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A

DE GONZAGUE.

SOLIMA N.

H! pourquoi eft-ce ici la premiere fois que je vous voi? Pourquoi ai-je perdu toute la peine que je pris pendant ma vie à vous faire chercher ? J'euffe eu dans mon Serrail la plus belle Perfonne de l'Italie, & à préfent je ne voi qu'une Ombre qui n'a point de traits, & qui reffemble à tou

tes les autres.

J. DE GONZAGUE. Je ne puis trop

vous remercier de l'amour que vous eûtes pour moi, fur la réputation que j'avois d'être belle. Cela même redoubla beaucoup cette réputation, & je vous dois les plus agréables momens que j'aye paffes. Sur-tout je me fouviendrai toujours avec plaifir de la nuit, où le Pirate Barberouffe, à qui vous aviés donné ordre de m'enlever, penfa me furprendre dans Cayette, & m'obligea de fortir de la Ville dans un defordre, & avec une précipitation extrême.

So. Par quelle raifon preniés-vous la fuite, fi vous étiés bien-aife qu'on vous cherchât de ma part?

J. DE GON. J'étois ravie qu'on me cherchât, & plus encore qu'on ne pût m'attraper. Rien ne me flattoit plus que de penfer que je manquois au bonheur de l'heureux Soliman, & qu'on me trouvoit à dire dans le Serrail, dans un Lieu fi rempli de belles Perfonnes; mais je n'en voulois pas davantage. Le Serrail n'eft agréable que pour celles qui y font fouhaitées, & non pour celles qu'on y enferme.

So. Je voi bien ce qui vous faifoit peur; ce grand nombre de Rivales ne

vous eût point accommodée. Peutêtre auffi craigniés-vous que parmi tant de Femmes aimables, il n'y en eût beaucoup qui ne fiffent que fervir d'ornement au Serrail.

J. DE GON. Vous me donnés - là de jolis fentimens.

So. Qu'est-ce que le Serrail avoit donc de fi terrible?

J. DE GON. J'y euffe été bleffée au dernier point de la vanité de vous autres Sultans, qui pour faire montre de votre grandeur, y enfermés je ne fçai combien de belles Perfonnes, dont la plûpart vous font inutiles, & ne laiffent pas d'être perdues pour le refte de la terre. D'ailleurs, croyés -vous que l'on s'accommode d'un Amant dont les déclarations d'amour font des ordres indifpenfables, & qui ne foûpire que fur le ton d'une autorité abfolue? Non, je n'étois point propre pour le Serrail, il n'étoit point befoin que vous me fiffiés chercher, je n'euffe jamais fait votre bonheur.

So. Comment en êtes-vous fi fûre? J. DE GON. C'est que je fçai que vous n'euffiés pas fait le mien.

So. Je n'entens pas bien la confé

quence. Qu'importe que j'euffe fait votre bonheur ou non?

J. DE GON. Quoi! vous concevés qu'on puiffe être heureux en amour, par une Perfonne que l'on ne rend pas heureufe; qu'il y ait, pour ainfi dire, des plaifirs folitaires qui n'ayent pas befoin de fe communiquer, & qu'on en jouiffe quand on ne les donne pas? Ah! ces fentimens font horreur à des cœurs bien faits.

So. Je fuis Turc, & il me feroit pardonnable de n'avoir pas toute la délicateffe poffible. Cependant il me femble que je n'ai pas tant de tort. Ne venés-vous pas de condamner bien fortement la vanité?

J. DE GON. Qüi.

So. Et n'est-ce pas un mouvement de vanité, que de vouloir faire le bonheur des autres? N'est-ce pas une fierté infupportable, de ne confentir que vous me rendiés heureux, qu'à condition que je vous rendrai heureuse auffi? Un Sultan eft plus modefte, il reçoit du plaifir de beaucoup de Femmes très-aimables, à qui il ne fe pique point d'en donner. Ne riés point de ce raisonnement, il eft plus folide qu'il ne

vous paroît. Songés-y, étudiés le cœuf humain, & vous trouverés que cette délicateffe que vous eftimés tant, n'eft qu'une espece de rétribution orgueilleufe; on ne veut rien devoir.

J. DE GON. Hé bien donc, je conviens que la vanité est néceffaire.

So. Vous la blâmiés tant tout à l'heure ?

J. DE GON. Oui, celle dont je parlois, mais j'approuve fort celle-ci. Avésvous de la peine à concevoir que les bonnes qualités d'un Homme tiennent à d'autres qui font mauvaises, & qu'il feroit dangereux de le guérir de fes défauts ?

So. Mais on ne fçait à quoi s'en tenir. Que faut-il donc penfer de la vanité ?

J. DE GON. A un certain point, c'est vice; un peu en deçà, c'est vertu.

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