& fi j'avois été l'Amour, j'aurois député le Zéphire à celle-ci pour me l'amener, & aurois renvoyé l'autre chés fes Parens. A l'Arrêt de mort de Pfiché, & à toute cette Pompe funebre qui le fuit, la Demoiselle pleura après s'être long tems contrainte. L'honneur apparemment avoit beaucoup combattu dans fa petite ame ; mais enfin l'honneur qui n'eft pas accoutumé à être le plus fort, céda, & le mouchoir fut inondé de larmes. Comme tout cet endroit-là eft long, elle voulut s'en aller, ou fe cacher au fond de la Loge, parce qu'elle s'imaginoit que toute l'affemblée avoit les yeux fur elle, & qu'elle étoit desho

norée pour jamais; nous eûmes bien de la peine à la raffurer; & tandis qu'on chantoit, le Deh! Piangete al pianto mio, que tous les Inftrumens de l'Orchestre tiroient de longs foupirs, & que les Flûtes pouffoient mille fanglots, c'étoient des éclats de rire dans notre Loge que nous ne pouvions retenir, & qui nous cuffent à bon droit fait paffer pour fous. Je lui reprochai qu'elle étoit bien fenfible, & elle me répondit que ce n'étoit que de la pitié, mais quand les Scenes de Pfiché & de l'Amour vinrent, de bonne foi elle ne le fut pas moins, & il n'étoit plus queftion de pitié. Un air de joye douce & vive étoit peint fur fon vifage, & vous jugés bien que fa beauté n'y perdoit pas; & enfin preffée par le plaifir qu'elle reffentoit, il fallut qu'elle fe foulageât par un foupir, peut être le premier de fa vie, & fans doute d'un trop grand prix pour être donné à une fiction. J'étudiai tous les mouvemens que la nature produifit en elle; je lui vis faire pendant toute cette Piéce, qui eft affès variée, comme un petit cours de fentimens, & je n'en connois guere dont fon cœur n'ait fait l'épreuve dans

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