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CAMOIN frères, rue Saint-Ferréol, et Boy, boulevard Dugommier,

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HARVARD COLLEGE LIBRARY

INGRAHAM FUND

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En inscrivant au frontispice de notre recueil le nom du ministre qui avait conçu le projet de réunir et de publier les poésies populaires de la France, nous ne remplissons pas seulement un pieux devoir, mais nous assignons à notre travail, dès sa première page, son véritable caractère. Ce qu'Hippolyte Fortoul avait projeté pour la France entière, nous avons essayé de le réaliser pour notre Provence, nous avons tenté de montrer une partie du grand monument qu'il voulait élever au génie anonyme et poétique du peuple (2). Puissions-nous n'être pas resté trop au-dessous de la tâche que son amitié nous avait indiquée et dans l'accomplissement de laquelle sa bienveillance nous eût soutenus, si l'avare mort ne l'avait prématurément enlevé aux lettres qu'il honorait, à l'archéologie dont il fut un curieux plein de goût et de sagacité.

Et de fait notre œuvre est moins une œuvre littéraire qu'un travail archéologique. La diversité des langues et des idiomes ne saurait résister à ce mouvement incessant qui entraîne la France vers l'unité et que secondent avec tant de force et la diffusion de l'enseignement, et la rapidité des communications et l'exagération de notre centralisation administrative. La muse provençale, retrouvant un

(1) M. Damase Arbaud nous communique les épreuves d'un recueil qu'il va publier sous le titre de CHANTS POPULAIRES ET HISTORIQUES DE LA PROVENCE. Nous lui empruntcns la majeure partie de l'introduction et quelques-uns des chants qu'il contient, et qui nous révèlent une mine de richesses poétiques jusqu'ici inexplorée. (Note de la rédaction).

(2) Paroles de M. Fortoul ministre de l'instruction publique dans la séance du 8 novembre 1852 du Comité de la langue, de l'histoire et des arts de la France.

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instant sa virtualité native, a bien pu produire une œuvre pleine de cette grâce à la fois puissante et naïve qui semble le privilège de la jeunesse, mais la traduction littérale dont elle a dù accompagner ses accents, prouve bien quelle sentait elle-même que, sans cette précaution, elle ne serait plus comprise que de quelques adeptes; si Juliette est sortie de la tombe ce n'est que pour poser une fois encore ses lèvres sur les lèvres de Roméo, puis mourir.

Ainsi le jugeait un barde, amoureux lui aussi de la nature et des traditions de son pays qui paya son amour en en suaves inspirations, quand il s'écriait:

..... les fils qui nous vont suivre

De ces fleurs n'ornent plus leurs fronts; .
Aucun ne redira le son qui nous enivre.
Quand nous, fidèles, nous mourrons (4).

C'est qu'en effet dans ce besoin de nouveautés qui semble brùler toutes les âmes, on oublie la langue des aïeux, comme on se rit de leurs mœurs et de leurs croyances, et l'on estropie au village le parler de Paris, comme on y singe gauchement les modes de la grande ville. Les idées nouvelles ont fait naître de nouvelles aspirations. Les chants de nos pères, ces chants que vingt générations avaient répétés, la génération actuelle les dédaigne, et ce n'est pas un mince labeur que d'en recueillir les débris épars; c'est presque une évocation, et, comme la mort, l'oubli lâche difficilement sa proie. Que de fois nous nous sommes assis au coin du foyer l'hiver, à côté du rouet de bonnes femmes dont il fallait d'abord vaincre la méfiance soupçonneuse avant de les décider à redire les couplets de leur jeune àge, que de fois nous avons suivi un vieux pâtre pour recueillir au vol le refrain dont il trompait son ennui! Mais ces fleurs de l'inspiration populaire que nous cherchions, ce n'est pas dans les jardins des muses érudites qu'on peut espérer de les rencontrer, force nous était bien de les cueillir là où la nature les fait éclore. Et puis ces fragments ramassés sans suite il fallait les dépouiller de la rouille qui les couvrait, les relier l'un à l'autre, assigner à chacun sa place. Si l'on songe que ces poésies nées il y a plusieurs siècles, composées dans une langue que le peuple ne comprendrait presque plus aujourd'hui, ont dù pour arriver jusqu'à nous, suivre toutes les variations que le temps à

(1) A. BRIZEUX: Aux poètes Proven, aux.

fait subir à cette langue; si l'on se souvient qu'elles n'ont jamais été écrites et ne se sont conservées que dans le souvenir successif des générations, on comprendra combien de variantes plus ou moins heureuses il a fallu comparer, sur combien d'interpolations parasites il a fallu souffler, avant d'arriver au texte primitif, à celui qui, dans un jour de foi ou d'amour, dans un moment de gaîté ou de malice, jaillit tout à coup du cerveau d'un homme devenu l'interprète de tous, parce que l'inspiration de son cœur répondait à ce que sentait le cœur de chacun. « Improvisée par le « prentier venu et perfectionnée au hasard par cent impro« visateurs secondaires, personne n'y appose le cachet de « son talent et tout le monde y met son mot; le véritable « auteur est le peuple qui la chante en y introduisant les « les changements successifs qui la font répondre plus « fidèlement à son esprit (4). » Aussi le nom du premier auteur de ces poésies est-il complètement ignoré. Savait-il lui-même qu'il était poète? Avait-il conscience qu'il créait une œuvre durable, alors que cette ceuvre semblait naître spontanément des idées qui circulaient autour de lui, des passions qui agitaient les masses qui l'entouraient? Un jour Gaston d'Orléans pressait Blot de lui dire qui avait fait certains vaudevilles satiriques dirigés contre lui :« Ma foi, Monseigneur, répondit le chansonnier, à vous parler franchement je crois qu'ils se sont faits tout seuls. » Voilà bien l'histoire des chants populaires, ajoute avec raison M. Rathéry qui a très heureusement exhumé cette anecdote.

C'est précisément cette origine impersonnelle qui caractérise la poésie populaire et la distingue de la poésie nationale. Celle-ci est l'expression des idées, des intérêts, des besoins publics, l'autre au contraire est surtout l'écho de l'âme humaine. Que dans un moment donné des hommes vivant dans le même milieu, ayant les mêmes croyances, placés en face du même évènement, manifestent d'une manière analogue des sensations qui doivent leur être communes, rien de plus naturel et de plus ordinaire; mais ce n'est pas là encore cette combinaison d'intérêts généraux, fruit de toutes les influences qui se concentrent dans le sein d'un peuple pour en faire une nation, et qui dans un moment de danger ou de triomphe se traduisent par les élans d'une sainte

(1) EDELESTAND DU MÉRIL: Poésies populaires latines du moyenage, page 1,

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