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A MADEMOISELLE de I...

LETTRE XIII.

ON a bien raifon de dire, Made

à

moifelle, que le miftere eft un affaifonnement très - néceffaire à l'ainour. Si la paffion que j'ai pour vous étoit moins connue, un Procès que j'ai ici en iroit bien mieux. Je plaide contre mon Receveur, & je voi bien qu'il fe moque de mes pourfuites. Il cherche gagner toujours du tems, parce qu'il connoît que je vous aime, & qu'il eft perfuadé que j'aurai la foibleffe de retourner bien-tôt à... pour vous voir. J'ai beau faire le méchant, il n'en tient conte. C'est grand pitié, Mademoiselle, qu'il faille effuyer vos mépris, & ceux de mon Receveur! Il faut que cet Homme-là ait pris de vos mémoi

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tant il vous imite en tout. Il fçait bien en fa confcience ce qu'il me doit, & il a pris une forte réfolution de ne rien payer. Il me chicane de toutes manieres fur les moindres chofes; il m'en

gage

gage dans des procedures qui ne finiront de dix ans, fuivant le train qu'elles prennent; la bonne foi que j'aiavee lui ne le touche point, il ne fonge qu'à trouver l'occafion de me faire une tromperie. Du moins ce que j'efpere c'eft que le jugement que j'obtiendrai contre lui, fera valable auffi contre vous ; il fera tout-à-fait en cas pareil & vous n'aurés rien à y répondre. Je m'en vais preffer mon Homme vivement, non pas à caufe des quatre mille Ecus qu'il me doit, mais à caufe de la tendreffe que vous me devés. Je m'animerai beaucoup d'avantage contre lui, & lui ferai moins de quartier, parce qu'il vous représente.

JE

A LA MESM E.

LETTRE XIV.

E m'apperçois de ce que vous m'avés demandé, Mademoiselle, que vous entreriés dans les interêts de mon Receveur, & que vous folliciteriés pour lui. Comme vous ne cherchés tous deux Tome I. Ee

qu'à prolonger les affaires, vos Juges viennent de vous accorder un délai d'un tems infini. Vous allés triompher; mais j'ai trouvé un moyen de me vanger de vous. Je pars, & dans deux jours je vous reverrai. Je vais déformais partager mon tems entre mon Chicaneur & ma Chicaneufe. Le loifir que l'un me laiffera, je l'employerai à agir contre l'autre. Je prévoi que vous m'allés donner bien de l'exercice. Dès que je ferai auprès de vous, vous me ferés rappeller par votre Affocié, qui me donnera quelque affignation; & quand j'en ferai à pourfuivre l'Affocié, il fçaura bien me faire lâcher prifse en vous obligeant à me mander quelque chofe de tendre, qui me fera auffi-tôt voler vers vous. Mais il n'importe, je m'aguerrirai, & deviendrai un fi impitoyable Plaideur, que vous aurés fujet de trembler au moindre avantage que j'aurai fur l'un de vous deux. J'aimerois mieux ce fût que fût vous, fur qui je commençaffe à en avoir, car je vous trouve encore plus obftinée que mon Receveur ; & je croi que votre exemple auroit plus de pouvoir fur lui, que le fien n'en aura fur vous. Si vous me

payés mes foins que vous avés reçûs, il verroit bien qu'il ne pourroit pas fe difpenfer de me payer mon argent qu'il a reçû auffi. Ainfi je vais travailler à obtenir de vous quelque chofe qui le puiffe convaincre, & je lui ferai auffi-tôt fignifier les faveurs que vous m'aurés faites. Il me feroit commode de terminer les deux affaires tout-d'un-coup, tandis que je ferai auprès de vous, & de n'être plus obligé de retourner plaider à une Jurifdiction de Campagne; je vous affure que vous m'allés retrouver par cette raifon-là plus ardent & plus paffionné que jamais ; & vous ferés peut-être la premiere qui ferés contente des effets de l'abfence.

J

A LA

MESME.

LETTRE XV.

E vous trouvai hier, Mademoiselle, plus belle & plus brillante que jamais. Je ne fçai fi vous êtes embellie en effet, ou fi c'eft mon imagination qui vous a embellie. Voilà ce que c'eft que d'ai

mer trop, on ne fçait jamais bien au jufte la vérité des chofes. De bonne foi je douterois quelquefois que vous fuffiés auffi aimable que vous me paroiffés, fi je n'entendois dire à bien des Gens que vous l'êtes véritablement. Vous pourriés être laide que je ne m'en appercevrois pas, car je vous aime jufqu'à la folie. Auffi quand je commençai à vous aimer, comme je fentois que je devois me défier de mon jugement fur votre chapitre, j'allai demander à tout le monde, s'il étoit vrai que vous euffiés les grands yeux vifs, l'agréable bouche, & l'air fin que je vous voyois ; on me dit qu'il n'y avoit à tout cela aucune illufion, & fur cette réponse, je laiffai faire à mon coeur ce qu'il voulut. Quand j'y fonge pourtant, je trouve qu'il vaudroit mieux. pour moi, que vous ne fuffiés belle que par mon imagination,que de l'être effectivement. Dieu fçait avec combien de plaifir vous recevriés un amour qui vous embelliroit ; fi vous ne m'aimiés pas, je vous rendrois tout-d'uncoup votre premiere laideur, en ceffant de vous aimer. Mais vous feriés bien fâchée de me devoir votre beau

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