Page images
PDF
EPUB

L'AIGLE ET LE SOLEIL.

NE dites pas, enfants, comme d'autres ont dit :
Dieu ne me connaît pas, car je suis trop petit ;
Dans sa création ma faiblesse me noie;

Il voit trop d'univers pour que son œil me voie.

L'aigle de la montagne un jour dit au soleil :
Pourquoi luire plus bas que ce sommet vermeil ?
A quoi sert d'éclairer ces prés, ces gorges sombres,
De salir tes rayons sur l'herbe dans ces ombres ?
La mousse imperceptible est indigne de toi !—
Oiseau, dit le soleil, viens et monte avec moi !
L'aigle, avec le rayon s'élevant dans la nue,
Vit la montagne fondre et baisser à sa vue,2
Et, quand il eut atteint son horizon nouveau,
A son œil confondu tout parut de niveau.
Eh bien dit le soleil, tu vois, oiseau superbe,3
Si, pour moi, la montagne est plus haute que l'herbe ?
Rien n'est grand ni petit devant mes yeux géants:
La goutte d'eau me peint comme les océans.
De tout ce qui me voit je suis l'astre et la vie.
Comme le cèdre altier, l'herbe me glorifie;
J'y chauffe 5 la fourmi; des nuits j'y bois les pleurs,
Mon rayon s'y parfume en traînant sur les fleurs !
Et c'est ainsi que Dieu, qui seul est sa mesure,
D'un œil pour tous égal voit toute sa nature!...
Chers enfants, bénissez, si votre cœur comprend,
Cet œil qui voit l'insecte et pour qui tout est grand!
LAMARTINE.

[blocks in formation]

6

peint, for réfléchit, or re

5 chauffe, for réchauffe.

6

Jy bois les pleurs des nuits;that is, j'y dissipe la rosée.

L'ANGE ET L'ENFANT.

UN ange au radieux visage,
Penché sur le bord d'un berceau,
Semblait contempler son image
Comme dans l'onde d'un ruisseau.
Charmant enfant, qui me ressemble,1
Disait-il, oh! viens avec moi;
Viens, nous serons heureux ensemble :
La terre est indigne de toi.
Là, jamais entière allégresse,
L'âme y souffre de ses plaisirs:
Les cris de joie ont leur tristesse ;
Et les voluptés leurs soupirs.
La crainte est de 2 toutes les fêtes,
Jamais un jour calme et serein
Du choc ténébreux des tempêtes
N'a garanti le lendemain.

Eh quoi les chagrins, les alarmes
Viendraient troubler ce front si pur!
Et
par l'amertume des larmes

Se terniraient ces yeux d'azur !

Non, non, dans les champs de l'espace
Avec moi tu vas t'envoler:

La Providence te fait grâce 3
Des jours que tu devais couler.1
Que 5 personne dans ta demeure
N'obscurcisse ses vêtements,6
Qu'on accueille ta dernière heure
Ainsi que tes premiers moments.

1 ressemble, for the sake of the rhyme, by poetical licence, instead of ressembles.

[blocks in formation]

4 tu devais couler, thou wast to spend.

5 Que, Let.

6 n'obscurcisse ses vêtements ;— that is, ne prenne des vêtements de deuil.

Que les fronts y soient sans nuage,
Que rien n'y révèle un tombeau ;
Quand on est pur comme à ton âge,
Le dernier jour est le plus beau.
Et secouant ses blanches ailes,
L'ange à ces mots a pris l'essor
Vers les demeures éternelles ...
Pauvre mère ! . . . ton fils est mort!

REBOUL.

DERNIERS MOMENTS D'UN JEUNE POÈTE.1

J'AI révélé mon cœur au Dieu de l'innocence;
Il a vu mes pleurs pénitents 2

Il guérit mes remords, il m'arme de constance:
Les malheureux sont ses enfants.

Mes ennemis, riant, ont dit dans leur colère :
Qu'il meure, et sa gloire avec lui!

Mais à mon cœur calmé le Seigneur dit en père : 3
Leur haine sera ton appui.4

A tes plus chers amis ils ont prêté leur rage ;
Tout trompe la simplicité :

Celui

que tu nourris court vendre ton image, Noire de sa méchanceté : 5

Mais Dieu t'entend gémir, Dieu vers qui te ramène
Un vrai remords né des douleurs;
Dieu qui pardonne enfin à la nature humaine
D'être faible dans les malheurs :

1 [Gilbert, having become insane from grief and misery, died in an hospital (1780). A week before his death, he composed these stanzas, in a lucid moment.]

2 pénitents, for de repentir. 3 en père, as a father.

4 sera ton appui ;—that is, te sera un mérite auprès de moi.

5 court vendre ton image, noire de sa méchanceté;-that is, colporte ta réputation (character) souillée par la méchanceté.

J'éveillerai pour toi la pitié, la justice
De l'incorruptible avenir;

Eux-même1 épureront, par leur long artifice,
Ton honneur qu'ils pensent ternir.

Soyez béni, mon Dieu! vous qui daignez me rendre
L'innocence et son noble orgueil;

Vous qui, pour protéger le repos de ma cendre,
Veillerez près de mon cercueil !

Au banquet de la vie, infortuné convive,
J'apparus un jour, et je meurs:

Je meurs, et sur ma tombe, où lentement j'arrive,
Nul ne viendra verser des pleurs.

Salut, champs que j'aimais, et vous, douce verdure,
Et vous, riant exil des bois !

Ciel, pavillon de l'homme, admirable nature,
Salut pour la dernière fois!

Ah! puissent voir longtemps votre beauté sacrée
Tant d'amis sourds à mes adieux !

Qu'ils meurent pleins de jours, que leur mort soit pleurée !
Qu'un ami leur ferme les yeux !

GILBERT.

LA JEUNE CAPTIVE.3

L'ÉPI naissant mûrit, de la faux respecté ;
Sans crainte du pressoir, le pampre, tout l'été,
Boit les doux présents de l'aurore;

1 eux-même, for the sake of the rhyme, by poetical licence, instead of eux-mêmes.

2 The direct construction would be, Ah! puissent tant d'amis sourds à mes adieux voir longtemps, &c.

3 [Mademoiselle de Coigny, who

was in the prison of the Conciergerie, in Paris, during the reign of Terror, in 1794. André Chénier was also a prisoner there. He was beheaded on the 25th of July in the same year.]

4 pressoir, wine-press.

Et moi, comme lui belle, et jeune comme lui,

1

Quoi que l'heure présente ait de trouble et d'ennui,
Je ne veux pas mourir encore.

Qu'un stoïque aux yeux secs 2 vole embrasser la mort,
Moi, je pleure et j'espère; au noir 3 souffle du nord,
Je plie et relève ma tête.

S'il est des jours amers, il en est de si doux!
Hélas! quel miel jamais n'a laissé de dégoûts?
Quelle mer n'a point de tempête ?

L'illusion féconde habite dans mon sein.
D'une prison sur moi les murs pèsent en vain,
J'ai les ailes de l'espérance.
Échappée aux réseaux de l'oiseleur cruel,
Plus vive, plus heureuse, aux campagnes du ciel
Philomèle 5 chante et s'élance.

Est-ce à moi de mourir? Tranquille je m'endors,
Et tranquille je veille; et ma veille aux remords
Ni mon sommeil ne sont en proie.7

Ma bienvenue au jour me rit dans tous les yeux;
Sur des fronts abattus, mon aspect dans ces lieux
Ranime presque de la joie.

Mon beau voyage encore est si loin de sa fin!
Je pars, et des ormeaux qui bordent le chemin
J'ai passé les premiers à peine.

Au banquet de la vie à peine commencé
Un instant seulement mes lèvres ont pressé
La coupe en mes mains encor pleine.

1 quoi que, whatever.

morphosed into a nightingale, a 2 aux yeux secs, with dry eyes bird which is poetically called after

(without emotion).

3 noir, for triste.

4 il est, there are.

5 Philomela, the daughter of Pandion, King of Athens, was, according to mythology, meta

her name.

6 à moi, for me.

7 An inversion for ma veille ni mon sommeil ne sont en proie aux (a prey to agitated by) remords. that is, me sourit.

me rit;

« PreviousContinue »