Page images
PDF
EPUB

Ces portraits, privés de cadres, étaient modestement suspendus à l'aide de quelques épingles, car Thérèse était aussi pauvre que jolie. L'arrangement de ces images n'avait pourtant pas toute la symétrie qu'un amateur des arts aurait exigée; j'allais presque en accuser la maîtresse de céans, lorsqu'en soulevant le coin de quelques-uns de ces portraits, je me convainquis qu'on n'aurait pu les déplacer sans inconvénient; tous étaient de véritables bouche-trous; au reste, ils me parurent d'une ressemblance frappante. Quelques brochures se trouvaient çà et là sur la cheminée, dont un fragment de miroir faisait tout l'ornement. Cette bibliothèque se composait de plusieurs mélodrames au courant du répertoire, et de cinq à six romans, parmi lesquels je remarquai l'Atala de M. le vicomte de Chateaubriant; cela me donna une bonne idée de l'esprit de Thérèse. En continuant mon examen statistique, je découvris sur le coin d'une table un billet de loterie et une reconnaissance du Mont-de-Piété. Je crus d'abord que le montant de celle-ci était allé

se perdre dans la roue de fortune; les dates me fournirent la preuve du contraire; car celle du billet de loterie était bien plus ancienne que l'autre. En retournant ce billet, j'y lus : ce billet appartient à Mme Grignard. Quant à la reconnaissance, elle me prouva toute la vertu de ma chère Thérèse, puisqu'elle se privait du nécessaire, quand il lui aurait été si facile de se procurer le superflu.

Elle revint avec la portière. Notre déjeûner, quoique frugal, me sembla délicieux. A la suite de ce modeste repas, Thérèse me raconta son histoire. Orpheline dès son bas âge, elle fut recueillie par la veuve d'un colonel de la vieille armée, qui était bonne sans bigotisme, et charitable sans être dame de charité. La mort l'ayant privée trop tôt de sa bienfaitrice, Thérèse fut forcée de prendre l'aiguille pour échapper à la misère, et, peut-être, à une prospérité plus à redouter pour elle que la mauvaise fortune. Devenue ouvrière en dentelles, le hasard lui procura la connaissance de madame Grignard, dont le fichu de noce

avait reçu une lacune. Par suite de cette liaison, la jolie orpheline vint habiter dans la maison dont son amie était l'un des Cerbères, et bientôt elle partagea le goût que M. Grignard avait pour le mélodrame, goût que je contribuai à propager en elle, par l'offre que je lui fis de faciliter ses débuts. Pauvre petite! elle avait été si malheureuse ! L'amour acheva de pénétrer dans mon cœur par le chemin de la pitié, en dépit de la chanson qui prétend que la pitié n'est pas de l'amour. Eh! quel mortel aurait pu se défendre de céder à Thérèse, en apprenant de sa bouche innocente que désirant faire son premier pas au théâtre, elle ne pensait point à le faire dans le monde.

[graphic][subsumed][merged small][ocr errors]
[ocr errors]
[ocr errors]

Thérèse se destinant au théâtre, je suis incertain sur celui où elle doit débuter.-Comme elle a étudié le mélodrame, je me décide pour le premier Théâtre-Français. Opinion. raisonnée d'un membre du comité-directeur sur notre littérature dramatique. Il me promet d'appuyer le début, Je le quitte plein de joie et d'espérance.- Premier entretien sentimental entre Thérèse et moi. Arrivée d'un tiers.Discussion conjugale entre M. et Mme Grignard. - Je suis cassé aux gages, par l'administration de l'Ambigu-Comi

que.

[ocr errors]

L'HISTOIRE de Thérèse étant arrivée à son dénouement, je quittai ma charmante héroïne;

mais ce ne fut que pour m'occuper d'elle. Toutefois, en réfléchissant à la mission dont je venais de me charger, je me sentis un peu embarrassé sur le choix de la scène où il convenait le mieux qu'elle fît sa première apparition. Toutes les avenues de l'emploi des princesses innocentes, malheureuses et persécutées me paraissaient obstruées par une foule de prétendantes aux honneurs du martyre mélodramatique, martyre que tous les tyrans peu délicats leur font subir par excès de tendresse. Jamais, me disais-je, Thérèse ne pourra verser d'aussi nombreuses larmes que mademoiselle Adèle Dupuis de la Gaîté, ni perforer l'abdomen du crime avec la dextérité de mademoiselle Bourgeois (113), actrice qui, dans sa jeunesse, faisait le coup de sabre comme le coup de poingt, et qui a tué plus d'hommes en sa vie que le plus intrépide de nos grenadiers. Les abords de l'Ambigu-Comique me semblaient encore plus escarpés; je craignais qu'au premier signal de l'irruption d'une princesse supplémentaire, les quatre qui s'y disputaient déjà le trône,

« PreviousContinue »