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toit pas une grande affaire, mais mé faire toujours aimer, en étoit une. Il eft aifé d'irriter l'amour, quand on ne le fatisfait pas, & fort mal aifé de ne pas l'éteindre, quand on le fatisfait. Enfin vous n'aviés qu'à refufer toujours avec la même féverité, & il falloit que j'accordaffe toujours avec de nouveaux agrémens.

A. DE BOU. Puifque vous me preffés fi fort par vos raifons, vos raifons, il faut que j'a joute à ce que j'ai dit, que fi je me fuis fait époufer, ce n'eft pas pour avoir eu beaucoup de vertu.

LA DUC. Et moi, fi je me fuis fait aimer très-conftamment, ce n'eft pas pour avoir eu beaucoup de fidelité.

A. DE BOU. Je vous dirai donc encore, que je n'avois ni vertu, ni réputation de vertu.

LA DUC. Je l'avois compris ainfi car j'euffe comté la réputation pour la vertu même.

A. DE BOU. Il me femble que vous ne devés pas mettre au nombre de vos avantages, des infidelités que vous fites à votre Amant, & qui, felon toutes les apparences, furent fecretes. Elles ne peuvent fervirà relever votre gloire.

Mais quand je commençai à être ai mée du Roi d'Angleterre, le Public qui étoit inftruit de mes avantures, ne me garda point le fecret, & cependant je triomphai de la Renommée.

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LA Duc. Je vous prouverois peutêtre, fi je voulois, que j'ai été infidelle à Henri II. avec affès peu de mistere pour m'en pouvoir faire honneur ; mais je ne veux pas m'arrêter fur ce point-là. Le manque de fidelité fe peut ou cacher, ou réparer; mais comment cacher, comment réparer le manque de jeuneffe? J'en fuis pourtant venue à bout. J'étois coquette, & je me faifois adorer; ce n'eft rien, mais j'étois âgée. Vous, vous étiés jeune; & vous vous laiffâtes couper la tête. Toute Grand'Mere que j'étois, je fuis affurée que j'aurois eu affés d'adreffe, pour empê cher qu'on ne me la coupât.

A. DE BOU. J'avoue que c'eft-là la tache de ma vie, n'en parlons point. Je ne puis me rendre fur votre âge même, qui eft votre fort. Il étoit affuré ment moins difficile à déguifer, que la conduite que j'avois eue. Je devois avoir bien troublé la raifon de celui qui fe résolvoit à me prendre pour fa

Femme, mais il fuffifoit que vous euffiés prévenu en votre faveur, & accoutumé peu à peu aux changemens de votre beauté, les yeux de celui qui yous trouvoit toujours belle.

LA DUC. Vous ne connoiffés pas bien les Hommes. Quand on paroît aimable à leurs yeux, on paroît à leur efprit tout ce qu'on veut, vertueufe même, quoiqu'on ne foit rien moins; la difficulté n'eft que de paroître aimable à leurs yeux auffi long-tems qu'on voudroit.

A. DE BOU. Vous m'avés convaincue, je vous cede; mais du moins que je fcache de vous par quel fecret vous réparâtes votre âge. Je fuis morte, & vous pouvés me l'apprendre, fans craindre que j'en profite.

LA Duc. De bonne-foi, je ne le fçai pas moi-même. On fait prefque toujours les grandes chofes, fans fçavoir comment on les fait, & on eft tout furpris qu'on les a faites. Demandés à Céfar comment il fe rendit le maître du monde, peut-être ne vous répondra-til pas aifément.

A. DE BOU. La comparaison eft glorieufe.

LA DUC. Elle eft jufte. Pour être afmée à mon âge, j'ai eu befoin d'une fortune pareille à celle de Céfar. Ce qu'il y a de plus heureux, c'eft qu'aux Gens qui ont exécuté d'auffi grandes chofes que lui & moi, on ne manque point de leur attribuer après coup des deffeins & des fecrets infaillibles, & de leur faire beaucoup plus d'honneur qu'ils ne meritoient.

DIALOGUE VI.

FERNAND CORTEZ,

MONTEZUME.

F. CORTE Z.

A Votiés la vérité. Vous étiés bien

groffiers vous autres Américains, quand vous preniés les Efpagnols pour des Hommes defcendus de la Sphère du feu, parce qu'ils avoient du Canon, & quand leurs Navires vous paroiffoient de grands Oiseaux qui voloient fur la Mer.

MONTEZUME. J'en tombe d'accord.

Mais je veux vous demander fi c'étoit un Peuple poli que les Athéniens.

F. COR. Comment? Ce font eux qui ont enfeigné la politeffe au refte des Hommes.

MON. Et que dites-vous de la maniere dont fe fervit le tyran Pifistrate, pour rentrer dans la Citadelle d'Athénes, d'où il avoit été chaffé? N'habilla-t-il pas une Femme en Minerve? (car on dit que Minerve étoit la Déeffe qui protegeoit Athénes.) Ne monta-til pas fur un Chariot avec cette Déeffe de fa façon, qui traverfa toute la Ville avec lui, en le tenant par la main, & en criant aux Athéniens, Voici Pififtrate que je vous amene, & que je vous ordonne de recevoir ; & ce Peuple fi habile & fi fpirituel, ne fe foumit-il pas à ce Tyran, pour plaire à Minerve, qui s'en étoit expliquée de fa propre bouche?

F. COR. Qui vous en a tant appris fur le chapitre des Athéniens?

MON. Depuis que je fuis ici, je me fuis mis à étudier l'Hiftoire par les converfations que j'ai eues avec differens Morts. Mais enfin vous conviendrés

que les Athéniens étoient un peu plus dupes que nous. Nous n'avions jamais

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