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Nous y séjournons jusqu'au lendemain et jouons Iphigénie en Tauride dans une grange. Le public des environs s'y porte en foule.-Singulière statue de Diane. -Effet qu'elle produit sur un spectateur. Le journaliste mal informé. La vérité rétablie. - Nous ne pouvons jouer au chef-lieu à cause des Missionnaires. L'ultra bigote.- Cadeau qu'elle veut faire à son directeur de conscience. Plaisante vengeance que son mari en tire. gleterre.

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Nous partons pour l'An

ARRIVÉS dans un village assez populeux, nous résolûmes de faire halte, et d'expédier un mes

sager au chef-lieu du département pour savoir si nous y serions admis à donner quelques représentations. Il était à peine midi lorsque notre ambassadeur partit, et comme il ne pouvait être de retour que le lendemain, nous nous disposâmes à faire une promenade dans les environs. Pendant ce temps la renommée aux cent voix avait trahi notre incognito, par la bouche de notre postillon, et engagé quelques notables de l'endroit à venir nous demander une tragédie pour le soir même. A leur tête marchait un poëte d'Athénée, auteur d'une comédie reçue au théâtre Français depuis 1789, dont le tour n'était pas encore arrivé. En sa qualité d'écrivain dramatique il avait fait élever dans une ancienne grange un théâtre modeste, mais assez spacieux, sur lequel les amateurs de l'arrondissement s'escrimaient d'estoc et de taille pour la plus grande gloire de Melpomène et de Thalie. Accepter une pareille proposition était déroger; mais aussi, c'était un sûr moyen de passer une soirée moins ennuyeuse. Nous promîmes gratis Iphigénie en

Tauride avec des coupures. Cette promesse répandit la joie dans tout le village; une heure après, la nouvelle en avait pénétré dans les campagnes voisines, et le soir l'affluence fut plus que considérable. Je ne dirai pas qu'il y avait du monde jusque dans les corridors; mais jusque dans la cour et même sur le toit d'un poulailler placé en face de la grange dont on avait laissé la porte ouverte à deux battans. Chargé du rôle de souffleur, je m'en acquittai d'une manière fort distinguée; je puis dire, sans me vanter, que dans certaines scènes on n'entendait que moi. Le succès fut des plus brillans et des plus chauds, quoique nous n'eussions pas de claqueurs et que, retiré dans mon trou, je ne pusse moi-même donner le signal de l'enthousiasme, comme cela se pratique à Paris à tous les théâtres bien administrés.

Malgré la phisionomie vraiment originale de cette soirée dramatique, je l'aurais peut-être passée sous silence comme beaucoup d'autres épisodes de notre voyage, si elle n'avait donné

lieu à une erreur matérielle qu'il importe de rectifier. Un journal informé, je ne sais comment, de cette représentation, raconta dans le temps à ce sujet : « Une troupe ambulante allait représenter la tragédie d'Iphigénie en Tauride : tout à coup on s'aperçoit qu'il manque une statue de Diane. Que cela ne vous arrête pas, dit le directeur, j'y pourvoirai. Comme la statue ne devait, à la rigueur, figurer qu'au cinquième acte, le rideau se leva. Qu'elle est la surprise des acteurs, et surtout celle du public, en voyant, au moment du sacrifice, le buste en plâtre d'un fonctionnaire de l'endroit. Un spectateur, ne sachant pas ce que cela voulait dire, et désirant se bien mettre avec ses autorités, s'écria aussitôt : vive M. l'adjoint! on sent que le sacrifice fut interrompu véritablement, et que la déesse elle-même n'aurait pu s'empêcher de rire avec le restant du public. >>

Cette aventure est sans doute fort spirituellement racontée; mais elle contient une grave inexactitude, qui, grâce à la publication de mes

mémoires, ne se perpétuera pas dans la postérité. Le buste chargé de remplacer la statue de la divinité de Tauride, n'était pas celui d'un obscur magistrat de village : c'était le buste de sa majesté Louis XVIII qu'on avait apporté de la mairie, et le cri qui se fit entendre fut celui de vive le roi! Témoin occulaire et auriculaire de la représentation, je dois ajouter, en historien fidèle, que ce cri fut généralement répété, et qu'il était l'expression sincère des sentimens qui animaient l'assemblée pour l'auguste auteur de la Charte constitutionnelle.

Cette même Charte veut que toutes les professions soient libres, et, pourtant le retour de notre messager vint donner un démenti à cet article du pacte fondamental. Notre correspondant nous écrivait que les missionnaires étant en exercice au chef-lieu, le théâtre se trouvait fermé, et que nulle puissance temporelle ne pourrait le faire rouvrir avant le départ de ces bons pères. Ce qui vous étonnera le plus, ajoutait-il, c'est que les femmes sont ici presque toutes contre le spec

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