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faire étourdiment des conquêtes de tout ce qui s'offriroit. Je ferois bien aife, que pour éviter cet inconvenient, elle cut choifi quelqu'un, fur qui elle jettât tout l'effet de fa beauté; mais je ne fçai fi les avis que vous lui avés donnés à fon départ, ne feroient point par malheur contraires aux miens; elle n'a encore voulu faire choix d'aucun Amant, non pas même pour se donner le plaifir de le tourmenter.

A LA MESME.

LETTRE XLVIII.

C'Eft fans doute, Madame, à Ma

demoiselle de N... que nous avons l'obligation des plus grands plaifirs que nous ayons eus ce Carnaval. Vous en conviendrés quand je vous aurai fait une petite relation de ce qui fe paffa le Mardi gras. Nous avions imaginé une affés jolie Mafcarade. Notre deffein étoit de repréfenter les Amadis & Mademoiselle votre Fille avoit obtenu de Madame fa Tante, qu'elle

mafqueroit auffi-bien que nous. Nous nous fimes un vrai plaifir de la feule idée d'être habillés comme ces vieux Foux, qui couroient les champs pour réparer les torts, & comme ces Demoifelles fcrupuleufes, qui montoient en croupe derriere eux, & les fuivoient dans leurs avantures. Nous confultâmes toutes les Tapifferies anciennes, pour prendre les vrais Habits de ce Siécle-là, & pendant dix ou douze jours, il ne fut parlé d'autre chofe parmi nous. Aujourd'hui l'un ajuftoit la figure d'un Heaume, demain l'autre reformoit un Vertugadin. Jamais rien ne nous a plus divertis que les foins que nous donnâmes à faire faire notre équipage Romanefque. Enfin le Mardi gras vint, ce jour que nous avions tant défiré pour notre Mafcarade. Nous nous affemblâmes le foir chés Madame de... pour nous habiller. Je pris le harnois de Paladin, avec Meffieurs de... qui étoient auffi deftinés à être Chevaliers Errans. Mademoiselle de N... ne nous a jamais paru fi belle, que quand elle fut habillée en Oriane. En vérité c'cft une beauté de tous les Siècles; elle étoit charmante avec la parure de fa

Trifayeule.Nous nous préparions à partir tous pleins de joye & bien difpofés à courir tous les Bals de la Ville. Nous nous promettions mille plaifirs pour toute notre nuit. Sur cela Mademoifelle de N... nous dit avec un air d'enjouement que je tâcherois de vous exprimer, fi vous ne le connoiffiés pas ; Je vais vous paroître folle, & je le fuis peutêtre ; mais fi j'en fuis crue, nous nous deshabillerons tous ; & au lieu d'aller au Bal, nous nous irons coucher. J'ai déja remarqué dans beaucoup de parties de cette nature, que toutes les fois qu'on s'eft attendu à y avoir bien du plaifir, on n'y en a point eu du tout, & que quand le deffein en a été fort agréable l'exécution ne l'a pas été. Tout le monde condamna d'abord fon avis; mais quand on y eut donné un moment de réflexion, on trouva qu'elle difoit vrai, & auffi-tôt chacun jetta une picce de fon équipage d'un côté, une autre d'un autre; enfin nous nous deshabillâmes avec un tel emportement de joye caufé par la bizarrerie de ce que nous faifions, qu'il eût été impoffible qu'aucun Bal nous eût réjouis autant. Dicu fçait combien nous plaifantâmes fur notre dépenfe perdue, & fur Mm iiij

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notre Chevalerie avortée ; ces folies nous menerent fi loin, que nous ne nous féparâmes qu'à cinq heures du matin, c'est-à-dire, auffi tard que nous euffions bien couru. Voilà, Madame, ce que nous avons eu de plus agréable pendant notre Carnaval. Nous avons réfolu de donner déformais tous nos projets à renverfer à Mademoiselle votre fille.

22.042.042.042 DRD2 D204224DN

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LETTRES

GALANTES.

SECONDE PARTIE.

A MONSIEUR D'U...

LETTRE I.

ROIRE'S-vous ce que je vais vous dire? Notre Ami le Marquis de... eft aimé de fa Femme. Vous fçavés avec quelle répugnance elle l'a époufé, & combien elle a eu de peine à prendre la réfolution d'avoir vingt-cinq mille livres de rente. Cependant il y a deux mois qu'ils font mariés, & la voilà qui l'aime à la folie. D'abord elle n'en a rien marqué; apparemment elle n'a pas voulu fe dé

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