Page images
PDF
EPUB

te, car il faudroit que vous n'en fiffiés d'ufage que pour moi, & ce n'eft pas là votre conte. On eft bien malheureux que vos agrémens ne doivent rien à perfonne, cela vous rend trop fiere. Je ne fçai pourtant fi ceux que je vous trouvai hier, ne vous étoient point infpirés par quelqu'un. Il eft für que vos yeux n'étoient pas tout-à-fait au mê me état que je les avois laiffés quand je partis. Il y avoit quelque chofe de changé; un certain brillant, un feu plus doux, qui me parut de fort mauvais augure pour ma paffion; car ce feu & ce brillant étoient venus pen-dant mon abfence. Je vous défie d'aimer que je ne m'en apperçoive. Helas! on dit que l'œil du Maître eft néceffaire par-tout, mais l'œil de l'Amant l'eft encore bien davantage; j'ai été éloigné deux mois, & voilà les fruits de mon éloignement. Si j'euffe été ici, j'euffe bien empêché vos yeux de devenir plus vifs; il me femble même que je les furpris en flagrant-délit avec un Cavalier qui étoit chés vous, il vous regardoit, & vous le regardiés. Je veux un peu examiner de près cette affairelà, mon cœur m'a dit que j'ai un Ri

val, mais je ne croi pas légerement mon cœur ; car il me dit, par exemple, que vous devriés m'aimer & cependant m'aimés-vous ?

A LA MESM E.

LETTRE XVI.

JE ne doute plus que je n'aye un Ri

val; il fe déclara hier par la mauvaise humeur où il fut de me voir long-tems chés-vous. J'admire comme vous avés pris votre tems jufte, pendant mon abfence, pour vous faire aimer de lui. Je gage que fi j'euffe été préfent; il n'eût jamais ofé fonger à vous; il eût vû de quelle maniere je vous aime, & il n'eût pas crû pouvoir vous aimer autant. Auffi comme vous fçavés que j'épouvante ceux qui voudroient s'engager à vous, vous profités de mon éloignement pour faire des conquêtes; mais je vais me montrer à mon Rival avec toute ma paffion. Du moins s'il a votre cœur, j'empêcherai qu'il ne l'ait à bon marché, peut-être l'inclination

que vous euffiés eue pour lui, ceût été caufe que vous n'en euffiés exigé qu'une tendreffe legere, & que vous euffiés fuppléée par votre bonté ce qui eût manqué à fon amour. Mais quand il verra le mien, il faudra bien qu'il tâche à l'égaler, & il auroit honte d'être préféré à un Homme qui vous aimeroit plus que lui. Ainfi par mes foins & mes affiduités, je poufferai votre cœur au plus haut prix qu'il fe pourra, & vous m'aurés l'obligation d'être plus tendrement aimé par le Rival que vous venés de me donner. Si vous étiés bien raisonnable, vous me tiendriés conte, non feulement de mon amour, mais encore du fien. J'aurois droit de vous demander cette double reconnoiffance: cependant comme je veux être généreux, je confens que vous ne me payiés que ma tendreffe & que pour celle de mon Rival, vous n'y fongiés point du tout.

[ocr errors]

A LA

JEUNE ANGLOISE

IL

LETTRE XVII.

L court un bruit de vous, Mado moiselle; on dit que vous êtes aimée d'un Cavalier Anglois, & que vous n'êtes pas mal difpofée pour lui. Vous moqués-vous? Falloit-il paffer la Mer pour venir aimer un Anglois en France? Quel profit tirés -vous de votre voyage? Voilà ce qui fait fouvent qu'on perd la peine qu'on a prife d'aller dans des Païs étrangers, on n'y voit que des Gens de fa Nation. Eh, du moins donnés-nous le tems que vous pafferés chés nous. Je voi bien que l'Angleterre a grand'peur que vous ne lui échappiés, puifqu'elle vous tient toujours par un Amant Anglois. Mais vous faites une infulte cruelle à la France, dont vous venés mépriser tous les Cavaliers. Prenés garde à vous, la France n'eft point aujourd'hui fur le pied qu'on fe moque

d'elle;

d'elle; & moi qui vous parle, j'ai tant de zéle pour ma Patrie, que je n'épargnerai rien pour la vanger de vous. Je puis vous dire ce que dit Scévole à Porfenna; Si je manque mon deffein, nous sommes encore trois cens de la même conjuration. Soyés fûre qu'on ne vous laiffera point de repos. Vous avés répondu à ceux qui vous reprochoient le Cavalier Anglois, que vous l'aimiés pour la commodité de lui parler & de l'entendre ; mais en vérité cette raison-là n'est pas valable. Votre Anglois n'entend que ce que vous lui dites, mais un François entendroit cent chofes que vous ne lui diriés pas; il liroit dans vos yeux ce que l'autre attend que votre bouche lui dife. D'ailleurs, je vous donne ma parole qu'en moins de rien vous fçauriés notre langue; elle n'eft fort difficile que pour les Perfonnes qui n'aiment point; mais dès qu'on aime un François, la langue Françoife eft aifée. Les Étrangers l'en cftimeroient moins, s'ils fçavoient cela; c'eft pourquoi on ne dit pas ce fecret à tout le monde. On les fait paffer par des Grammaires, & par des Méthodes qui ne finiffent point. Mais pour vous, on vous eût Tome I. Ff

« PreviousContinue »