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DIALOGUE VI.

BRUTUS, FAUSTINE

Q

BRUTUS.

Uoi? fe peut-il que vous ayés pris plaifir à faire mille infidelités à l'Empereur Marc-Aurele, à un Mari qui avoit toutes les complaifances imaginables pour vous, & qui étoit fans contredit le meilleur Homme de tout l'Empire Romain ?

FAUSTINE. Et fe peut-il que vous ayés affaffiné Jules-Céfar, qui étoit un Empereur fi doux & fi modcré ?

BRU. Je voulois épouvanter tous les Ufurpateurs par l'exemple de Céfar, que fa douceur & fa moderation n'avoient pû mettre en fureté.

FAU. Et fi je vous difois que je voulois effrayer tellement tous les Maris que perfonne n'ofât fonger à l'être après Pexemple de Marc - Aurele, dont la bonté avoit été fi mal payée?

BRU. C'étoit-là un beau deffein ! Il

faut qu'il foit de Maris, car qui gou

verneroit les Femmes ? mais Rome n'a

voit point befoin d'être gouvernée par

Céfar.

FAU. Qui vous l'a dit? Romc commençoit à avoir des fantaisies auffi déreglées, & des humeurs auffi étranges que celles qu'on attribue à la plûpart des Femmes; elle ne pouvoit plus fe paffer de Maître, mais elle ne fe plaifoit pourtant pas à en avoir un. Les femmes font justement du même caractere. On doit convenir auffi que les Hommes font trop jaloux de leur domination. Ils l'exercent dans le mariage, c'est déja un grand article; mais ils voudroient même l'exercer en amour. Quand ils demandent qu'une Maîtreffe leur foit fidelle, fidelle veut dire foumise. L'empire devroit être également partagé entre l'Amant & la Maîtreffe; cependant il paffe toujours de l'un ou de l'autre côté, & prefque toujours du côté de l'Amant.

BRU. Vous voilà étrangement révoltée contre tous les Hommes.

FAU. Je fuis Romaine, & j'ai des fentimens Romains fur la liberté. BRU. Je vous affure qu'à ce conte

là tout l'Univers eft plein de Romaines; mais avoués que les Romains tels que moi, font un peu plus rares.

FAU. Tant mieux, qu'ils foient fi rares. Je ne croi pas qu'un honnête Homme voulût faire ce que vous avés fait, & affaffiner fon bienfaicteur.

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BRU. Je ne croi pas non plus qu'il y cût d'honnêtes Femmes qui vouluffent imiter votre conduite. Pour la mienne, Vous ne fçauriés difconvenir qu'elle n'ait été affés ferme. Il a fallu bien du courage pour n'être pas touché par l'amitié que Céfar avoit pour moi. FAU. Croyés vous qu'il ait fallu moins de courage pour tenir bon contre la douceur & la patience de MarcAurele? Il regardoit avec indifference toutes les infidelités que je lui faifois, il ne me vouloit pas faire l'honneur d'être jaloux, il m'ôtoit le plaifir de le tromper. J'en étois en fi grande colere, qu'il me prenoit quelquefois envie d'être Femme de bien; cependant je me fauvai toujours de cette foibleffe. Et après ma mort même, Marc-Aurele ne m'a-t-il pas fait le déplaifir de me bâtir des Temples, de me donner des Prêtres, d'inftituer en mon honneur

des Fêtes Fauftiniennes? Cela n'eft-il pas capable de faire enrager: M'avoir fait un Apothéofe magnifique ? M'avoir érigée en Déeffe?

BRU. J'avoue que je ne connois plus les Femmes. Voilà les plaintes du monde les plus bizarres.

FAU. N'euffiés-vous pas mieux aimé être obligé de conjurer contre Silla, que contre Céfar? Silla eût excité votre indignation & votre haine par fon extrême cruauté. J'euffe bien mieux aimé auffi avoir à tromper unHomme jaloux ; ce même Céfar, par exemple, de qui nous parlons. Il avoit une vanicé infupportable; il vouloit avoir l'Empire de la Terre tout entier,& fa femme toute entiere; & parce qu'il vit que Clodius partageoit l'une avec lui, & Pompée l'autre, il ne put fouffrir ni Pompée, ni Clodius. Que j'euffe été heureufe avec Céfar!

BRU. Il n'y a qu'un moment que vous vouliés exterminer tous les Maris, & à cette heure vous aimés mieux. les plus méchans.

FAU. Je voudrois qu'il n'y en eût point, afin que les Femmes fuffent toujours libres; mais s'il faut qu'il y en

ait, les plus méchans font ceux qui me plaifent davantage, par le plaifir que l'on a de reprendre fa liberté.

BRU. Je croi que pour les Femmes de votre humeur, le meilleur eft qu'il y ait des Maris. Le fentiment de la liberté eft plus vif, plus il y entre de malignité.

Tome I.

M

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