monde? Cela me met en colere. Rendés-moi raison d'une fi étrange duperie. Pour notre Ami, il faut qu'il ne foit pas timide ni déconcerté. Aller dire à cette Femme-là qu'il l'aimoit qu'il feroit fon plus grand bonheur de paffer fa vie avec elle? Je ne crois pas que j'euffe pû avoir la même affurance que lui. J'aurois donné à entendre à la Ďame, pour la justification des démarches que j'euffe faites, & pour le foulagement de ma fincérité, que c'étoit fon bien qui me tentoit; mais que fi elle m'en eût voulu rendre maître j'euffe eu pour elle toute la reconnoiffance poffible. J'euffe ajouté qu'elle eût dû me chaifir, parce que j'euffe empêché qu'un autre ne l'eût prife pour dupe en lui faifant croire qu'il l'eût aimée pour fes beaux yeux. En vérité une Femme raisonnable auroit dû être plus touchée d'un procedé généreux & franc comme celui-là, que de la comédie que notre ami a jouée. Vous m'allés dire qu'il eft des Femmes bien fottes; il est vrai, mais enfin je fuis affes fot moi-même pour ne pouvoir me figurer qu'elles le foient au point qu'elles le font; & il y a des Gens que je man

querois à tromper, parce que je les voudrois tromper par des voyes trop. fines. Mandés-moi fi la Dame s'eft rendue un peu difficile à perfuader; en ce cas-là je romprois avec notre Ami, car il faut qu'il foit le plus grand fourbe du monde pour l'avoir perfuadée, fi elle y a apporté quelque difficulté. Je ne veux point de commerce avec un fi bon Comédien.

A MADEMOISELLE de C.

J

En lui envoyant un Extrait de fon
Baptême,

LETTRE XXXII.

E puis me vanter, Mademoiselle, de vous faire aujourd'hui un préfent trés-confidérable. Je vous donne deux années. Vous croyiés avoir vingtdeux ans ; & voici un Ecrit en forme qui vous prouvera que vous n'en avés que vingt, car je conte que je vous donne les années que je vous ôte; & dans cette matiere - là on ne conte

point autrement. Deux années, que vous croyiés qui fuffent paffées, ne le font point, les voilà que je vous préfente encore toutes entieres. Je meurs de peur que vous ne conceviés pas affés bien de quel prix elles font; mais jufte Ciel! qui en donneroit autant à bien des Dames que je vous pourrois nommer, quelle reconnoiffance n'en tireroit-il pas ? Où eft le blanc & le rouge, où font les parures & les foins qui vaillent deux années? Il est bien jufte, Mademoiselle, que vous ne fasfiés l'ufage de celles-ci que pour moi, puifque c'est à moi que vous les devés. Quand elles fe feront écoulées vous ferés ce qu'il vous plaira; je n'aurai plus aucun droit fur votre vie mais préfentement jufqu'à vingt-deux ans elle m'appartient. Paffé cela, je vous remets où je vous ai prife, fauf à nous à nous rengager encore l'un avec l'autre, fi nous voulons. Mais s'il arrive, que vous ne foyés pas difpofée à me rendre justice, fcachés, Mademoifelle, que je ne fouffrirai point que perfonne vous aime fur le pied de vingt ans; je dirai par-tout qu'à la vérité vous n'en cuffiés pas cu davantage fi

;

vous aviés voulu, mais que vous aves refufé d'avoir deux ans de moins; & que puifque vous ne m'aimés pas, il faut que vous contiés vingt-deux ans. Vous ne fongiés peut-être pas à quoi Vous vous expofiés en me rendant maître du fecret de votre âge. C'eft pourtant un fecret que le beau fexe garde bien inviolablement ; & je croi que c'eft le feul. Plufieurs femmes m'ont confié les affaires de leur Maison, leurs amours mêmes, aucune ne m'a confié fon âge. J'en ai vû d'affés raifonnables pour prendre leur parti dans les occafions avec beaucoup de fermeté & de constance, je n'en ai point vû qui puiffent faire un affés grand effort de courage & de raifon pour dire leur âge. La vérité eft que plus l'on a d'années, plus on voit de quelle importance il feroit de n'en avoir pas tant. Pour vous, Mademoiselle, qui ne vous êtes point ménagée, vous ne fçavés pas combien vous tremblerés un jour qu'il ne m'échappe quelque indifcretion. Votre deftinée dépendra de moi, & il n'y aura rien à quoi je ne vous contraigne, en vous mettant au lieu de poignard, l'Extrait de votre Baptême fur la gorge.

Je

Je gage que vous riés à prefent de mes menaces, & que vous voyés ce temslà fi éloigné, que vous ne croyés pas que je l'atteigne; en verité je meurs de peur que vous n'ayés raison.

A MONSIEUR R...

LETTRE XXXIII

DEcidés-moi un peu, je vous prie,

un cas de confcience qui m'embar raffe, j'ai recours à vous comme à un Docteur fort éclairé. J'aime, ou fi vous voulés, je vois une affès jolie Femme, jeune, & qui peut bien infpirer de l'amour par fa perfonne feule. Sa folie eft le bel efprit, elle veut voir des Gens d'efprit, elle veut avoir des.commerces d'efprit, de l'efprit par-tout. I eft pourtant vrai que fi elle ena jamais,, elle n'en aura l'obligation qu'à l'Art, & nullement à la Nature. Elle a un talent de penfer faux, & de prendre les chofes de travers, qui ne paroît pas commun. Elle va s'extafier fur un galimatias ; dès qu'on parle, elle ouvre Li

Tome I.