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A LA MESME.

LE

Sur la mort du Singe.

LETTRE XXXVIII.

E Singe eft mort, Madame, j'y pers beaucoup, il n'y a plus que leMore qui puiffe vous faire fouvenir de moi. Ce pauvre Animal apparemment a pris du chagrin, de ce qu'il ne pouvoit pas m'imiter affés bien auprès de vous; il n'y avoit rien qu'il n'eût pû contrefaire plus aifément que ma tendreffe. Ainfi puiffent créver tous ces Rivaux que vous m'avés faits, & qui veulent être les Singes de mon amour. Peut-être auffi parce qu'il imitoit ma paffion, il s'eft attiré vos rigueurs, & en est mort de defefpoir. En ce cas-là, c'eft à moi à l'imiter à mon tour, à mourir après lui. On dit que vous le pleurés; il eft un peu tard de vous repentir des mauvais traitemens que vous lui avés faits, mais prenés vos mefures là-deffus, je vous prie, & ne m'obligés point à

mourir, fi vous avés à me regretter .après ma mort; Il y a apparence que fi vous pleurés celui qui ne faifoit que m'imiter, vous me pleureriés bien davantage. Je fuis un original de tendreffe, que vous auriés peine à recouvrer; il ne s'en retrouveroit que de mauvaifes copies. Ne defefperés point le More, parce qu'il me repréfente, il feroit fâcheux qu'il eût encore par cette raifon la destinée du Singe. Ne fçauriés-vous laiffer en paix tout ce qui a le malheur d'avoir du rapport avec ma fidelité & mon attachement pour vous? Je verse pour la mort du Singe des larmes bien mieux fondées que les vôtres. Sonavanture m'apprend ce que je dois efperer. Adieu, Madame, fongés, s'il vous plaît, que vous ne fçauriés reffufciter le Singe, mais que vous pouvés me conferver.

A MONSIEUR...

J

En lui envoyant du Quinquina.

LETTRE XXXIX.

E vous envoye le Remede Anglois; il n'y a point de Fiévre à préfent qui ofe tenir contre lui, & s'il ne vous guérit pas, apprenés que vous ne ferés guere à la mode. Je ne fcache point d'honnête Homme, qui, s'il avoit pris du Quinquina fans effet, eût la hardieffe de le dire. Cependant votre Fiévre, à ce que j'ai appris depuis peu, eft d'une nature particulieré, je ne fçai s'il la chaffera. On dit qu'elle vient du chagrin que vous avés de ce que Mad... vous a fait une trahison. Êtes-vous fou? Où avés-vous trouvé qu'il faille tomber malade, parce qu'on eft abandonné d'une Femme? cela eft-il de ce Siécle-ci ? Vous deviés naître trois ou quatre mille ans plûtôt que vous n'avés fait, avec les talens de fidelité & de conftance que vous poffedés. Je

Vous jure que fi le Quinquina ne fervoit qu'à guérir les Fiévres qui font caufées par des chagrins d'amour, le Medecin Anglois qui gagne ici tout ce qu'il veut, ne s'enrichiroit pas tant. Mais enfin puifque vous voulés être un malade extraordinaire, il faut vous traiter fur ce pied-là. J'ai à vous avertir d'une préparation que vous devés apporter avant que de prendre votre Remede. Il ne vous fervira de rien, s'il n'eft précédé de quelques réflexions mûres & folides fur le caractere de la plupart des femmes, & même fur le caractere de l'amour. Vous demandés de la fidélité à votre Maîtreffe; vous feriés peut-être bien fondé fi elle n'avoit jamais aimé que vous, & fi vous n'aviés jamais aimé qu'elle; mais elle a eu déja des paffions qui ont fini, & malgré une expérience fi convainquante, vous vous imaginés que la paffion que vous lui infpirés, ne finira point! Et quel privilege avés - vous, s'il vous plaît, par-deffus les autres? D'ailleurs, fi vous avés déja aimé, vous devés fçavoir qu'on aime plus d'une fois; pourquoi La Belle fera-t-elle à fon dernier attachement ? Vous n'avés qu'un fujet léKk iiij

gitime de vous plaindre d'elle, c'est qu'elle vous a prévenu, & qu'en matiere de commerces amoureux, il y a de l'avantage à finir le premier. Il faut lui pardonner de s'en être faifie, une autre fois vous vous en faifirés fur quelque autre. Vous en ferés plus appliqué à ne vous pas laiffer furprendre par une infidélité trop prompte. Malheur à la premiere Femme que vous aimerés. Enfin ce n'eft pas l'intention de l'amour, que les attachemens durent fi long-tems, il tire des cœurs tout ce qu'il y a de plus vif; & enfuite pour renouveller cette vivacité, il en change les objets. Il ne faut conter pour des plaisirs fort fenfibles que les commencemens des paffions, & il feroit trifte que l'on commençât une fois, pour ne finir plus. Prenés toutes ces penfées avec votre Quinquina, & j'efpere que vous vous guérirés. Quand Vous ferés un peu tiré d'affaire, nous vous ordonnerons un engagement nouveau, pour affermir entierement votre fanté.

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