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MESME.

LETTRE XII.

TRemblés à la vue de cette Lettre je vais vous prêcher plus que jamais. On me mande que vos amours vous brouillent avec tout le monde. Madame M... en ufe avec vous, comme fit Catilina avec ceux qu'il avoit engagés dans fa Conjuration. Il leur fit boire du fang humain, afin qu'ils ne puffent jamais rompre la liaifon qu'un fi grand crime formeroit entr'eux. Madame M. . . vous fait auffi avaler. tout le venin qu'elle a contre les Humains en général; elle vous remplit l'efprit de fes plaifanteries que vous ne manqués pas de répeter, & plus vous vous faites d'ennemis, plus vous êtes lié à elle. Voilà de jolis noeuds d'une tendre paffion.

Vivre avec votre Iris dans une paix profonde,

Et ne conter pour rien tout le refte du monde.

C'eft

C'eft-là apparemment ce que vous vous propofés. J'avoue que rien ne seroit plus agréable, fi ce n'étoit l'Iris ; & je n'aimerois pas une paix fi profonde avec elle. Je vous affure que vous vous préparés une folitude qui ne differera guere de celle de la Thébaïde fans conter les aufterités que vous aurés à pratiquer. N'allés pas vous imaginer que vous en ayés plus d'efprit, parce qu'elle en a, & qu'elle vous aime; je voudrois bien fçavoir fi elle en eft plus jeune, parce que vous l'êtes, vous qui l'aimés tant. J'avoue qu'on fe fait l'efprit avec les gens qui en ont, & qu'on ne se rajeunit pas avec ceux qui font jeunes, mais vous ne vous faites pas l'efprit avec Madame M... vous prenés le fien tout fait, parce que comme il vient d'une perfonne qui vous eft extrémement chere, vous croyés y avoir une forte de droit, & Vous vous parés des jolies chofes que vous lui avés oüi dire. C'est ce qui vous trompe, elles ne prouvent non plus votre efprit que le fard que Madame M... met tous les jours marque fa jeuneffe. Tout cela s'applique par dehors, & ne vient point du de

Tome I.

Pp

dans. Si vous voulés nous prouver que vous ayés profité avec elle, apprenés à dire des chofes qui ne foient point d'elle, & même afin qu'on ne vous foupçonne pas de lui rien dérober, apprenés à louer avec agrément & avec délicateffe, c'eft ce qu'elle n'a jamais fait. Je gage qu'à vous-même elle ne vous a jamais rien dit de doux ni de flatteur, feulement elle jette fur le reste du genre humain des plaifanteries ameres où vous n'êtes pas compris, & vous êtes réduit à vous contenter de cela comme des plus tendres difcours qui puiffent fortir d'une bouche chérie. Apparemment c'est ainsi que Tifiphone & Alecto font l'amour, lorfqu'il arrive que ces jolies Demoifelles font en commerce de galanterie, & que les ferpens dont elles font coeffées radouciffent leurs fifflemens, & tâchent à faire les yeux doux. J'efpere qu'une comparaifon fi outrée mettra må Lettre en fûreté, & que vous ne la facrifierés pas à l'objet de votre flâme. Je ne ferois pourtant pas fâché que vous le fiffiés; je fuis fûr qu'on vous haïroit de l'avoir feulement reçûë.

AU MES ME.

LETTRE XIII.

ON me mande que vous avés de

puis peu un Rival, & que vous ne lui voulés pas céder. Vous moqués-yous? Connoiffes-vous fi peu le bonheur F que votre fortune vous envoye? Faites réflexion que vous alliés être le dernier Amant de Madame M... car préfentement les Amours ne fe preffent plus guere autour d'elle; rien n'eft, ce me femble, plus défagréable,que de porter les derniers Encens fur un Autel qui tombe en ruine, & je ne me plairois point du tout à finir l'Hiftoire amoureufe d'une Dame quelle qu'elle fût. Je vous voyois extrémement menacé d'effuyer cette honte-là, & j'en étois au délefpoir pour vous; mais voici un homme qui fe préfente pour vous l'épargner, & vous ne profités pas d'une rencontre fi heureufe? En vérité je ne vous comprens pas. Peut-être que de voir la place difputée, c'est ce qui vous

excite à la conferver; moi, je trouve au contraire que vous devriés prendre adroitement pour la quitter, le moment où elle eft difputée; il y auroit quelque honneur à avoir joui d'une chofe dont un autre eût pû encore être jaloux, & vous rejetteriés fur votre Rival le deshonneur d'en être à l'avenir poffeffeur fi paifible. Vous avés encore une petite réflexion à faire, c'est que fi vous négligés l'occafion qui s'offre, Madame M... pourra bien ne la pas négliger; & fi vous ne fentés pas l'avantage d'avoir un Rival, elle fentira bien celui d'avoir un nouvel Amant. Vous avés vingt-cinq ans ; elle en a, je n'oferois dire combien, & il feroit dit qu'elle vous auroit fait une infidélité? Čela ne feroit pas fupportable. Cependant il y a bien de l'apparence que ce malheur vous arrivera fi vous n'y donnés ordre. Je croi qu'elle vous trouve préfentement l'efprit affes formé, & qu'elle fera bien aife de le former à quelqu'autre. Vous deviendriés un prodige, & vous feriés trop au-deffus du refte des hommes, fi vous étiés plus longtems le feul qui profitaffiés de fes excellentes leçons. Il eft jufte que ceux

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