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rer. Que faut-il de plus pour prouver encore une fois que cette condition est celle de la nature minéralogique et chimique du sol?

Si nous voulons demander aux plantes prairiales un résultat analogue à ceux que nous ont offerts les plantes des moissons, nous aurons plus de peine à obtenir satisfaction, car on ne peut pas comparer les prés sur pente sèche aux prés des vallons, ni les prés secs aux prés irrigués ; ils sont différenciés du tout au tout par les conditions d'humidité. Comparons donc entre eux, d'abord, les prés secs.

Si l'élément siliceux, mêlé ou non d'argile, constitue la prairie landes, prairies submaritimes du Bas-Médoc, molasse du Périgord), nous y verrons abonder au printemps le Myosotis versicolor Pers. Si la silice est remplacée par le calcaire, nous n'y trouverons que le Myosotis collina Ehrh que nous aurons déjà vu, avec l'autre espèce, dans le premier de ces terrains le M. collina est ubiquiste, mais préfère le calcaire, dont le versicolor a horreur.

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Si la disposition du terrain est telle que ce pré en pente forte ou légère, qui est dit sec parce qu'il n'est pas irrigué, soit rendu humide par la présence d'une plus forte proportion d'argile, combinée avec le passage lent et fréquent des eaux de pluie, on verra dans ses parties basses le Scorzonera humilis et le Taraxacum palustre dans le cas où le terrain sera argilo-siliceux (molasse du Périgord) ou même tout-à-fait siliceux (landes de Gradignan, près Bordeaux). S'il est argilo-calcaire, ces deux plantes ne s'y trouveront pas, car l'égouttement du sol, par absorption, y sera plus facile pourvu que l'argile n'y soit pas trop dominante, et il n'y aura guère de différence entre ces parties un peu plus humides et celles plus complètement sèches du pré; sculement, les Carex glauca, præcox et panicea y seront plus abondants.

Si le pré est sec dans toutes ses parties, il nous offrira, sur un sol argilo-calcaire, Plantago media. Salvia pratensis et plus ou moins de pieds de Sainfoin commun ( Onobrychis sativa); sur un sol argilo-siliceux, Aira caryophyllea et Rumex acetosella; sur un sol purement siliceux, Trifolium subterraneum et Silene gallica.

Quant aux prairies irriguées ou dont la situation basse y entretient une humidité constante, l'Agrostis canina y abondera si la végétation paludale tend à y prédominer comme presque toujours, grâce à la composition siliceuse ou argilosiliceuse du sol; alors on n'y trouvera point le Primula officinalis qui abonde au contraire dans les bons prés argilocalcaires, ainsi que les Rumex crispus et obtusifolius.

J'ai beaucoup plus étudié les plantes des moissons que celles des prés, dont l'approche, sans endommager les récoltes, est bien plus difficile; aussi, pour ces dernières, je ne puis guère fournir de documents que relativement au Périgord. Cependant, j'oserai faire remarquer, d'après les exemples cités ci-dessus, que les nuances indiquées portent bien plutôt sur les éléments accessoires que sur les éléments essentiels de la végétation prairiale, et cette remarque m'engage à terminer mon travail par des réflexions générales, dont tous les botanistes sont à même, dans leurs herborisations, de vérifier l'exactitude, et qui résumeront les résultats auxquels je crois être arrivé.

Il n'y a pas de prés là où l'élément calcaire compose presqu'à lui seul tout le sol. Aussi, la Flore prairiale, qui repose à peu près toute entière sur les éléments argileux et siliceux (très-sympathiques comme on l'a vu [1]), cette

(1) « Parmi les plantes qui ne croissent pas également bien par» tout », dit M. de Caumont (Topogr. géognost. du Calvados, p. 117), « les unes préfèrent les terrains calcaires, les autres les ter

Flore est fort homogène. Elle est une quant à sa composition essentielle, et ne varie que dans des détails peu nombreux et presque tous secondaires.

La Flore ségétale, qui admet les trois éléments dont se compose un sol productif, soit en égales proportions soit dans les proportions les plus variées, est variée elle-même à tel point qu'il n'y a qu'un très-petit nombre de plantes qui accompagnent partout les céréales: cette Flore se divise géographiquement en Flores locales, et dans chaque localité en Flores minéralogiques, sauf les croisements. Cependant, à cause des conditions de perméabilité, d'insolation, etc., qui sont nécessairement concomitantes de la culture des céréales, cette même Flore exclut radicalement un grand nombre de végétaux, ce qui donne à son ensemble une physionomie particulière.

Les vignes, qui peuvent être citées, je crois, comme l'exemple le plus frappant, dans le règne végétal, d'indifférence complète pour toutes les conditions quelconques (hormis une seule ) de la végétation, n'ont point de Flore spéciale, et cela à cause de cette indifférence même. A toutes les chances de diversité dans la composition du sol, elies réunissent toutes les chances de diversité dans les autres conditions: aussi rien, dans la Flore générale, ne leur appartient en propre.

>> rains éminemment argileux, d'autres enfin les terrains où la » silice et l'argile forment la terre végétale; mais les régions calcai» res et celles qui ne le sont pas, offrent le plus d'opposition dans » leurs productions végétales ». Voilà la sanction de tous les exemples que je m'efforce de grouper sous les yeux des naturalistes. Elle part d'assez haut pour venir encore en aide à ce principe déjà proclamé par la raison, que des observations concordantes, faites au NordOuest et au Sud-Ouest d'une contrée aussi étendue que l'est la France, ne peuvent être considérées que comme l'expression d'un fait réel et légitimement acquis à la science.

La vigne croit et produit dans le sable siliceux des dunes où elle est à demi-enterrée et haute comme une grosse laitue (Cap-Breton où elle donne de bon vin; l'ile de Ré où elle en donne d'exécrable, grâce au goëmon, aux étoiles de mer et au poisson pourri dont on la fume).

Dans les terres les plus profondes et les plus fortement argileuses ( alluvions modernes de la vallée de la Garonne, de Sainte-Croix-du-Mont au Bec-d'Ambès), elle atteint une vigueur et une taille prodigieuses.

Dans les graves du Médoc et du Bordelais, elle est plus déliée et on la tient plus basse, mais elle fournit des produits exquis; voilà pour l'alluvion ancienne et le diluvium.

Sur les pentes rapides de nos côteaux de calcaire grossier de la Gironde, elle végète dans le calcaire presque pur et tempéré seulement par l'argile; il en est de même sur les plateaux crayeux du Haut-Périgord et de l'Angoumois. Elle réussit également dans les terres fortes qui proviennent du mélange de l'argile et du calcaire d'eau douce dit de l'Agenais, qui tient tant de place dans la géologie de notre Sud-Ouest, et dans les molasses remaniées et autres terres boulbènes qui en tiennent une plus grande encore dans la géologie superficielle d'une moitié au moins de la France.

On la suit non-seulement dans les riches terres de toute nature qui garnissent les côteaux sous-Pyrénéens, mais jusques dans les fentes des roches volcaniques de l'Auvergne et des calcaires durs de la Provence.

Enfin, elle se charge de fruits dans les terrains que la pioche ameublit sans cesse, comme entre les pavés des rues ou la terre battue des cours.

Elle vient donc partout et réussit partout, si ce n'est là où les conditions thermologiques s'opposent à sa prospérité. Par conséquent, tout ce que ces sols si divers admettront

de végétaux spontanés, sauf les conditions de perméabilité produites par les labours plus ou moins fréquents, et sauf les autres exigences particulières à ces plantes, le sol cultivé en vignes pourra l'admettre donc enfin, il ne devra pas y avoir de Flore vinéale douée d'une physionomie tranchée ; et en effet, il n'y en a pas.

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MESSIEURS, vous ne m'attribuez pas la prétention d'avoir fait autre chose qu'esquisser rapidement quelques traits du sujet qui m'a occupé dans la seconde partie de ce Mémoire. Vous savez le but que je poursuis en revenant si souvent à vanter l'intérêt d'étude qui s'attache à la station des plantes. Pour obtenir qu'on s'en occupe au point de vue minéralo→ gique, j'appelle tour à tour l'attention des observateurs sur les aspects divers de cette question complexe. Je sais trop que, pour le présent, on ne peut encore rien traiter à fond. Aussi, je vais glanant çà et là, et presque au hasard, sur chacun des champs d'exploration qui sont ouverts à l'étude; et, vous montrant à chaque pas quelques faits acquis à la science par l'observation directe, je vous dis il y a là un beau travail d'ensemble à faire. Jaloux de fournir quelques éléments de plus à sa rédaction future, je multiplie ces exemples épars que le temps seul, en les complétant, donnera les moyens de coordonner et, si vous me permettez une telle expression, je pelote en attendant partie.

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Cette partie, Messieurs, c'est vous qui la jouerez, et cela au profit de la science dans plusieurs de ses branches, au profit aussi de l'agriculture, ce qui n'est pas assurément sortir du domaine de la science. On a dit trop longtemps que la culture n'est qu'un art. Sans doute, bornée à l'expérience, à la routine, à la pratique, et même aux théories fondées sur des explications vagues ou douteuses, elle a pu, pendant des siècles, accepter ce rang trop modeste; mais, de bonne foi, se pourrait-il qu'un art qui, de toutes parts,

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