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Je les ferai tous déferter par mes affiduités, & par le defefpoir où je les mettrai de vous pouvoir rendre autant de foins que moi. Enfin prenés tel parti qu'il vous plaira ; je ferai enrager votre indifference, & après bien du tems, comblée de fervices, de fidelité, de tendreffe, de refpect, vous ne fçaurés plus de quel côté vous tourner, & il faudra que vous m'aimiés par laffitude. Ce qu'il y aura d'admirable, c'eft que quand vous m'aimerés, je ne vous en aimerai pas moins. Vous allés conter cela pour rien; mais fçachés que c'eft une grande promeffe que je vous fais. Vous vous imaginés, vous autres Belles, qu'il ne faut faire aucune difficulté de laiffer là vos Amans des années entieres fans les aimer, & après cela vous vous avifés quand il vous plaît d'aimer à votre tour; mais qu'arrive-til? Ils ont commencé d'aimer plûtôt que vous, ils finiffent plûtôt, & vous achevés la carriere toutes feules. Vous n'aurés point cet inconvenient - là à craindre avec moi. J'aime fort bien quoique je fois aimé. Si vous ne m'en croyés pas: c'eft un point de fait qui git en expérience. Eprouvés-le.

Tome I.

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ALA MESM E.

LETTRE VIII.

Depuis que je fuis votre Amant dé

claré, j'ai fait bien du progrès auprès de vous. Vous ne voulés plus être un moment feule avec moi, vous ne me recevés plus à votre toilette, vous ne fouffririés pas que je vous euffe pris le bout du doigt. Bon, Mademoiselle, cela va bien, j'avance. Vous me retranchés toutes les faveurs que vous m'accordiés par nonchalance ou par mégarde: je n'aurai plus rien qui ne signifie quelque chofe. Il eft vrai qu'il faut retourner fur mes pas, & que vous me remettés au beau commencement; mais n'importe. Par la voye que j'avois prife, on avance beaucoup d'abord, & on eft après tout étonné qu'on n'avance plus du tout; au lieu que par la nouvelle voye que vous me faites prendre, on avance très-lentement, mais on avance toujours. Il n'eft tien tel que les méthodes régulieres.

Voyés où en font Cyrus & Aronce au commencement du premier Tome; cependant ces Héros-là, avec leurs pas de Tortuë, ne laiffent pas d'arriver au douzième. J'ai feulement un petit confeil à vous donner. On voit que vous me traités plus mal qu'à l'ordinaire, & on devine par-là que je vous aime, & qu'il doit y avoir quelque chofe entre vous & moi. Vous pourriés même me traiter fi mal, qu'on croiroit que vous m'aimeriés. Ne publiés point notre commerce, Mademoiselle, je vous en conjure. Ayés devant le monde plus de difcrétion que vous n'en avés, & faites-moi quelques faveurs qui fauvent votre réputation. Eft-ce à moi à être plus difcret que vous? Est-ce aux Hommes à faire ces fortes de prieres-là aux Dames? Admirés, s'il vous plaît, combien je fuis éloigné d'avoir les maximes ordinaires. D'autres qui ménageroient moins l'honneur des Belles, vous prieroient de leur continuer vos rigueurs; mais pour moi, je ne fuis point de ces Fanfarons-là.

J

A LA MESM E.

LETTTRE

IX.

E vais m'éloigner de vous pour quelque tems, Mademoiselle, c'est-à-dire, que je vais vous aimer plus que je n'ai encore fait. L'abfence a pour moi cette propriété-là, qu'elle n'a, je croi, pour perfonne; elle m'attendrit. Je me figure toujours les Gens que je ne vois point, les plus aimables du monde, & je ne manque point à être content d'eux. Vous vous préfenterés à moi fenfible, reconnoiffante. Je m'imaginerai que fi je vous voyois, vous auriés cent petites bontés pour moi; je ferai plus charmé de votre idée sur cet article-là, que je ne l'ai jamais été de vous-même. Si vous prétendiés par votre févérité vous établir chés moi un caractere d'Héroïne, en vérité vous perdriés bien votre peine; dès que je ne vous voi plus, il ne me fouvient point de vos rigueurs. J'ai une imagination douce qui ne s'accoutume point

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à fe les représenter, il faut que je les voye, pour les croire. Je fçai bien qu'à mon retour vous travaillerés fortement à redreffer le mauvais pli que mon imagination aura pris; mais tou jours j'aurai eu malgré vous un peu de bon tems pendant l'abfence. Je ferai trop heureux, fi je ne fais pas la folie de revenir le plûtôt que je pourrai. Si vous voyés ma fidelité avec quelque plaifir, je vous promets que je vous ferai encore plus fidéle abfent que préfent. Je ne puis rien voir de fi aimable que votre idée, purifiée de vos défauts, & je n'aurai qu'elle dans la tête; mais quand je vous voi rigoureuse au dernier point, je puis voir quelque chofe, qui par cet endroit-là vaille mieux que vous. Je ne veux point vous tromper; je ne vous aime, que parce que je ne connois rien de plus digne d'être aimé; & du jour que j'aurois découvert ailleurs plus de merite, ne contés plus fur moi. J'ai bien exactement calculé, fi ce que vous avés d'efprit & de beauté par-deffus les autres, récompenfoit le moins de tendreffe que vous avés. J'ai trouvé qu'il le récompenfoit; & fur cela je me fuis mis à vous aimer.

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