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on recommence à en faire partie ? Mo. N'en doutés pas. L'autre jour,em me divertiffant, je fis ici une Fable fur çe fujet. Un jeune Oifon voloit, avec la mauvaise grace qu'ont tous ceux de fon efpece quand ils volent, & pendant ce vol d'un moment, qui ne l'élevoit qu'à un pied de terre, il infultoit au refte de la baffe-cour. MalheuAnimaux,difoit-il, je vous vois au-deffous de moi, & vous ne fçavés pas fendre ainft Les airs. La moquerie fut courte, l'Oison retomba dans le même tems.

reux

PA. A quoi donc fervent les réflexions que la Comedie fait faire, puifqu'elles reffemblent au vol de cet Oifon, & qu'au même inftant on retombe dans les fottifes communes ?

Mo. C'eft beaucoup, que de s'être moqué de foi; la Nature nous y a donné une merveilleufe facilité, pour nous empêcher d'être la dupe de nous-mêmes. Combien de fois arrive-t-il que dans le tems qu'une partie de nous fait quelque chofe avec ardeur & avec em→ preffement, une autre partie s'en mo→ que? & s'il en étoit befoin même, on trouveroit encore une troifiéme partie qui fe moqueroit des deux premieres

enfemble. Ne diroit-on pas que l'Homme foit fait de pieces rapportées ?

PA. Je ne voi pas qu'il y ait matiere fur tout cela d'exercer beaucoup fon efprit. Quelques legeres réflexions, quelques plaifanteries fouvent mal fondées, ne meritent pas une grande eftime; mais quels efforts de meditation ne faut-il pas faire pour traiter des fujets plus relevés ?

Mo. Vous revenés à vos Génies, & moi je ne connois que mes Sots. Cependant, quoique je n'aye jamais travaillé que fur ces fujets fi expofés aux yeux de tout le monde, je puis vous prédire que mes Comedies vivront plus que vos fublimes Ouvrages. Tout eft fujet aux changemens de la mode; les productions de l'efprit ne font pas audeffus de la deftinée des Habits. J'ai vû je ne fçai combien de Livres & de genres d'écrire enterrés avec leurs Auteurs, ainfi que chés de certains Peuples, onenterre avec les Morts les chofes qui leur ont été les plus précieufes pendant leur vie. Je connois parfaitement quel les peuvent être les révolutions de l'Empire des Lettres, & avec tout cela je garantis la durée de mes Piéces.

J'en fçai bien la raison. Qui veut pein dre pour l'immortalité, doit peindre des Sots.

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M. STUART. Il me femble cependant qu'elle fut affes belle pour un Muficien. Il fallut que les principaux Seigneurs de la Cour d'Ecoffe, & le Roi mon Mari lui-même, confpiraffent contre toi ; & l'on n'a jamais pris plus de mefures, ni fait plus de façon pour faire

mourir aucun Prince.

D. Ric. Une mort fi magnifique n'étoit point faite pour un miférable Joueur de Lut que la pauvreté avoit envoyé d'Italie en Ecoffe. Il eût mieux valu que vous m'euffiés laiffè paffer

doucement mes jours à votre Musique, que de m'élever dans un rang de Miniftre d'Etat, qui a fans doute abregé

ma vie.

M. STUART. Je n'euffe jamais crû te trouver fi peu fenfible aux graces que je t'ai faites. Etoit-ce une legere diftinction, que de te recevoir tous les jours feul à ma table? Crois-moi, Riccio, une faveur de cette nature ne faifoit point de tort à ta réputation.

D. Ric. Elle ne me fit point d'autre tort, finon qu'il fallut mourir, pour l'avoir reçûë trop fouvent. Helas! je dinois tête à tête avec vous comme à l'ordinaire, lorfque je vis entrer le Roi, accompagné de celui qui avoit été choisi pour être un de mes Meurtriers, parce que c'étoit le plus affreux Ecoffois qui eût jamais été, & qu'une longue fièvre quarte, dont il relevoit, l'avoit encore rendu plus effroyable. Je ne fçai s'il me donna quelques coups; mais autant qu'il m'en fouvient, je mourus de la feule frayeur que fa vûë me fit.

M. STUART. J'ai rendu tant d'honneur à ta mémoire, que je t'ai fait mettre dans le tombeau des Rois d'E coffe.

D. Ric. Je fuis dans le Tombeau des Rois d'Ecoffe?

M. STUART. Il n'eft rien de plus vrai. D. RIC. J'ai fi peu fenti le bien que cela m'a fait, que vous m'en apprenés maintenant la premiere nouvelle. O mon Lut! faut-il que je t'aye quitté, pour m'amufer à gouverner un Royau

me?

M. STUART. Tute plains! Songe que ma mort a été mille fois plus malheureufe que la tienne.

D. RIC. Oh! vous étiés née dans: une condition fujette à de grands revers; mais moi j'étois né pour mourir dans mon Lit. La Nature m'avoit mis dans la meilleure fituation du monde pour cela; point de bien, beaucoup d'obfcurité, un peu de voix feulement, & de génie pour jouer du Lut.

M. STUART. Ton Lut te tient toujours au cœur. Hé bien tu as eu un méchant moment; mais combien as-tu cu auparavant de journées agréables; Qu'euffes-tu fait, fi tu n'euffes jamais été que Muficien? Tu te ferois bien ennuyé dans une fortune fi médiocre.

D. RIC. J'euffe cherché mon bonheur dans moi-même.

M. STUART

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