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LETTRES

GALANTES

A MADAME de G.

LETTRE I.

Ly a long-tems, Madame, que j'aurois pris la liberté de vous aimer, fi vous aviés le loifir d'être aimée de moi; mais vous êtes trop occupée par je ne fçai combien d'autres Soupirans, & j'ai jugé plus à propos de vous garder mon amour. Il pourra arriver quelque tems plus favorable, où je le placerai. Peutêtre votre Cour fera-t-elle moins groffe pendant quelque petit intervalle; peut-être ferés-vous bien aife d'infpirer de la jaloufie & du dépit à quel

qu'un, en faisant paroître tout-à-coup un nouvel Amant. Contés que vous en avés un de réserve, dont vous pourrés vous fervir quand il vous plaira. Je tiendrai toujours mes foins & mes vœux tous prêts; vous n'aurés qu'à me faire figne que je commence, & je commencerai. Ne dites point que vous n'aimés de l'amour que la foule des Amans, & qu'ainfi if eft tems que je vienne, parce que je ferai toujours nombre. Ayés plus d'œconomie & de ménage. Les Belles ont fouvent vingt Conquêtes à la fois; & quand tout cela vient à manquer en même tems, figurés-vous la defolation. Gardés quelque chofe pour l'avenir; j'attendrai quinze ou vingt ans, fi vous voulés. Je me pafferai à un peu moins d'éclat que vous n'en avés aujourd'hui; je vous relâche cette extrême vivacité dont eft votre teint, auffi-bien il y a beaucoup de fuperflu dans votre beauté. Je ne veux que le néceffaire, que vous aurés toujours. Quand vous me donnerés le tems que je vous demande, ce n'est qu'un tems que vous auriés donné aux réflexions. Encore puis-je me flatter que je vaux mieux qu'elles, & que je

yous occuperai plus agréablement. Les plus petits fentimens valent mieux que les plus belles réflexions. Au lieu de rêver creux, ou de ne rêver à rien, vous pourrés rêver à moi. Adieu, Madame, jufqu'à nos Amours.

A MONSIEUR du T.

LETTRE II,

On dit qu'outre votre Procès, vous

N avés de l'amour, & que vous aimés la Femme de votre Rapporteur. On ne prend ordinairement dans la maifon de fes Juges, que du chagrin, de la haine, du dépit; & vous, yous y avés pris de la tendreffe. Je ne conçoi pas comment dans un Homme qui plaide, il refte encore quelque chofe qui puiffe aimer; mais peut- être auffi n'aimésvous que pour plaider mieux. Il vous eft plus commode d'attendre dans la Chambre de Madame, que dans l'Antichambre de Monfieur, où vous vous promeneriés avec d'autres Plaideurs qui vous conteroient leurs affaires, &

ne vous donneroient pas la confolation d'écouter la vôtre attentivement. Vous avés bien fait de convertir en affiduités amoureuses, les fâcheufes affiduités qu'il falloit avoir dans cette Maifon-la; & encore vaut-il mieux faire fa cour à la Dame du Logis, qu'au Secretaire. Il ne vous coûtera pas plus pour l'un que pour l'autre ; au contrai

re,

, je croi que vous y gagnés, & que les rigueurs du Secretaire auroient paffé celles de la Dame, quelque vertueufe qu'elle foit. Je ris, quand je fonge que vos tendres foins ne lui demandent apparamment qu'une bonne follicitation auprès de fon Mari, & qu'elle s'applique les foupirs que vous pouffés pour le gain de votre Caufe. Je ne doute point que vous ne mettiés fur fon conte les nuits que vos affaires vous font paffer fans dormir. C'eft affurément un beau fecret que de rendre toutes les inquiétudes d'un Plaideur méritoires en amour. Mais fi vous êtes amoureux tout de bon, que vous êtes occupé Conter vos raisons au Mari, & à la Femme, tour à tour! Parler Procès à l'un, & galanterie à Pautre! Au fortir d'un Cabinet où l'on

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